Vos textes publiés ici après soumission au comité de poésie de francopolis.







 


 
 

 


Une infographie
de Laurence de Sainte Maréville

Présentation de la
sélection des textes
du mois de juillet

 

Par Stéphane Méliade



--Quand les machines tremblent--

 



Au péage du soir
quand les machines tremblent
tout suants de vapeur
de grésil et d'essence
des enfants écartent le brouillard sans outils sans aveux

 

Ces mots sont de Léotard, Philippe, le chanteur, celui qui est vivant, comme Ferré...

À Francopolis, comme dans toutes les villes, c'est la Fête de la Musique. Pour nous faire entrer dans l'été, nos auteurs ne se sont pas économisés. Avec quatre planches et quelques souffles, ils ont monté leur stand, sorti leur instrument face à la mer, sur le quai du port

Pour les bras-dessus bras-dessous, ils jouent.
Pour les tout seuls, ils jouent..
Pour les rois en exil, pour les enfants qui reviennent d'avoir pêché des
îles, pour les vieux qui chevauchent des créatures fantastiques.
Pour les chiens et les anges qui passent, échangeant leurs os et leurs ailes sans que personne ne s'en aperçoive, ils jouent.

Léotard de Vinci étend ses bras en étoile face à la mer pour mieux les écouter.
 
Il nous guide d'abord vers une guitare saturée, au phrasé long, chamanique, heurté, comme un Jimi Hendrix qui
aurait survécu et se serait fait marin. C'est Philippe Landreau qui joue le fruit d'une telle patience.
Il vient à Francopolis pour la première fois, et un attroupement s'est formé autour de lui. La marée monte. Et la guitare feule : 



 Quelqu'un dira des paroles très fragiles
qu'il ne faudra pas déchirer
car ces instants ne reviennent jamais
peut-être même que tu ne les entendras pas
mais en toi elles glisseront 

 

J'aime ce cheminement vers l'ouverture de son propre fruit, lance Juliette Schweisguth en répons.
J'aime beaucoup cette façon de se perdre dans les tournures de phrases,
de se jouer des constructions classiques et traditionnelles (...) un mouvement très puissant qui emporte
. appuie Isabelle Servant.


quelque chose qu'il faille bien nommer mais comment
tu n'oses pas dire que ce serait une filiation sanguine avec le bonheur


Un texte pour grandir et qui fait grandir.
On quitte le premier stand avec la sensation d'avoir vécu un moment rare, une phrase musicale qui nous fait devenir musique à notre tour.

                                        *

La fête continue et nous avançons. Nous nous rapprochons d'une voix. Éclose du plus ancien cristal de sel de la mer. Comment s'appelle ce chant ? asperge Léotard, qui le sait très bien.
Eau de matin clair, clapote Stéphane Méliade, qui lui, ne le sait pas. On est ici dans un registre d'incantation où source et embouchure sont en quête l'une de l'autre, sans oublier de s'en étonner.



L'eau tourmente ses entrailles
l'eau s'accomplit
du blanc au gris
du noir au clair
du sourd au bruyant
du charbon au cristal
magique au sommet elle explose exalte ses
 étoiles souterraines



Pas de doute, c'est bien Philippe Vallet, et sa voix qui sonne comme
des ailes serties dans le roc. Nous commençons à connaître sa sensitivité minérale, cette fois très accomplieLes citoyens de Francopolis ont choisi deux autres chants de lui : je ne crois plus au silence et faut-il ne plus y croire? comme deux volets battant sur une maison d'eau, deux ouïes d'un même animal de pierre, assis sur le quai comme les poissons de Magritte. 

                                                *

Léotard s'est servi subrepticement un verre, comme pour immerger l'étincelle tendre qui vient de naître dans ses yeux.
Le quai bruisse, les feuilles des arbres sont émues. C'est un hautbois qui joue. Celui de Marie-Claire Laberge. Elle est
venue du Québec pour nous faire vivre le premier matin du monde.



Froid aux doigts
poumons en fleurs
à l'instant de bascule
où le soleil se couche



j
'aime beaucoup les deux derniers vers qui ont en moi une grande puissance d'évocation salue Florence Noël.
Un don évident du raccourci, de l'ellipse pour atteindre à partir d'une image un rapport avec la nature, symbole d'un état intérieur
approfondit Yves Heurté.


Quelque chose se passe, comme un échange de souffles. Des petits textes comme des cadeaux.

*


P
udique, Léotard marche déjà vers la musicienne suivante. Une accordéoniste qui pousse la chanson réaliste, un foulard noué autour du cou comme une vague un peu canaille. 
C'est Aglaé Vadet, qui, avec ses Aveux,  a réussi l'impossible
dans le port de Francopolis : inventer un Montmartre-Sur-Mer.



J'aime pas les promos d'Auchan
Ni les tendances- mode du printemps
J'aime seul'ment au p'tit déjeuner
Qu'amour rime avec toujours



C'est le bastringue. Un peu de Queneau, un zest de Supervielle, une tranche de Vian. diagnostique Yves Heurté.
Auto-portrait bleu marine d'une femme honnête au passé chargé. Havre de paix et de légèreté  exulte Jean Pierre Clemençon,
en évitant un poisson volant qui avait la tête d'Aristide Bruant.

*


Léotard visse son chapeau sur sa tête pour écoper la peur. Un violon alto nous attend sur le quai, jouant une musique de Hitchcock.
C'est Franck Peyrou qui donne aux vagues la chair de houle, avec Cri et Plein. Une mort qui pulse, un chant d'amour qui
psalmodie. Le tempo binaire de la vie.



les mots alentour passent sous mes pieds
je n'ai rien à répondre
les regards alentour fuient mes visions
je n'ai rien à voir


résume bien une atmosphère pesante, assez angoissante.. frissonne Aaron de Najran.  
Une écriture qui serre, dont on ne sait pas très bien si c'est pour
étrangler ou câliner.

*


- Des cuivres ! Des cuivres ! applaudit Léotard en approchant du musicien suivant. Il a toujours été un peu noir à l'intérieur. Il faut le voir se réjouir du grondement symphonique digne de la section de cuivres d'Earth Wind and Fire qui transforme le quai du port de Francopolis en capitale de la Soul !



ton visage contre le vitrail de l'aube
abrite des minarets au delà de l'oubli.



Et roulez tempêtes ! Rachid Dziri est de retour !  Et des univers roulent dans son Escalade, sorte de rythm and blues pharaonique, sorte de chant de la mer (...) construit dans son interne il y a un noyau et ce noyau devient le poème, le chant affine Juliette Schweisguth.

*


Jazz d'argile et de mains, une jeune fille a décidé de remodeler la terre, de peigner la terre précise Aaron de Najran.



Mais, après des jours
D'apprivoisement
Elle devint plus réceptive
Et se laissait modeler
Par mes mains,
Deux étrangères
Auparavant.



Léotard respire à peine, trempe son chapeau dans la mer
pour donner à boire au vibraphone de Rosalie Lipmann. Nous faisons connaissance avec elle par Ressemblance, ce texte qui a touché beaucoup d'entre nous.
 
un talent pour le rythme
remarque tout de suite Karl Létourneau.
où passe une vision personnelle évidente  complète Yves Heurté.


 
Devinant les contours
De la terre,
J'ai voulu sentir
Ses vraies formes
Sa vraie matière.



Tous les bateaux du port de Francopolis se mettent à corner de concert pour saluer cette jeune auteure de Belgique, à la belle humanité d'une interrogation authentique, sans aucune prétention et qui, grâce à ce ton, possède même de la noblesse comme dirait Stéphane Méliade.

*

Sur le quai, Léotard mime un guitariste. Il a raison, c'est une basse, l'instrument de Jean Marc  La Frenière, omniprésente, jouant sous la musique comme une taupe sous la terre, à l'intérieur du bois de sa Porte Ouverte :



Trop souvent le temps boîte
Sur les trottoirs usés
Par le poids des genoux.
Trop de regards s'éteignent
Sur les taches du monde



j'aime le rythme de ces trop qui dessine le monde en perte malgré ce trop . grave Juliette Schweisguth sur la porte.

*

C'est Florence Noël qui nous emmène vers le dernier musicien de notre orchestre : voilà quelqu'un dont j'aime la musique du toucher ! s'enthousiasme t-elle, convaincue, en désignant Jean-Marc Baholet qui tape sur les tambours du temps dans son Pli du jour.  



A rebours glisse le temps
entre tes doigts


Rythme curieux, suite d'images improvisées, laconise Karl Létourneau,
pour les gondoles me rappelant Venise car là un tableau se
dessine
soupire Juliette Schweisguth.

Léotard a mis son nez bleu de clown refroidi pour feutrer les battements du tambour.
La fête est finie, les musiciens sont repartis, les vers luisants et les étoiles de mer s'éteignent une à une sur le quai du port de Francopolis. Pourtant, par un phénomène mystérieux de vagues communicantes, on entend encore la musique des textes de nos
auteurs.

Léotard de Vinci marche jusqu'au bout de la jetée, loin, très loin de la nostalgie restée à terre. 
Et il chante, Léo, rien que pour l'eau noire, il chante comme un homme qui penche du côté où il va tomber :

 



Mais je tends les mains
je les garde ouvertes
ça fait contrepoids

 


Stéphane Méliade, le 19-06-2003 

 

 

 

(photo Stéphane Méliade, Cyclades, Grèce, mai 1997)

 

 

 

 

 

 

 

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Créé le 1 mars 2002

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