*
Il ne voyait pas l’oiseau qui chantait ; de sa fenêtre, il
ne le voyait pas. Le chant était pénétrant, il avertissait de la fin d’une
saison. L’hiver s’en allait, c’était irrémédiable, le chant congédiait la
neige, le froid, le mauvais temps.
De sa fenêtre, il voyait un arbre, mais l’arbre ne bougeait
pas, dépouillé, squelettique, ne promettait encore aucune feuille, aucun
bourgeon. Tout cela allait arriver plus tard, pour l’instant la saison
hésitait dans un entre les deux, timorée, lente, découpée par les jours
gris et par leur écho sourd qui rappelait qu’aucune avancée ne se fasse au
détriment de la chair. Le vent apportait la nuit, elle sédimentait par les
strates, le crépuscule durait depuis un moment, rallongeait les doigts qui
se saisissaient du cœur et le pressaient d’une main invisible. Ces
fulgurances, cristallisant sur la rétine, il les accumulait dans la
poitrine. Le soir arrivait sans avertissement ; l’oiseau perché sur la
branche lançait sans cesse les quelques notes qui repêchaient le reste de
la lumière et l’étalaient sur le ciel qui, lui-même, se refermait
progressivement, au fur et à mesure que l’oiseau s’épuisait et sa voix
s’atténuait. L’obscurité ne se posait pas sans fendre l’espace et sans
s’approprier ses lamelles, une par une. Cela ressemblait un peu à une danse
pendant laquelle on se tient par les mains et on s’incline presque à chaque
pas.
L’oiseau se tut, les rouages de cet immense mécanisme bondirent
vers l’avant, devant ses yeux la matière épaississait, le monde gagnait en
densité. Le ciel recueillait la progression de l’effacement avec une
résignation, celle des haillons de nuages qui n’avancent plus, qui se sont
figés et couvrent sans peser.
De là où il se tenait, il témoignait seulement de ce
ravissement de contours, de cette disparition lente de la réalité. Les
traits faiblissaient, instinctivement, il les laissait partir avec la
lumière. Les cloches sonnèrent. Le son tira à lui toute attention, entendre
était saigner ; le cœur battait et éclatait, il regardait de la
fenêtre, le ressac de la ténèbre, la rue remua en
sursaut quand l’éclairage électrique s’alluma et tailla les ombres.
*
La nuit venait à grands pas, et lui, il se tenait là presque
vulnérable, il savait que cette nuit il allait rêver d’elle, encore une
fois cette femme viendrait pour lui tenir compagnie. La plupart du temps,
elle reste silencieuse, simplement vêtue d’une robe qui épouse ses formes
avec une certaine fluidité. Quand elle bouge, ses gestes s’harmonisent avec
ce qui l’entoure, l’impression d’un grand calme surprend celui qui la
regarde. Dans ses mains, le présent trouve un autre sens, glissant sur les
apparences, frôlant la gravité des choses sacrées.
Elle a un charme difficilement définissable, un faible nimbe
entoure son être, quand elle avance dans l’obscurité, quand elle arrive.
Elle a un visage pâle, dans lequel les yeux de velours embrassent au-delà
de l’espace-temps une certaine idée de l’éternité. D’où vient-elle ?
Ses lèvres ne répondent jamais à des questions superficielles.
*
Elle
vient sur la pointe des pieds, soucieuse de se glisser dans son rêve et de
ne pas se faire remarquer. Pourtant, sa présence éblouit. Souvent, elle est
hésitante avant d’entrer dans la chambre, elle s’arrête dans le cadre de la
porte et attend quelques instants avant de s’approcher davantage, comme si
elle était incertaine et désirant de ne pas déranger. Ses gestes sont
discrets, et s’accordent à l’obscurité, la sérénité se répand autour
d’elle, lorsqu’elle pose les pieds sur le parquet et aligne ses pas en
direction du lit, lorsqu’elle s’assied au bord et tend la main vers lui. La
main touche sa poitrine, il est éveillé et sent ce toucher plein de vie. Il
a envie de dire quelque chose, mais il est effrayé, il a
peur qu’un seul mot la fasse disparaître, qu’elle se dissipe comme
la brume au-dessus de l’étang.
Alors,
il cherche des correspondances. Muettes. Les yeux se rencontrent et
signifient. Les yeux de velours se font infinis, et portent en eux le poids
des constellations les plus fabuleuses. Ce qu’il perçoit ne rassure
point ; ne pourrait-il s’égarer à des milliers d’années de lumière,
s’éloignant de sa chambre. La distance semble se dessiner sur l’iris, qui
soudainement prend une teinte violette.
Dans
son rêve, la femme se penche sur lui, mais ne l’embrasse pas, il sent son
haleine au parfum de jonquilles s’approcher de son visage sans rien de plus
que ce frôlement de l’air odorant sur sa joue, peut-être un soupire presque
inaudible, estompé par l’épaisseur de la nuit. Il reste immobile, fasciné
par cette apparition, par la fluidité avec laquelle elle occupe l’espace,
par la timidité, presque bouleversante, avec laquelle elle vient à lui.
(…)
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Francopolis – n° 8
©Alena
Meas
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