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Mai-juin 2023

 

 

Alena Meas

 

Histoires

 

(*)

 

Une image contenant peinture, Dessin d’enfant, Peinture artistique, dessin

Description générée automatiquement

Peinture d’Alena Meas

 

 

*

Il ne voyait pas l’oiseau qui chantait ; de sa fenêtre, il ne le voyait pas. Le chant était pénétrant, il avertissait de la fin d’une saison. L’hiver s’en allait, c’était irrémédiable, le chant congédiait la neige, le froid, le mauvais temps.

De sa fenêtre, il voyait un arbre, mais l’arbre ne bougeait pas, dépouillé, squelettique, ne promettait encore aucune feuille, aucun bourgeon. Tout cela allait arriver plus tard, pour l’instant la saison hésitait dans un entre les deux, timorée, lente, découpée par les jours gris et par leur écho sourd qui rappelait qu’aucune avancée ne se fasse au détriment de la chair. Le vent apportait la nuit, elle sédimentait par les strates, le crépuscule durait depuis un moment, rallongeait les doigts qui se saisissaient du cœur et le pressaient d’une main invisible. Ces fulgurances, cristallisant sur la rétine, il les accumulait dans la poitrine. Le soir arrivait sans avertissement ; l’oiseau perché sur la branche lançait sans cesse les quelques notes qui repêchaient le reste de la lumière et l’étalaient sur le ciel qui, lui-même, se refermait progressivement, au fur et à mesure que l’oiseau s’épuisait et sa voix s’atténuait. L’obscurité ne se posait pas sans fendre l’espace et sans s’approprier ses lamelles, une par une. Cela ressemblait un peu à une danse pendant laquelle on se tient par les mains et on s’incline presque à chaque pas.

L’oiseau se tut, les rouages de cet immense mécanisme bondirent vers l’avant, devant ses yeux la matière épaississait, le monde gagnait en densité. Le ciel recueillait la progression de l’effacement avec une résignation, celle des haillons de nuages qui n’avancent plus, qui se sont figés et couvrent sans peser.

De là où il se tenait, il témoignait seulement de ce ravissement de contours, de cette disparition lente de la réalité. Les traits faiblissaient, instinctivement, il les laissait partir avec la lumière. Les cloches sonnèrent. Le son tira à lui toute attention, entendre était saigner ; le cœur battait et éclatait, il regardait de la fenêtre, le ressac de la ténèbre, la rue remua en sursaut quand l’éclairage électrique s’alluma et tailla les ombres.

 

*

La nuit venait à grands pas, et lui, il se tenait là presque vulnérable, il savait que cette nuit il allait rêver d’elle, encore une fois cette femme viendrait pour lui tenir compagnie. La plupart du temps, elle reste silencieuse, simplement vêtue d’une robe qui épouse ses formes avec une certaine fluidité. Quand elle bouge, ses gestes s’harmonisent avec ce qui l’entoure, l’impression d’un grand calme surprend celui qui la regarde. Dans ses mains, le présent trouve un autre sens, glissant sur les apparences, frôlant la gravité des choses sacrées.

Elle a un charme difficilement définissable, un faible nimbe entoure son être, quand elle avance dans l’obscurité, quand elle arrive. Elle a un visage pâle, dans lequel les yeux de velours embrassent au-delà de l’espace-temps une certaine idée de l’éternité. D’où vient-elle ? Ses lèvres ne répondent jamais à des questions superficielles.

 

*

Elle vient sur la pointe des pieds, soucieuse de se glisser dans son rêve et de ne pas se faire remarquer. Pourtant, sa présence éblouit. Souvent, elle est hésitante avant d’entrer dans la chambre, elle s’arrête dans le cadre de la porte et attend quelques instants avant de s’approcher davantage, comme si elle était incertaine et désirant de ne pas déranger. Ses gestes sont discrets, et s’accordent à l’obscurité, la sérénité se répand autour d’elle, lorsqu’elle pose les pieds sur le parquet et aligne ses pas en direction du lit, lorsqu’elle s’assied au bord et tend la main vers lui. La main touche sa poitrine, il est éveillé et sent ce toucher plein de vie. Il a envie de dire quelque chose, mais il est effrayé, il a peur qu’un seul mot la fasse disparaître, qu’elle se dissipe comme la brume au-dessus de l’étang.

Alors, il cherche des correspondances. Muettes. Les yeux se rencontrent et signifient. Les yeux de velours se font infinis, et portent en eux le poids des constellations les plus fabuleuses. Ce qu’il perçoit ne rassure point ; ne pourrait-il s’égarer à des milliers d’années de lumière, s’éloignant de sa chambre. La distance semble se dessiner sur l’iris, qui soudainement prend une teinte violette.

Dans son rêve, la femme se penche sur lui, mais ne l’embrasse pas, il sent son haleine au parfum de jonquilles s’approcher de son visage sans rien de plus que ce frôlement de l’air odorant sur sa joue, peut-être un soupire presque inaudible, estompé par l’épaisseur de la nuit. Il reste immobile, fasciné par cette apparition, par la fluidité avec laquelle elle occupe l’espace, par la timidité, presque bouleversante, avec laquelle elle vient à lui.

 

(…)

Pour la suite voir le livret complet dans notre Bibliothèque Francopolis – n° 8

 

 

©Alena Meas

 

(*)

 

Poète, nouvelliste, peintre animatrice des rencontres poétiques Lieu improbable, Alena Meas est bien connue à nos lecteurs. Ses textes et ses tableaux ont été accueillis à la rubrique Créaphonie, (dernière présence : mars-avril 2020), Contes & chansons (janvier 2016) Francosemailles (mai-juin 2021). Ses derniers recueils de poèmes sont publié aux éditions Unicité (Protège tes sens, 2019, Les arbres lui semblaient pivoter, 2021).

 



Alena Meas

Mai-juin 2023

Recherche Dana Shishmanian

 

 

Créé le 1 mars 2002