|     Aube d’octobre Aube d’octobre,  Une dernière étoile se cache  Derrière un nuage rouge.  Les couleurs ressuscitent mes lèvres
    closes  Et font chanter un soleil de brume,  Où volent quelques feuilles déjà tombées.  À travers le ciel, un couple de cygnes
    s’envole  Dans un bruit de rames.     Au plus insu de moiLe
    jour fleurit. On
    peut l'entendre rire. Je
    cherche dans ma mémoire Les
    sabots d'un cheval couleur du chemin, Où
    se cache l'immobilité de l'oubli, L'ombre
    bleue d'une tourterelle, Le
    tremblement de l'air perdu dans un livre. Tout
    passe pour se revoir, L'instant
    des choses qui dure, Une
    nudité seconde Sur
    un morceau de papier en fenêtre Qui
    donne les yeux au soleil, Un
    nuage ou un lac, Ciel
    de toute ressemblance. Si
    peu de temps dure ce regard Que
    la page boit déjà
 Un
    dernier frisson sur le lit du vent.     Après tant de détours Calme splendeur  Où s’écrit la grâce  D’un papillon
  Agitant la transparence de ses ailes.  Une fleur médite sous le soleil.  Le sablier ruisselle de métaphores.  Je m'allonge dans l'herbe,  Maintenant dans ma bouche  Le souffle de la brise,  Dans l’attente d’apprendre à voler.     Prendre visage Qu’importe si je ne trouve  Qu’un chemin vide,  Un peu de nuit
  Où je cherche la lumière.  Je peux toujours dormir dans un miroir.  Alors pourquoi cet attrait pour
    l’invisible ?  Vouloir retourner la peau de l’ombre  Et écouter aux portes de la vie,  Sur le seuil, un profond silence.  Si seulement j’avais un œil intérieur  Pour le voir !     Près du petit lac La lumière est l'eau du temps,  La toile transparente du monde,  L'ombre d'une caresse  Qui frôle les lèvres de l’air,  Où glisse une barque  Sans écho, hors de son ombre.  Mes yeux se lavent dans cette image,  Dans cette innocence  Impossible à taire.     Le poète et la douleur du mondeIl
    arrive un moment où la parole se brise sur l’horreur. Où le réel devient si
    dense, si noir, qu’aucun mot ne semble pouvoir l’atteindre. Le poète
    regarde ce chaos, non comme un chroniqueur, mais comme un être traversé. Il
    ne décrit pas, il reçoit. Il ne juge pas, il porte. Alors
    il doute. Peut-on encore écrire après tant de sang ? Faut-il dire, ou
    faut-il se taire ? Ce n’est pas une question de rôle, ni même de devoir.
    C’est une question de présence. Avant d’être poète, il est homme — un homme
    mis à nu par ce qu’il voit, par ce qu’il ressent, par ce qui le dépasse. Dénoncer
    ? Peut-être. Mais la dénonciation, seule, est stérile si elle n’est pas
    portée par une conscience vive, une douleur partagée, une attention à
    l’âme. L’écriture, lorsqu’elle devient cri, doit être un cri qui écoute. Un
    cri qui n’arrache pas, mais qui relie. Car
    ce que cherche le poète, ce n’est pas de condamner le monde, mais d'y
    retrouver une vérité perdue. Il ne parle pas pour clamer, mais pour faire
    naître, dans la cendre, un battement. Il n’écrit pas pour convaincre, mais
    pour ressentir avec. La
    poésie, lorsqu’elle touche juste, ne brandit pas le mal comme une arme.
    Elle s’en approche à mains nues, avec des mots tremblants. Elle ne cherche
    pas à expliquer la souffrance, mais à en faire un lieu où l’on peut encore
    respirer. Où l’on pleure ensemble. Où, peut-être, quelque chose d’humain
    revient.   ©Pierre Astan   |