1
aurore immobile
ou du moins pourrait-on le croire
aucun frémissement dans les bambous
la goutte de rosée suspend la
pesanteur
au bout de chaque feuille
petit œil translucide et joueur
pas un chuchotis dans le chêne
rien
sauf le merle ici sur le sol
la mésange dans l’orme picore
et à chacun de ses mouvements
déclenche une pluie de feuilles
jaunes
je reste à les regarder tomber
silence et lumière
un vol de pigeons
un éclat de goéland
rien d’immobile ici ce matin
juste la tranquillité de l’aurore
et de ses entrées maritimes
je marche à pas légers
jusqu’au boulanger
quelques mots sourires
deux pains au chocolat
une banette
j’en croque un quignon chaud
et retour par une autre rue
et d’autres arbres
je suis un marcheur en ce monde
aussi vaste ou réduit soit-il
marcher m’ancre à la Terre
comme ce pin géant que je n’avais
jamais vraiment salué
comme les chênes du cheminement
comme ces herbes entre goudron et
muret
je marche
et soyons fou
je marche et le monde tient debout
2
l’indifférence des oiseaux
celle des feuilles
ou des petits fruits rouges du…
j’ai oublié son nom
ma mémoire se creuse comme un fameux
fromage
pas de publicité gratuite
ce poème n’est pas sponsorisé
cependant
il est prêt à étudier toute
proposition honnête
à porter une casquette
et à inscrire en titre le nom du
sponsor
mais
revenons à ce poème
les uns chantent disons-nous
voix multiples et différentes
les autres rougissent et tombent
multiples et éphémères éclats de
lumière
patchwork coloré au sol
je traîne les pieds
automne saison d’enfance
au loin un souffleur tente de
retrouver
le sérieux du goudron trottoir
pas de laisser aller
la vie humaine continue
malgré l’adversité virale
la vie continue
et je m’accorde à ce qu’il me plaît
ne nommer
la joie
joie de l’oiseau
de la feuille et du fruit
automne saison d’enfance
3
élargir l’horizon
comme un moine en son cloître
et quelque soit son dieu et ses rites
élargir
comme un ermite
et quelque soit son lieu de retraite
élargir
ouvrir les poumons
les yeux
et apercevoir
loin
ces connexions mystérieuses
ces échos
l’univers est un corps unique
où tout se répond
je sais c’est déjà dit par le poète
et alors
pas de mal à répéter l’histoire
humaine
à hauteur d’individu
c’est dans l’accord
élargir
se mettre au monde
et naître à nouveau
je sais c’est déjà dit par l’ermite
et le moine
et alors
j’ai bien le droit de mettre mes
sandales
dans celles de François ou de Bashô
ou d’un autre à ton libre choix
lecteur
4
il pleut des feuilles
il pleut des glands
combien de feuilles
combien de glands
avant que le chêne soit de bois
nu
il pleut des jours
il pleut des nuits
mon corps grince
mon corps se grippe
il pleut du vent
il pleut du soleil ou de la neige
et combien de rayons
combien de rafales et de flocons
avant que la vie le mouche
5
mon pas croustille les feuilles
sèches
feuilles d’érables
érables des rues
là-bas
l’horizon bleu des crêtes
le jeu des cumulus de beau temps
tout est calme
l’air
les nuages et les feuilles
alors
moi aussi je suis calme
et j’offre un bol de thé
à la sérénité du monde

6
aurore
le cri des goélands sur la ville
nostalgie de la mer
son espace
bruit mat d’un gland
désir de germination lente
rumeur automobile
la vie
des vies humaines
et d’autres
les oiseaux
les insectes
les invisibles microscopiques
les végétaux
les platanes de l’avenue
avec leurs feuilles de saison
nostalgie des forêts d’avant les
humains
les forêts d’avant
le soleil apparaît
au bon azimut et à l’heure prévue
check up
mécanique des sphères ok
pesanteur ok
les lois permanentes
et ce monde flottant
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avec les oiseaux des jardins
j’accueille une aurore nouvelle
ils volent
je marche
et nous vivons
chacun dans sa niche
écologique
le même retour du soleil
j’écoute
le grand chêne
modifier la couleur de chacune de ses
feuilles
lors de l’achênage d’un groupe
d’étourneaux
pluie de feuilles
au sol
tout un tapis d’uniques
métaphore de la foule du quai de la
ligne 13
ou autre lieu moquetté d’humains
les étourneaux
leurs mélodies aériennes
je suis heureux de les retrouver
dans le flottement bleu brumé de ce
sept novembre
à l'heure du café/croissant
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aube
un dimanche
il a plu cette nuit
je n’ai rien entendu
tout à l’heure
au thé nocturne encore
un hibou grand ou moyen duc
vers le village
et des éclairs à l’Ouest
silencieux les éclairs
lointains déjà
à l’aube
un grand silence
les autos en grasse mat’
l’angélus de sept heures
qui va prier ?
Ici les cloches
ailleurs l’appel du muezzin
ce qui rassemble au fond pourrait
être plus fort que ce qui sépare
aurons-nous un jour un peu plus
d’intelligence ?
les nuages
leurs formes grises
la caresse de l’aurore et le jeu des
couleurs
le vent là-haut est au Sud-Est
léger
ici rien ne bouge à part quelques
feuilles
dont j’écoute la chute et le contact
avec le sol
silence
des flaques de pluie
des flaques de feuilles
des flaques de soleil
des flaques de mots
et moi
qui me dirige vers la boulangerie
et dans un moment
un café balcon/croissant
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ce matin
je soulève l’horizon
glisse un regard dans l’entrebaille
et entre dans ce monde flottant
je m’ébroue et la poussière
me désengonce du sommeil
je marche à pas lents sous l’aurore
et la vapeur beurre mon souffle
tiens à propos
les souffleurs de feuilles
sous le vieux chêne
soufflent les feuilles
l’aspirateur sur roues les aspirent
le monde est en ordre de marche
les bus en témoignent
le trottoir aussi
tout à l’heure moquetté
maintenant pur goudron
la vie
un matin de novembre à Mouans-Sartoux
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la nuit
fin de nuit
éveil
le silence
à inspirer
expirer
le silence à respirer
humide et frais
le silence et ses ponctuations
d’oiseaux
de moteurs au lointain
le silence à boire
dans l’odeur du sencha
être vivant
ce matin
et jusqu’à quand ?
sourire et un autre mug de thé
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fin de nuit
l’aube et ses brumes
légères
un dernier rêve s’évapore
on en cueille les gouttes aux pointes
des feuilles ocres
c’est un matin d’automne
le soleil lève les dorés du paysage
et je m’ensilence à le regarder se
taire
un premier vol d’étourneaux sourit
aux paupières
un nouveau jour à vivre
aussi haut que possible
et même un peu plus haut
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ciel gris
gris et haut
pas besoin de casque pour affronter
ces nuages
d’ailleurs
pourquoi parler d’affrontement
je me glisse dessous
entre eux et moi
les goélands
ces rieurs de l’aube
je me glisse et j’ouvre tout mes sens
histoire d’être vivant au monde
aujourd’hui et ici
bien ici
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Capteur d’instants
métier de marcheur
marcher tout ouvert
à l’affût
de quoi ? Dis-tu
et bien
de tout
de rien
absolument tout et rien
se laisser surprendre
du beau
du drôle
du triste
de la surprise avant tout
la laisser te traverser
comme un poème parcourt le corps
pour se poser sur le papier
ou l’écran
te laisser emporter
sur sa vague
surfeur de l’instant
une vague unique
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couette immobile
les nuages somnolent
des rêves bleues trouent leurs
sommeils
désirs d’espace
ou simple cheminement vers l’éveil
leurs paupières se frangent d’aurore
caresse orangée
douceur de l’air
chaque feuille est à sa place
au sol ou sur sa branche
sauf celle-ci
dans l’entre-deux
son petit soupir
le silence
et puis
soudain
la géométrie des étourneaux
le sourire est permis
sans attestation
sans contrôle et sans limite
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l’instant d’illumination
30 minutes après le lever du soleil
sur la mer
il arrive ici
le chêne en face
devient doré
absolument d’or chaud
il caresse mes paupières
quelques secondes
puis le soleil montant
ou bien se cachant derrière une
entrée maritime
il retourne à son ocre automne
à son silence
et je lui souris
tout éclairé

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ciel clair à l’horizon Nord
ciel gris au Sud
les nuages viennent de la mer
l’air froid des pré-alpes de Grasse
les stoppent
à l’aplomb de la première crête
bleu pâle et pur là-bas
de la douceur sans limite
de la douceur ici aussi
je marche sur des tapis de feuilles
luisantes
mouillées
patchwork souriant
voici les étourneaux
leurs géométries spatiales
leurs piaillements
le ciel
respire de vies diverses
moi
d’une vie unique
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éveil
toujours le même étonnement
je
suis
je suis
ici
je suis ici
je ne sais pas toi ?
je trouve ça incroyable
et sachant que je suis aussi denrée
périssable
j’essaie
à chaque instant la joie
entends moi bien j’essaie
c’est ça j’essaie la joie
et dis-moi si tu peux
comment vivre autrement
vivre sans ce désir ?
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dans le quartier de mes douze ans
je marche
et je songe à tout ce qui s’est enfui
l’ombre d’un vélo
ce mur hérissé de tessons
le puits au fond mouvant
la maison hantée avec son bassin à
poissons rouges
l’immense terrain de jeux sauvages
les amis d’alors
les parents
je marche loin de ce quartier de mes
douze ans
et
je songe
que
tout individu avec à la main
une poignée de dizaines d’années
a écrit
écrit ou écrira ce poème
rien de nouveau sous le soleil
tout se répète
à quelques nuances près
celles qu’on appelle l’unicité de
chacun
en attendant le crépuscule
je marche au soleil de mes douze ans
parmi les ombres floues de mes
soixante
je marche au seul présent
de cette vie que je traverse
au passage
Joke on the clock
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Je marche comme un moine à l’aube.
Dans le cloître quotidien. Par des rues en carême. Silence et désert. Mes
pieds jouent aux feuilles d’automne.
Mes mains caressent les arbres.
Chênes. Cèdre. Pins. Acacias. Platanes. Et tant d’autres. Tant
d’architectures différentes. De chants. De lumières. Tant d’univers. Je
lève les yeux et salue Vénus d’un sourire. Lever les yeux. Voir toute cette
histoire d’un peu plus haut que la hauteur d’un homme. Le point de vue de
Vénus sur ce jour sur Terre que je vais passer à Mouans-Sartoux. Avec la
douce incertitude permanente d’atteindre la nuit. Les rouge-gorges me
guident de muret en muret. Je salue aussi la boulangère et le vendeur de
journaux. Je pense à tous ces créateurs de croissants, d’articles et ceux
qui apportent. Toute la chaîne. Tout notre biotope. Dans le bleu clair de
l’aurore Vénus disparaît.
Je marche en jouant avec les feuilles
d’automne.
20
Un premier thé au balcon. Ciel étoilé.
Température froide : 4° au premier étage. Givre au sol et sur les voitures.
Silence. Chaleur du mug. Du thé.
Silence. Une étoile filante. Sourire.
Sourire à cet instant qui n’a nul
besoin de moi. De mon sourire pour exister. L’inverse par contre… un
sourire éphémère aux lèvres. Bien plus longtemps dessiné dans ma
conscience. Je le chevaucherai tout au long du jour cet instant comme un
cadeau. Comme une rencontre improbable entre l’univers et moi. Entre deux
histoires aux échelles différentes. Deux instants, comme un échange de
regards, comme deux éclats de lumière partagés

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lundi matin
les autos roulent à goudron bruyant
je respire le frais de l’aube
un corbeau croasse son étonnement
d’hiver bleu
je songe à Corto Maltese et ses
ombres
très fraîche cette aube
je marche sur un croustillé de glands
une fraîcheur d’encre noire
un rouge-gorge sautille à mon côté
le gris léger du ciel vire au bleu
lent
d’autres oiseaux dont je ne reconnais
pas les noms
le bleu s’affine et multiplie ses
plumes
le soleil me touche
je m’arrête
je regarde l’espace
des étourneaux volent à chêne perché
c’est un lundi matin
frais de novembre
la vie
et la joie en chemin
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le rouge-gorge au balcon
sautillé lumineux
léger
m’interroge
comment a-t-il découvert
le galet aux miettes de
croissant ?
et si son espérance de vie est à 18
ans
est-ce le même depuis toutes ces
années ?
ou bien sa descendance ?
et dans ce cas comment s’effectue la
transmission ?
et si c’est un autre
retour à la question une
tant de mystères entourent ce balcon
le lézard
les tarentes
les araignées
les fourmis
les escargots
les gingkos biloba
et les joubarbes et
...
tant de mystères sous les yeux
si aveugles
tant de secrets à écouter
mug de thé en main
et sourire en coin
23
4.14 am
cinq degrés au balcon premier thé
yunnan
les étoiles vibrent les lucioles de
Grasse clignotent
grand silence
l’hiver vient
je le respire et l’attends
de skis fermes
24
la brise bleue soleil dans les platanes
du boulevard
l’agitation sonore des ocres d’or
je cherche un mot pour le définir
crissement
non
fruissement
comme le ruisseau sous les pierres
non
crépitement
peut-être
un doux crépitement de reflets dorés
le vol d’une feuille au vent
son unique vol
pas vraiment
à terre le vent poursuit son jeu
la feuille ronronne à ses caresses
des instants comme celui-ci
la Terre en connaît depuis qu’elle a
inventé la feuille
et ne se lasse pas de les offrir
à quiconque lève les yeux et les
oreilles
entre ce platane
cette brise et moi
l’instant est unique
et j’en ronronne en écho
comme un chat solaire
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je cherche la faille
où faufiler mon souffle
et libérer ma cage thoracique
de cette oppression
qui la taraude
la faille où retrouver l’espace
et gonfler mes poumons à son écho
une bergeronnette du canal
en ouvre l’accès
je la suis des yeux jusqu’à retrouver
le ciel
sur l’eau
flotte un reflet
bleu nuage entremêlé de branches et
de feuilles
de silence aussi
le silence du canal silencieux
ce reflet interroge le réel
la présence
le passage
celui de l’eau
celui du marcheur
celui du nuage
celui du reflet
les ombres flottent elles aussi
quand je marche ainsi
je suis intemporel
juste moi et mon corps
ce corps qui flotte aussi entre deux
instants
conception
arrêt du service
un cri de goéland me souvient la mer
je suis des yeux son plané
silencieux
heureux
26
la
mer est toujours la mer
vent
d'est hier
des
surfeurs en kite
ballets
de voiles
du
gris du vent
et
les gingkos de la croisette plein d'écus
pleine
lune à présent au balcon
froid

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yunnan de pleine lune au balcon
silence de hibou
Grasse joue aux lucioles
l’air vibre ses froids
le ciel ébloui ferme ses étoiles
juste la lumière lunaire
et le silence
de hibou
je l’ai déjà dit je crois
mais lui aussi se répète
dans la nuit
la lune première de l’hiver
répand ses froids
figent les jardins de givre
silence
une gorgée de thé
chaleur de vivre
©Patrick Joquel
Novembre 2020
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