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ARCHIVES SALON

 

Mai-Juin 2020

 

 

Invité : Ara Alexandre Shishmanian

 

« … avec des lointains mystérieux nous traversons le désert... »

 

Le pilote noir, extrait de son dernier volume

et quelques poèmes inédits

 

(*)

 

 

Dany-Madlen Zărnescu, Mister / Mystère

(photographié d’après son premier album paru à Bacau, Roumanie, 2013)

 

le pilote noir

un être obscur – un pilote noir nous abandonne et nous accompagne toujours – même dans les noyaux du blanc • une obscurité fine comme l’ombre d’un léviathan monstrueux dont nous n’arrivons pas à sortir – mais que nous écartons seulement de nous progressivement, ainsi qu’une circonférence brumeuse •

l’océan crie du sang blanc et je réalise brusquement que le mur de brouillard au-dessus de l’océan est toujours l’océan – sa pensée profonde et mystérieuse qui nous entoure telle une intention en suspension – signe ou guide • les mêmes spasmes lumineux traversent l’organisme aquatique et les caillots vitreux de l’air – pleins de tant de fantômes blancs – comme si nous-mêmes en fantasmant nous nous embrumions dans le plasma ectoplasmique qui nous entoure • mais plus étrange encore – le spasme de lumière se figeant tel un ange mort – ou un cœur de lueur qui cesse subitement ses battements – une neige-cendre s’écoule du ciel en passant à travers nous comme par un tamis d’air • oui, en nous polluant le cerveau et le corps entier avec les résidus de quelque combustion abyssale • la neigée continue en des secondes immobiles jusqu’à ce qu’elle efface avec du blanc nos silhouettes sur les eaux • l’horreur du blanc des autochtones des ténèbres – dents rouges – dents noires – dents blanches • des signes inscrits – les veines de l’océan • ou un velours au triple fil de solitude étanche • 

à nouveau la sensation étrange de poursuite cryptée • le pilote obscur qui nous guide en nous pourchassant • parmi les glissements de fuite des limites élastiques • l’eau marine se couvre de densités oniriques – le brouillard doublé de sommeil se faufile hors de nous • les échos me caressent – le cerveau est le parfum le plus enivrant des fleurs – ou leur super-corolle étrange • nous ne pouvons nous réveiller du cauchemar qu’en un cauchemar encore plus riche en pétales – marches-pétales •

la lévitation ainsi que l’invisibilité sont de la nature de la nuit • la bête-fauve de neige labyrinthique dont le cadavre nous avait accueillis telle une prédiction sur l’eau – nous apparaît à nouveau, portée par les veines de l’organisme océanique • morte elle nous était apparue alors – mais nous comprenons maintenant que la mort, c’est sa sémiotique – son amniotique vie • la créature semble nous regarder avec le blanc cadavérique de sa fourrure soyeuse – avec l’écarlate coralien de ses croques et de ses griffes – et même, c’est à l’instant que je le vois, avec ses petits yeux rouges – en nous fascinant de submersion •

avec nos veines de plus en plus pleines de sommeil nous nous inclinons peu à peu vers nous-mêmes • peints tels des images de taciturne et apathie • nous semblons entrer en glissant dans la densité destinale du rêve – avec sa veille maligne • nous nous endormons dans la neigée des métamorphoses – souvenir lointain d’un autre éveil – et le blanc inonde notre texture – et nous nous taisons dans le blanc en nous effrangeant embrumés • et nous ouvrons les yeux sur le trouble d’un océan couvert de créatures à la fourrure blanche et soyeuse – comme si la mort elle-même se présentait à nous dans une chlamyde, en souriant somptueuse – et nous pénétrait les yeux en même temps que l’océan sur lequel nous flottons – revêtus de notre effilure de signes •

nous nous élevons toujours vers une éclipse qui fait grandir en nous sa migraine d’absence • et nous tombons en amas de cendres blanches qui s’écoulent d’un incendie invisible du ciel • les lèvres d’une cataracte muette nous absorbent et le sud abyssal nous accueille avec ses infinies nébuleuses – aussi pâles que les hallucinations du nacre •

si l’orgasme était une substance ou du moins un fantasme visible tel le mirage ectoplasmique d’un médium en transe – à même de nous caresser le cerveau avec ses velours troubles – il ressemblerait pour sûr à ces orgies d’écume infinie dont l’océan semble neiger à l’envers du ciel qui le lèche avec les rouleaux d’un écroulement sans fin • le grondement de notre éveil muet • ou peut-être avec la vague blanche du sommeil qui annihile dans une veille relative l’extérieur et rend l’intérieur méconnaissable • banquise caressant de néant sa fonte instantanée • anéantissement d’un rideau de géants •

nous passons par une énorme clepsydre ouverte entre le ciel et la terre • le pilote noir plane au-dedans de nous pareil à un passé enduit d’obscur • le fantôme de quelques îles noires ou blanches – des abysses blancs ou des abysses noirs – albedo et nigredo voguent simultanément dans la voie de notre traversée – une trajectoire scintillant d’obstacles • huit ou neuf ou douze – les nombres fondent hyalins dans mon regard – comme l’un et le même incertain indiscernablement identique •

des guerriers sombres dansent autour d’une bête-fauve gigantesque – entrent et sortent – oui, en dansant ils traversent une tente qui n’est en fait qu’eux-mêmes • ils passent à travers son corps accueillant et enfoncent leurs dents noires dans sa chair nocturne tels des guépards qui s’abreuveraient uniquement de la nuit •

le délire du sommeil isole mon cerveau et dans l’obscurité il brille tel un phare de veille – délivré de la paupière rhinocéreuse du cortex • la neigée noire des dés inonde mes pas – et il me semble avancer à travers une aliénation de gageures qui ne me regardent pas et pourtant nouent mon ombre •

 

Dany-Madlen Zărnescu, Dialog / Dialogue, 2008

 

***

le pilote noir est le fauve – la tiare – et le roi – paupière des guerriers • au-delà de lui le néant tel un œil d’une brillance insupportable – un œil cuirassé d’aveuglement – me versant par anéantissement sa lave de cristal •

les îles nous traversent à l’instar d’un délire d’insomnie – une insomnie qui nous écorche de toutes les apparences en nous rejetant toujours – oui, en nous avortant – autrement éveillés – sur la rive étrangère du naufrage • nous traversons les îles ainsi qu’un caillot de neige – notre barque fend cette substance poreuse que nous respirons – et mangeons – et buvons • comme si nous traversions d’immenses îles de manne – à travers elles, incontinente, une voix nous parle et une écriture incompréhensible vomit sa procession le long des tunnels délirants des yeux •

toi, privilège de la révélation qui nous éteins avec ta fureur incomprise • qui craches sur notre ébahissement ta folie • qui projettes sur nous telles des malédictions la vengeance de tes révélations inextinguibles • tu veux éteindre en nous la quête avec des souffles déments de vérité • et nous errons perdus parmi les hurlements nuageux de ta voix de solitude • ta neigée sèche cache en nous les méandres du labyrinthe • et nous sommes deux – nous sommes trois – huit – neuf – ou dix-neuf – selon la manière dont nous multiplient les vibrations de la terreur polaire avec laquelle tu nous respires •

épuisés, nous nous écroulons dans l’abîme que les lettres du naufrage appellent sagesse • et d’autres îles de neige sèche se coagulent sous notre regard – des îles que nous traversons à l’ouïe aveuglée • épilés des migraines et de l’âge • nous marchons en éparpillant nos miroirs et nos ombres et nous planons dans notre respiration tétanisée • un éclat insupportable paralyse du regard nos poumons pensants • et le temps s’écoule de nos pores ainsi qu’une invraisemblable sueur de secondes •

des îles de signes – des bio-signes structurés en bio-mythes – nous accueillent toujours sur la voie de notre compréhension et nous abandonnent dans nos voiles – nus comme des araignées de sagesse • les jours passent à côté de nous – à travers nous – étranges paquebots d’indifférence – envoyés vers le sud – et avec des lointains mystérieux nous traversons le désert dont nous sommes assoifés – abusés • et les îles sont désert – et les îles sont brouillard – neigée elles sont et cataracte blanche de cendres • et les îles sont en nous et dans notre délire – et dans le silence qui nous entoure comme la perdition d’un aigle incendié •

et nous secouons la neigée de la peur par l’entremise du pilote noir dont avec terreur réticente nous nous éloignons • nous errons parmi les îles – par des isolements d’amnésie et d’anesthésie – par des seuils de nous-mêmes en fait • et nous nous rattrapons enfin avec tout ce que nous avons perdu • et huit – et neuf – et douze roulent à côté de nous – roulent à côté de moi – et les îles telles des radeaux d’air – ou un aveuglement de neigée – oui, la neigée dense, patiente du labyrinthe •  

le pilote noir n’avait jamais été plus près en jouant au-dessus de moi de ses ailes ténébreuses de lettres • funeste était le livide de l’océan – signalant avec ses éclairs froids et cérébraux la proximité d’une ressemblance dissemblable •

une étincelle gigantesque unissait l’abîme du mésonge avec le cerveau des silences célestes – d’où je glissais moi-même dans l’enlacement de neigées inversées • les eaux déroulaient au-delà du commencement et de la fin leur souveraineté crépusculaire • phare étranger, je ramenais mon lointain caché près des lointains extra-visibles • sous des tombées oubliées, le profond inondé des averses du blanc – vissant en moi sa neige nébuleuse de lune pulvérisée • les secondes immenses pareilles à des doigts titanesques montraient sans cesse les lèvres obscures par lesquelles l’espace vomissait les cataractes de l’altérité paradoxale de temps arrêté •

 

Dany-Madlen Zărnescu, Catrinţă / Cotte

(exposition et lancement d’album, Bacău, Roumanie, octobre 2015)

 

***

l’océan en flammes avait appelé de ses abysses uraniens une stalactite de cendre • des bras de nébuleuses embrassaient mes yeux – des coupes éclatées autour des sphères célestes • saignaient en elles tous les chemins accumulés par les millénaires de métempsychoses • et comme un miroir brisé par des fenêtres labyrinthiques les cataractes du blanc montraient simultanément – telle une calvitie transcendantale – leurs origines béantes – et les migraines de quelques fissures sinueuses à travers lesquelles se laissaient percevoir les lumières de l’imaginaire et les figures troubles du chaos • hécatonchires aux corps de tourbillons et aux visages de vent syllabique – cueillant dans les méandres des mains les avens tels des fruits • et ruinant en des élévations fantastiques les architectures insensées des souffles – treillis de caillots pré-temporels, hideux de fascinante beauté • mésonges aux tours babyloniennes pareilles à des lettres suintant l’étrange – aux pyramides hypnotisant d’hybris les regards perplexes des dieux – sculptant avec des orgasmes d’horreur leur insomniaque sérénité • typhons cycloniques sécrétant des reptiles de ténèbres parmi les hémorroïdes de la rébellion – barbouillés de pestilences scatologiques, de tartare et de dragons spermatiques • égorgeant de terreur les dieux comme des ailes déconstruites par les envols de la douleur • ouranos ébranlant ses cercles dans l’océan comme un rugissement primordial de testicules incandescents • creusant dans la laitance du brouillard les obsessions mono-schizophrènes de l’abîme… •

bizarre, bien que l’architecture de ces cités d’horreur, de mirage et de brume flotte – elle semble néantmoins engloutie et le labyrinthe cherche uniquement des clefs pour ses portails oniriques • horloges aux heures des délires paralysés • le pilote noir des cadrans fous fige à travers la neigée des temps ses menaces • et les nuées des archipels d’obscurité déclenchent une invasion de signes – réécrivant en sphinx les programmes abyssaux des avens •

sorti du moi (mais non encore du soi) – je scintille dans les vides du miroir – cherchant un rivage – socle pour une aphrodite noire – coagulée d’une autre écume • mes yeux – les nôtres – de qui – s’avancent en barque ainsi qu’un graal plein du sang des regards • et le miroir vide dont les images glissent dans les ténèbres projette par volées les regards du blanc – en accueillant avec limite les noyades incertaines de l’ombre • la brume telle une fourrure blanche, soyeuse de livide – ou un plumage plus cadavérique que les énigmes ectoplasmiques du blême • d’immenses textes muets avancent leurs vagues d’occlusion – sombres écumes de signes du tréfonds • et les cris des trêves blanches cueillent dans la barque pétrifiée les âmes intimidées à mort de la quête •

comme crie le blanc – sans même un regard vers les pupilles terrorisées des clefs • et comme il soulève en vastes tas les gerbes gigantesques de ses cils – meules ou chaos indéfini de lignes – inondant notre image photographique d’insolite et d’inverse • et les caillots de nombre de la bête nous poursuivent jusqu’au seuil de l’annihilation • comme si le râle ultime de l’agonie de tous les ordinateurs fouettait nos apparences mécaniques – l’intellect des grincements succombant sous l’avalanche des oranges aléatoires •

et soudain la cendre, l’ombre des incendies, s’est éteinte telle une gaze d’étincelles • et dans la cataracte des portes blanches ont pénétré, en écume, les pupilles des clefs • les rideaux des neigées se renversèrent en des embrassades effrénées de papillons abyssaux – torrent bestial de corolles • et en orgues orgasmiques s’affaissèrent les vagins tels des geysers de fulgurance infinie • alors que la quête toute entière se déversait sur les pentes de la découverte – colère d’électricité blanche blanchissant sa neige dans l’héroïne aveuglante de la stupeur • et les éclairs en pente des sentiers se ruinaient en des égarements intensifiés par l’attente – et dans la soif spasmodique des labyrinthes éteints et rallumés par le songe • et toutes les artésiennes des firmes lumineuses de toutes les mégapoles réunies en une manie unique vomissaient leur lave évanescente – dévoilant en des fissures gigantesques – aux gangrènes d’ombre – leurs déluges de blanc – flots blanchis du blanc blanchissant • déalbation sortant toujours de soi et quittant telle une coquille sombre sa lumière – naissance obscurcie par de nouvelles connaissances – brillance humiliant par des éternités toujours plus fraîches l’ouvert qui se referme derrière elle •

un blanc tellement néant nous envahit avec l’approche du soi – et des nourrissons naissent d’autres nourrissons dans la mort soyeuse de l’ombre • car à peine né le nourrisson est la coquille d’une naissance infinie qui se renverse dans le vide • et l’œil engendre non un regard aveugle mais un autre œil toujours plus blanc – et le voile glisse dans le visage et le visage, dans le voile – telles des narines asphyxiées par un cri de déalbation •

ainsi le blanc pur n’est jamais celui-là – le noir non plus – mais seulement leur tendance ambiguë • et le bloc pur des sommets – infinis de neige insondable – nous fait communier aux rayons seulement, non au soleil caché • l’invisible est plus éclatant lorsqu’il se dévoile en nous-mêmes et non en un autre – comme si, en nous traversant, nous nous dépouillions des images des miroirs – insaisissablement l’original enveloppant la transcendance catoptrique •

… et les vagues de la brume – les avalanches hallucinantes de la vapeur et l’océan de veines étrangères – labyrinthe organique de l’illusion – se retirèrent d’un coup dans la réceptivité brutale de la transparence – et l’exile du mirage abandonna mon nombre dans l’abîme • et seul je me mesurai à l’obscurité – et seul je me mesurai à la lumière • et seul je vins à ma rencontre enveloppé en dense – et en blanc – et en méconnaissable •

et seule surgit à ma rencontre la Mère dévêtue de ses mirages – brillant d’une vérité qui me brûlait et me nourrissait de ses seins • et me noyant dans les geysers de révélation du lait en lequel je me perdais en me trouvant – me retrouvant • seul je me suis oublié dans une décomposition infinie – en m’endormant d’endormissement – et encore en me roulant de sommeil en sommeil •

et on aurait dit que je rêvais encore et encore était mon rêve – et je me réveillais inondé de la soif enivrante du désir – m’écroulant dans le papillon abyssal – si riche en mésonges – du vagin éternel – et pourtant avachi de naufrage sur les rives désolées – de spasmodique verre noir – de la stérilité • et le visage hypothétique de la Mère m’envahit avec des spasmes infinis – orgasme orgiastique comme d’un aionion de coïts conglomérés • et s’éteignit en congères de hurlement blanc de silence • car la Mère était le dernier masque du Père – et le Père, le masque de la solitude qui me reconnaissait – entre tant de méconnaissances •

et c’était moi, mon moi de non, le profond – m’accueillant éternellement et m’attendant en des appels de rejets •

je me retrouvais en m’aliénant et j’étais en toutes ces infinies sentes vomies et dans le néant qui les vomissait • et tant de rayons lunatiques – des ailes de chevelures défaites – blanchissant – blanchissant • et tant de brumes désespérées de solitude me pilotant à l’obscur vers le Soi de Non-Soi • 

 

Poème extrait du volume Les non-êtres imaginaires, L’Harmattan, 2020

(traduction du roumain : Dana et Ara Alexandre Shishmanian)

 

 

Dany-Madlen Zărnescu, Grădina mânăstirii / Jardin du monastère (1)

(exposition et lancement d’album, Bacău, Roumanie, octobre 2015)

 

haillons à la place des étoiles

haillons à la place des étoiles – bizarres syllabes caressant mon chemin de prière • boucles de verre dans le ciel de sourires • près de toi-même – le poumon de l’envol avec lequel tu changes ton apparence • l’aile avec laquelle tu te penses autre • les rafales du bleu – trop aléatoires pour un conte • sous les paupières du vol – quel regard se cache • sous la fenêtre des ailes-de-feu • quelles voiles orbes neigent à travers le décor de la nuit – de la mort • en méditant leur ombre • la bouche noire parle blanc – souffle des miroirs et des glaciers • la main noire ouvre des fenêtres magiques – boit avec les doigts les empreintes des hauteurs • la morte enchantée paye d’un rayon son dernier passage • sort de sous la peau une chemise noire – étrange voilier d’haillons en lequel elle pleure •

 

l’aveugle aux ailes bleues

l’aveugle aux ailes bleues • il vole avec le noir – avec les pétales de l’étouffement – avec la souffrance narcotique des aimants • la glace de disgrâce, les nourrissons la portent en morceaux • le poète cueille sa nausée au plexus solaire • étrange manne d’un désert psychologique • bénie sois-tu dépression des dégels • aux larmes suspendues aux parois de l’abîme – là où le ciel même craque sous le tréfonds • le rien – sous le ciel effacé – où le chaos se boit • vin insatiable • où l’aven de la fleur jette son masque alocal – et tu cueilles ma nausée dans la larme aigue de ma gorge • des tonnes de rouge dans l’évanescence du cristal • la panique des clartés • et la couronne d’épines de la mono-schizophrénie d’uranium • l’île de noir – lorsque l’homme s’égare dans le minotaure • partout l’absinthe vieux mésonge d’amertumes en lequel je dissous avec obstination mon cerveau – la pétale où mon écriture m’oublie • et l’antenne avec laquelle je capte des dunes stellaires • peut-être un mot à l’escalier plus blafard – et à nouveau les marches qui s’écoulent sur mes joues •  

 

le chemin argenté

ce chemin argenté de larmes • où un escargot géant abandonne son labyrinthe • l’esseulé entend encore tes seins froids tels des astres • l’abîme s’approche de moi – à travers moi – furtivement • et mon cœur est plein de Non • mon cœur plein de l’Un • les clefs sont les enfants de l’interrogation • lorsque je m’endormais sur des patines – tu m’as été infinie patinoire • funambule des mots – au vert flexible pareil à des nuits du rêve • hélas, si mon silence pouvait encore parler – maintenant que la mort fauche les neiges •     

 

les hiéroglyphes de l’extinction

la barque remonte la rivière de sang – de la mémoire • jusqu’à ce que – mystère et instant – le néant la boit • le silence est comme une paroi de l’abîme – et la longue note nostalgique du dernier crépuscule • oui, le xylophone de la mort – gravier de cœur blême • je suis le couchant et quand je brille et quand je m’éteins en chlamyde d’automnes • quand je brille d’aveuglant éteignement – quand je m’éteins de flétrissante brillance • en des franges de labyrinthe – en mésonge de miroir • des neigées sont les battements du cœur jusqu’à ce qu’ils se perdent au ciel • scintillent à travers choses les hiéroglyphes de l’extinction •

 

le déclin des tours 

les ombres grandissent dans le déclin des tours – dorment, à la tour en obscur déclin • les haillons s’envolent sur des bourrasques – dorment, en déchirant le masque des vents • écorchés par le rêve – crucifiés par des croisées de chemins – ces noms suintant de pétales • écorché par le rêve – crucifié par des croisées de chemins – personne, dans la barque crevée des questions • la réponse est aveugle sous la pluie des mots – telle une fleur du vide •

 

peut-être une porte

peut-être une porte de neigées vers un décor de cendres • brin de mésonge pour la magie de l’enfant • et une parole par trop aveugle pour le labyrinthe • la barque violette naît de l’eau – remonte son bois de retour à travers la lumière figée • sans, le mélancolique – de personne approche son mystère • jean enveloppe en immortalité et or son cerveau éclaté • trop basse la tombée du jour pour l’échelle du suicide – à la vitre déjà décédée •       

 

pleurs des miroirs 

des miroirs transpirent – pleurent en des coupes occultées • en des instants cachés – comme emmurés • un temps enduit – à la paupière pleine de larmes • un mythe écorché par une compréhension trop véridique • un monde raconté à nouveau et toujours par un aliéné aux lèvres collées • ou peut-être un chien qui se dessine tout seul en disparaissant • une mélodie des paradoxes • plus libre – au fur et à mesure qu’elle s’entoure de mort • en planant sur des visages absents – sans s’efforcer encore d’espérer – les méconnues •

 

le chemin retrouvé

je guette des syllabes comme un caillot d’ombre • les pelotes du sommeil traversent l’écran de brume du mésonge • je cherche une clef dont la porte c’est moi-même • elle reste toujours fermée – peut-être parce qu’au-delà d’elle je ne devine que doute • je marche sur une neige narcotique • je traverse l’enfer ainsi qu’un miroir – le styx, ainsi qu’une pâleur de larme • je tiens entre mes doigts la feuille noire de mon cœur – en légalisant chez le notaire, mon droit à l’île • maintenant que j’ai rasé du désespoir de mes joues la chambre d’au-delà du rêve • le chemin retrouvé sur lequel ne voyage que le vide • 

 

Extraits du cycle inédit Haillons

traduits du roumain par Dana Shishmanian

 

Dany-Madlen Zărnescu, Grădina mânăstirii / Jardin du monastère (2)

(exposition et lancement d’album, Bacău, Roumanie, octobre 2015)

 

(*) Ces textes sont illustrés de peintures-collages de Dany-Madlen Zărnescu (1950-2014), artiste roumaine dont nous avons fait connaître quelques œuvres dans Francopolis (mai 2015, nov.-déc. 2019). Pour mieux la connaître, voir sa fiche de référence internationale sur ce site (en anglais), et pour les lecteurs roumains, les articles parus à l’occasion des expositions Dany-Madlen et Gheorghe Zărnescu en avril et octobre 2015, et en octobre 2019.

 

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Ara Alexandre Shishmanian a quitté la Roumanie pour des raisons politiques en 1983. Historien des religions, il a publié des études sur l’Inde védique et la Gnose en France, Belgique, Italie, États-Unis, Roumanie. Il est l’auteur de 21 volumes de poésie parus en Roumanie depuis 1997.

Après Fenêtre avec esseulement (2014) et Le sang de la ville (2016), Les non-êtres imaginaires (sorti en mars 2020) est son troisième recueil traduit en français, tous parus dans la collection Accent tonique de L’Harmattan. Sur ce récent volume, voir dans notre précédent numéro un essai-présentation et une note de lecture.

Ara Alexandre Shishmanian a également publié des poèmes dans des revues sur papier (Poésie/première, À l’index, Intervention à Haute Voix, Concerto pour marées et silence, revue, n° 13 - 2020) ou en ligne (Recours au poème, Capital des mots, Poésie pour tous, La Levure Littéraire, La toile de l’Un, Le Pan Poétique des Muses, Francopolis), ainsi que dans des anthologies (L'éveil du myosotis, 2014, Les poètes et le cosmique, 2015, Les Poètes, l᾿Eau, et le Feu, 2017, éditées par Jean-Pierre Béchu et Marguerite Chamon, D’écriture en écriture, 3e tome de l’anthologie des auteurs de la Gazette de la Lucarne, 2015, Anthologie poétique de Flammes Vives 2016, volume 1). Trois poèmes traduits en anglais par la poétesse québécoise Flavia Cosma sont parus en juillet 2016 dans la revue internationale en ligne Ragazine. Enfin, l’anthologie Gefährliche Serpentinen. Rumänische Lyrik der Gegenwart, de Dieter Schlesak (Edition Druckhaus, Berlin 1998) inclue un poème traduit du cycle Priviri (Blicke).

Parmi les chroniques à ses précédents volumes en français, citons : Gertrude Millaire (Francopolis, octobre 2014), Roselyne Fritel (Le temps bleu, 26 avril 2015), Guy Chaty (Poésie/première, n° 62, septembre 2015), Monique W. Labidoire (Poésie sur Seine, n° 90, décembre 2015), Marilyne Bertoncini (Recours au poème, 30 juin 2016), Antoine de Matharel (Poésie sur Seine, n° 94, avril 2017), Patricia Laranco (Recours au poème, 30 septembre 2017), Martine Morillon-Carreau (Poésie/première, n° 74, septembre 2019).

 

 

 

Salon de lecture :
Ara Alexandre Shishmanian

 

Francopolis, mai-juin 2020

 

Créé le 1 mars 2002

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