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SALON DE LECTURE

 

Automne 2024

 

 

 

Camille Aubaude

 

PARISII

(*)

 

Une image contenant texte, Visage humain, affiche

Description générée automatiquement

 

Extrait d’un recueil inédit à découvrir en son intégralité dans notre  Bibliothèque Francopolis, n° 12

 

(*)

Posant l’énigme de la violence en 2024, ce recueil s’inspire du parcours de la crypte de Notre Dame. Des merveilleuses abeilles laissées pour compte aux sphynges de l’Hôtel de Salé dans le Marais, les gens qu’on ne voit pas sont mis sous les projecteurs de l’actualité, tandis que les lieux appellent à une vision poétique. Événements et lieux sont interchangeables.

(…)

Paris, où j’ai glané ces récits au début du XXIè siècle, est une mégapole faite de villages.  Elle n’a pas un, mais trois visages : ses monuments, ses jardins, et un visage secret, celui d’Isis patronne des Parisii, le peuple gaulois qui naviguait sur la Seine.

L’émerveillement de ce visage fait échapper au « spectaculaire » lifté, dont les mises en scènes prolifèrent. Parmi ces visages, j’ai reconnu le Paris qui n’est pas montré, qu’il s’agit de deviner et dont le plan est donné dans mon Mythe d’Isis (Paris, 1997), la continuation de la légende de Paris ville d’Isis.

(…)

Je vous décevrais si je peignais Paris. J’ai choisi de transcrire des paroles glanées — brèves de comptoir. Ma technique est celle du tissage, par lequel se fixe la couleur des fils. Les graffitis et les chansons de Paris sont tout à la fois mes rêves-mystères, mon livre de l’heure, mon voyage en Orient, la fragile forteresse de ma poésie résistant à la compassion.

Revenez apprendre ce qui se cache dans les ondines enveloppées des anciennes énigmes. Le retour est une belle façon de comprendre le présent du monde. Sous forme de Serpent, Isis parfait les visages de Paris. 

Les « images » autant que les voix humaines font foi sur la terre où le chant ouvre grand les Cieux. 

 

Nota Bene – J’utilise à faible dose l’écriture inclusive pour explorer la parole mutante des années 2020.

// le point dironie, redécouvert au Musée Carnavalet, remplace les smile tellement usités dans une société dépressive.

 

L’autrice

 

Toi, Paris viens répandre tes songes dans mes jours et mes chambres.

— Il est un endroit où la joie, la lumière se diffusent.

— C’est la Folie, c’est la Mort.

— Amour et Sagesse veulent atteindre le port.

— La course est pleine d’embûches si jamais tu t’endors.

— Ô Paris infortunée, je t’épouse tendrement, humblement, avec fidélité.

— Sois magique et vivante, je célèbre ton passé !

— Et renais chaque jour dans les arcanes du Ciel.

 

Prince, les Prudents de jadis sont nimbés de souffrances.

Les heures de gloire sont ton envie,

Et les amants des nues empourprées de l’Aurore.

La Déesse joute avec le Ciel.

 

 

1 – Abeille

 

Les Parisien-nes ressemblent aux Abeilles terrassées par les pesticides.

Leurs cerveaux déconnectés par la pollution — ozone, monoxyde de carbone, particules fines — oscillent d’ouest en est pour s’égarer dans la grisaille. 

Les Parisien-nes portent leur miel aux Reines noires du monde des géants d’Apple. Elles œuvrent, durant leur vie terrestre consumée dans des thérapies faites de spectacles.  Les artistes étrangers disent qu’il n’est pas d’autre ville pour présenter « une offre culturelle » si importante. 

Leurs coups d’éclat masquent le fait que nous respirons mal dans la nuit sale des pandémies et des maladies dégénératives (fibromyalgie, Parkinson, Alzheimer, maladie de Charcot, cancers multiples, etc.), dont la violence sournoise nous phagocyte. Nous tombons comme les abeilles.

La Mairesse actuelle dont le nom renvoie au Quichotte publie un livre où elle écrit qu’à Paris aujourd’hui « ON MEURT DE POLLUTION ». Hier aussi.

 

Quel rôle joue l’État ? Qu’attend-il des citoyens en leur offrant des « Arches citoyennes » dans des locaux d’hôpital ?

Mes gestes se déconnectent, mes pensées se divisent. J’erre chaque jour dans une léthargie qui m’empêche de donner mon miel. Dans cet état où je ne tiens debout qu’à force de tremblements, je peux me mettre en colère, crier, revendiquer.

C’est comme si j’étais étendue dans la salle de réanimation d’un des hôpitaux délabrés que l’État met en vente : Saint Vincent de Paul, où était mon éditeur L’Ours blanc, l’Hôtel-Dieu, près de ma maison, et à Villejuif, Paul Brousse, où ma mère souffrait en gériatrie, parmi tant d’autres qui souffraient encore plus, hurlant leur désespoir. La gériatrie devient l’abécédaire des citoyens, des Parisiens, de « l’humain » à la langue parasitée.

 

Les terres agricoles empoisonnées accueillent nos formidables bâtisseuses, les merveilleuses abeilles qui pétrissent et chauffent la cire là où c’est utile pour faire du miel. Elles deviennent folles au point d’aller vivre à Paris, leur refuge, car l’être humain n’y déverse pas autant de pesticides que dans les campagnes.

Faire du miel à Paris, c’est comme faire de la poésie… 

Il y a eu deux cercles de fortifications, sous les rois Charles V et Philippe Auguste. À présent, les voies périphériques constituent les fossés de la ville de plus de deux millions d’habitants. Il y aurait sept millions d’habitants en banlieue. On a dit aussi quatorze. On ne sait plus compter.

 

*

*      *

 

Rue Marat à Ivry, des barres de béton doublent des rails de métro : ces cages à lapins érigées par des idéologues, ces blocs de béton me font regretter les alvéoles des ruches modelées par les pattes-outils des abeilles.

Je dîne chez des enseignants-chercheurs que le prix des logements parisiens oblige à habiter à moins d’une heure de la Sorbonne et du Quartier latin. Les commerces qui les alimentent se nomment « Robinson ». 

Des ruches au miel fade et sans saveur. 

L’État vend du « bio ». 

 

Ivry, Évry, Créteil, Montreuil, Massy Palaiseau : les villes nouvelles sont pensées sur le même modèle qui nie la mélodie sombre et envoûtante de Paris. Personne n’a le droit de rien dire.

La beauté de l’être humain ne peut se révéler dans l’espace public, où les actes de purification deviennent des projets culturels liés « à l’occupation transitoire » de lieux en attente de rentabilité, avec le grand outrage de dédaigneux « logements sociaux ». 

 

La pâleur des gens, leur haleine fétide se mêlent aux volutes de la pollution. Alors qu’au IIe siècle, Lutèce conservait le Feu, en 2024, lors des Jeux Olympiques, l’exceptionnel talent de Paris est sous le signe de la réduction : réducteurs de têtes, réducteurs d’espace, réducteurs d’avenir et d’espoir. Les décombres de la Porte Maillot montrent que la Paix des Jeux Olympiques est sous l’emprise de la violence.  

Les criminels passifs sont les plus dangereux. Les citoyen-nes doivent montrer leur QR code pour rentrer dans ce qui reste d’appartements habitables, pas encore convertis en hôtels, en commerces ou musées.

Le pouvoir veut un peuple sans histoire(s) ni bric-à-brac. Ni baguenaudes, ni ballades, ni folâtries, ni fatrasies  Les idéologues se défoulent en spéculant sur l’entassement des cités, qui tout à la fois divisent et grossissent, tandis que Harpocrate, dieu du Silence, pose son index sur ses lèvres dans une ruche mal aérée. 

 

Revenue au cœur de Paris, quel bonheur de glaner des paroles dans les cafés près des monuments, même quand on est asphyxié de polluants. Des chansons tournent dans les têtes comme des milliers de lunes qui déroulent dans la ville leur voile éblouissant.

Les cloches de Notre-Dame sonnent à toute volée non pour une fête mais pour saluer la visite du Président des États-Unis d’Amérique. Un des hommes les plus puissants du monde a pris un avion géant parce qu’il avait un rendez-vous   

Parisiens-Parisiennes ne savent pas que la toute première cathédrale gothique va brûler, que sa flèche va s’effondrer, que toute cette dévotion va se réduire à un « jeu de la feuillée », quelques scènes, quelques sketches, ou de la poésie en brèves de comptoir, comme sous Staline, poète lui-même 

 

*

*      *

 

Je vois un arc-en-ciel comme une porte ouverte sur l’azur où les abeilles volent en huit : elles indiquent à leurs congénères la source du pollen qui les fait vivre. 

Parisien-nes, Banlieusard-es, peuples lacustres des Philippines : des alvéoles s’agglomèrent sur la planète, comme autant de ruches travaillant et se déplaçant dans les airs.  

Je deviens esclave de l’identité que je me suis forgée au mépris de la chair, et pour rompre le pain de la solitude.

La ruche du centre de Paris est livrée à des destructions sans précédent, des travaux pour les Jeux. Alors jouons maintenant… Pareils aux abeilles mâles, les ouvriers doivent habiter des baraquements précaires sur les chantiers. Les trajets en lointaine banlieue coûtent cher et le sort des abeilles mâles qui meurent après l’accouplement n’est pas enviable                            

J’ai arrangé ma ruche par intuition, pour ne pas me consumer en secret.  

Les Parisien-nes qui continuent à vivre au centre de la ville sont considéré-es comme riches. C’est pourquoi les logements exigus qu’ils ont achetés très cher sont dévalorisés par les logements sociaux, comme furent expropriés par les grands capitalistes les travailleurs courageux et honnêtes dans Les Raisins de la colère.   

Ceux qui restent par amour de l’histoire de Paris, de l’architecture et de la beauté n’existent pas pour des promoteurs qui n’ont jamais assez, ni pour les politiciens sans émotion. 

Alors ils partent, appauvris par les impôts et les charges, abrutis par le bruit, pour ne pas mourir de pollution à Paris.

 

 

2 – La guerre-mère

 

Septembre 2015, encore une rentrée des classes. 

Ah ! l’émerveillement, le monde magique de l’enfance qui mène au succès. De la classe de sixième jusqu’aux séminaires de doctorat, j’ai donné. Je n’ai pas envie de dire à ceux qui ont maintenant l’âge de vingt ans : « Devenez professeurs ! » Sept surdoués sur dix sont en échec scolaire. 

En 2024, deux postes sur dix sont pourvus. Pas fous.

 

Revenons en 2015 où l’on a la naïveté de croire que tout se remet en place… j’ai parlé des visages de Paris, la face ravie, des joues grandioses et les écrits qui nous libèrent des outrages qu’élabore la loi du plus fort. 

 

Des êtres sans famille, sans pays, seuls mais voyageant en hordes envahissent les pays riches de l’Europe — riches et endettés, beaux et pollués, forts et captifs de l’énergie. Sur les visages des réfugiés, j’ai vu tout ce qui m’a renvoyée au mythe d’Isis, une réserve de beauté magique. Quel édifice a présidé à la construction fragile de l’Europe pendant huit siècles ? Quand la toute première église a offert un grand foyer intello, est née la Sorbonne qui a rayonné sur le monde. Et l’Europe a édicté des lois. 

 

La version « migration » est celle que nous donne l’État. Jusqu’à la Révolution, les restes de la Patronne de Paris, Sainte Geneviève qui a transmuté Isis, ont été promenés dans une châsse qui figurait une église. Ils ont brûlé les os, l’église et ont portant réussi à rédiger les Droits de l’homme, blanc-seing aux martyrs, aux guerriers, aux terroristes, tandis que les pacifistes convaincus sont jugés comme des traîtres et tués, au mieux, internés. 

Telles les femmes créatrices qui refusent d’obéir.

 

Septembre 2015, rentrée des classes, mimétisme de la violence, rébus de la guerre « mère de toutes choses » (Héraclite). Les vigies de notre civilisation évaluent l’afflux des réfugiés en Europe entre janvier et août 2015 à 380 000 âmes. Notre Dame dont la première pierre a été posée en 1163 tremble pour sa Forêt. Les fabricants de discours ne parlent pas de guerre. Ils savent choisir le moment.

 

*

*      *

 

En quoi les « révolutionnaires », enseignés à l’école laïque, publique et obligatoire participent au geste fondateur ?

Exilée de mon propre chef, mais agie par la société (études de lettres, révolte, viol collectif, etc.) à dix-neuf ans, à une époque où le trauma était montré mais pas quantifiable, je vis la tristesse des migrants en pensant aux ossements de l’Isis parisienne, volés ou dévorés, comme le cœur des Chrétiens près de Palmyre. Ces hommes ayant quitté un pays en guerre n’ont pas subi le mal absolu, comme la femme déshonorée parce qu’elle n’a pas été vendue à plus fort qu’elle, et qu’elle n’a pas cédé. Lors des fêtes de Noël, je vois sur une amie les effets du scandale du viol des jeunes Allemandes simplement armées d’une banderole « Willkommen ». Cette amie psychiatre apprend la nouvelle en voiture et s’émeut. Ne faut-il pas les tuer, puisque la guerre est mère de toutes choses ? Un autre grand penseur laïc et obligatoire, Lao-tseu, se singularise : « Moi seul je diffère des autres hommes parce que je tiens pour précieux de "téter la mère" » (XX, traduit par Étiemble). Il devrait se taire. On ne peut rêver à voix haute.

 

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*      *

 

Dans la ville phare de Paris, qu’est-ce qu’un crime de guerre ? Quand sur les murs on montre les visages des victimes du 7 octobre 2023, des gens arrachent aussitôt les affiches. 

Ah oui, on a beaucoup végétalisé Paris depuis que la Forêt de l’Iséum a été détruite. Bonne action, à l’heure où la forêt amazonienne est sans arrêt incendiée pour le grand capital mondial. 

 

Et le lot de celles qui ont « fait la fière », comme dans la publicité télévisuelle pour le roundup de Monsanto avant que ce poison ne soit interdit ? 

Crime de guerre, crime de haine, crime sexuel ?

Le bidon de roundup faisait la joie du jardinier dans cette pub diffusée à la messe de vingt heures (le bulletin d’information très suivi en famille). On voyait un jardinier muer en super costaud pour déverser le désherbant sur des mauvaises herbes. Trois fois plus grandes qu’en vrai, plus redoutables qu’une femme, elles se recroquevillaient et d’un coup se desséchaient. Jubilation du jardinier disant : « Ah ! tu ne fais plus la fière ». 

 

*

*      *

 

Un ami écrivain tétraplégique a renvoyé trois jardiniers parce qu’ils utilisaient le roundup. Il s’agit de la version civile de l’agent orange dont Monsanto a pourvu l’armée américaine pour détruire les forêts du Vietnam. Les bien portants l’ignorent. L’empoisonnement des jardins a paru « normal ». Il a fallu des discussions, des collectifs pour écouter la voix des Justes, après des décennies de pratique mortifère.

 

Version de l’État : « accueillons les migrants ». Ils fuient la guerre les hommes désignés par ce mot creux — encore une nov langue, genrée par « désir vital d’humanité »...

Ils abandonnent leur pays pour ne pas être tués.

Par qui, par quelles armes, à cause de qui…?

Des millions d’enfants ne vont pas à l’école.

Les foyers bombardés, les tortures, les massacres, les corps sans sépulture.

Le fils, le Wanderer pleure à l’embouchure de la Seine, bétonnée.

La déesse Sequana était la mère des sanctuaires des Gaules, qui prospéraient hors domination romaine, hors vision du monde chrétienne.

Ô Soif de Mémoire !

Le fils accompli (ben), le fils encore en germe (bar).

Je navigue dans les boucles du fleuve.

 

Liquide qui tue les plantes, hordes de migrants, mauvaises plantes, mauvaises gens, qui se dessèchent comme on desséchait les corps quand les cimetières étaient pleins à craquer... 

Ce sont « les tours du silence » des Parsis en Inde, qui n’ont pas la clarté des Parsis mazdéens, et mes vertigineux jeux de miroirs. 

Alors on interroge l’éternel désir « d’être ensemble », pour dresser un poétique inventaire de l’ignorance.

 

On parcourt, on « avance » sur son petit chemin, serti de morts et de résurrections à la hauteur artistique du grand carnaval. 

 

La miséricorde ? Miserere nobis (ayez pitié de nous). Quid debetur d’êtres humains en haillons ? Ils se heurtent aux grilles des stations de métro de la ville vendue au tourisme, où tout est disponible. Certains ont marché jusque là pour quitter les grandes villes de Syrie. 

On ouvre, on ferme, « fermé la nuit, ouvert la nuit », toujours la double vocation, même pour l’église soustraite à la chrétienneté alors qu’elle est un bien inaliénable au service des humbles que la langue sublime des Psaumes change en héros. 

 

Rien ne change dans les discours de quatre sous, tellement avertis, faussement aimables, paroles de miel et cœur en uniforme des médias, les « grands frères ». 

Aussi maladroits qu’un lépreux gangréné, ils s’affrontent selon le mode rituel des jeux de miroirs, payés par le pouvoir, si mal partagé partout, pour qui veut s’enrichir, croître, conquérir, écraser. 

Agnus Dei.

« Ah ! tu fais la fière ».

Elle fixe l’œil du violeur le teint gris de douleur. 

Tour du silence, forêt de Notre-Dame. 

Elle se recroqueville, desséchée. 

Mauvaises herbes, mauvais peuples, comme jadis les hérétiques brisaient les chaînes de la politique du plus fort.

 

*

*      *

 

Et nous allons quitter la ville des migrations, la ville qui va plus loin que nous.

Le temps de recenser, de photographier pour que « ça ait du sens », la fabrique des messages marche à plein. Les chiffres se succèdent comme les perles d’un rosaire. On re-questionne. La mégalomanie glapit des fleurs fanées et des remèdes d’officines. La surveillance du grand kapital s’exerce sur les écrans, dans les foyers, sans dimension métaphysique. 

 

Il n’est pas un jour à Paris sans entendre un journaliste — lancinant prophète — annoncer que Paris est une ville monde et que la France, c’est fini ! 

Marchands de soupe, qui ne savent pas traverser le Temps.

Paris qui a pratiqué le massacre de quatre mille réformés en une nuit, Paris nourrie d’actes criminels, la Grâce te soit rendue ! Chaque nouvelle génération s’enchaîne à l’argent sans lanterne pour voir le tombeau.

Dis-moi que tu ne t’enchaînes pas à la haute surveillance !

 

Les statistiques quantifient les ravages de l’Europe :  la ruine aura lieu vers 2040. 

Les nécromants rivalisent avec les « soignants » — c’est gnangnan. Les guerriers se jettent dans les flammes, les écrivants se lient à des chaînes au verbe descriptif, tandis que Lucette Destouches est spoliée des textes sur la Grande Guerre par des « résistants » de la seconde Guerre mondiale.

« Leur haine, nos mortes » (slogan 2024).

Forcément aigri, un directeur littéraire voit une jeune femme s’enfermer dans une chambre pour écrire, et s’exclame : « Pour qui se prend-elle ? » 

 

Après le post moderne de l’ère post chrétienne, après la vague migratoire qui émeut pour masquer les profits de la Guerre, qui a prévu le Covid… ?

La maladie, la guerre, l’ère touristique, quoi d’autre ? Les comportements humains surveillés et détruits telle Camille Claudel en hôpital psychiatrique.

Soyons transversaux : toutes sortes de fanfarons s’interrogent sur la perte de sens des valeurs. L’équilibre de l’univers est rompu. 

En Aulide où alla Iphigénie, il n’y a plus Artémis. 

Les artistes exténués sont de bons travailleurs : ils entassent les miettes pour convoiter le grand foyer intellectuel des nouveaux riches. Et le richard rayonne en ce monde, en se branlant au soleil.

 

Blé en herbe, jeune pousse, si elle brille, on la baise ! Barbarella, fantasme viril de la poupée modelable. En profiter.

Roundup, mauvaises herbes, mauvais peuples, femmes bâchées et soumission pour entretenir le grand bûcher de l’édification, par les combats.

 

L’Ère noire boucle le cycle alimenté par les naturocides, ignorés par les « glorieuses » féministes. 

Il n’y a pas de postérité, pas de transmission, on est trop nombreux.

 

Les ultra-moralistes disent que la France n’a pas plus de rêves qu’une ortie. C’est l’ordalie de Notre Dame et l’omerta des jeunes filles quand elles sont brûlées vives dans les poubelles de banlieues encerclées de béton. Un crime de plus. 

 

*

*      *

 

Devenus saltimbanques, hommes et femmes tous égaux revêtent des gilets de plastic jaune à cinq euros. Ils font bloc pour protester aux carrefours réduits en ronds-points. 

Tournez manèges... 

Les manifestants sont heureux d’être ensemble puisque des chefs politiques leur serinent qu’ils doivent « vivre ensemble », et d’autres sornettes pour reproduire les injustices. 

Ils réclament l’entraide, mais l’expérience sensible est prohibée. 

Le jaune fluo, la couleur des cocus, aussi néfaste que le vert, la couleur des fous, se porte pour dire le danger, le drame terrible de l’économie du web qui franchit la ligne rouge.

 

La plante ne poussant pas comme il faut se dresse devant le jardinier : il verse du poison et la frêle petite herbe qui a défié l’homme viril se tord, calcinée. Le « bon civilisé » croit encore que la Nature ne meurt pas.

 

Pour élire un représentant du peuple, il est recommandé de ne pas aimer la Nature à la source de sa propre culture. Au lycée, j’excellais dans les plans de discours, et dessinais sur mes dissertations des visages de femmes. Cette aptitude à argumenter m’a valu les meilleures notes en commentaire composé. J’aidais mes amies du « groupe femme » qui étaient muettes face à cet art littéraire. Les poèmes exercent l’effet d’intimidation d’un sanctuaire. Puis vinrent les sanctuaires d’Isis, les figures de l’Inconnu, les lieux dont l’atmosphère magique invite à méditer sur la fidélité à la joie divine. 

Dans la crypte de Notre Dame, le port de Lutèce ressurgit en images virtuelles. Un écran inébranlable est capable d’élargir la vision. Ce vers quoi nous tendons, au-delà des ruines, est le retour vers la mer. 

 

 

3 – Sphynges tourelées

 

Lasse d’être cloîtrée dans mon bureau, mal oxygénée, mal nourrie, ne pouvant me régénérer, je sors dans la rue Beaubourg. Les embouteillages exhalent des gaz toxiques. 

Je rejoins des rues plus calmes du Marais. Les murs des Archives de Paris s’érigent contre le bruit. Je me retrouve rue de Thorigny. La haute porte bleue de l’Hôtel de Salé, le « musée Picasso » brille dans le ciel.  Ah ! la beauté majestueuse des édifices de Paris… Deux sphynges protègent l’entrée. 

À quelques mètres de là, une mendiante est recroquevillée sur le trottoir. J’ai du mal à reconnaître une femme. Elle disparaît sous une étoffe noire. Hélas, c’est une femme, voilée, non par vertu, mais pour tordre le regard sans finesses des passants.

 

Le spectre est agité. Les mains tendues, il frappe les pavés. Il se courbe vers le sol puis se relève au rythme d’un lamento. Son visage inondé de larmes est fou. 

« C’est trash », disent les passants.

Ces bobos (bourgeois-bohêmes) chassent leur tristesse jusqu’en Thaïlande !

La mendiante s’applique à vénérer le sol. Son affectation devient futile. Sa véhémence jure avec la splendeur de l’Hôtel de Salé. 

Le public du musée Picasso bourdonne en s’affairant devant le balancier humain. Il ne veut pas voir la suppliante, ni les sphynges.

 

Haut portique arc-bouté dans l’air.

Démesure et rigueur, pour la genèse des rythmes. 

Contorsions, stress et cris d’extase sur le trottoir

Veillés par les Déesses au Ciel atone.

 

La mendiante ne s’intègre pas au silence de la lumière naissante.

 

 

Comment sa transe peut-elle redevenir sacrée ?

Elle s’arc-boute pour l’argent, l’argent, l’argent… qui appelle la haine

et n’est qu’une mauvaise plaisanterie.

 

Le public continue d’entrer et de sortir pour admirer les œuvres de l’art contemporain.

Le monde des désirs n’est pas celui des pauvres. Il ignore qu’il transcrit les mirages d’ambitions allant contre la raison, et les dogmes qui livrent les peuples aux sanglots de l’exil. 

L’Hôtel de Salé a été une demeure célébrant l’art de folâtrer sur les lignes de crête de la Beauté. 

 

Ô vous, Fêtes de naguère, riez toujours au Ciel indifférent. 

 

L’azur violet laisse filtrer les ondes muettes des pleurs, tandis que des formes liftées côtoient des images difformes : l’ensemble reflète une lumière pâmée. 

C’est cela : sans attachement à la Terre, la lumière aveugle par uniformité. 

Alors opèrent les géomètres. Aux temps gallo-romains, ils sacraient de vieux outils, les mettaient dans des jarres enfouies dans le sol pour délimiter les jardins.

Terrible rage de destruction des maisons ! L’Hôtel resta longtemps à l’abandon, restructuré dans les années 1990 par des designers. On a raison de se méfier des organisateurs d’événementiel qui ne peuvent être amants des poètes et des écrivains. Le chant funeste de la mendiante dérobe tout cela. Misère et offrande sont toujours fidèles à la démence des dictatures. 

 

Pour quoi creuser avec tant de rigueur le lamento de l’humanité ?

Elle, martelant les pavés qui bornent sa vue

Eux, happés dans le maelström des salles de musées. 

 

Le visiteur regarde ce qui figure dans le parcours muséal. Chaque déplacement en fait naître un autre, comme des averses, de préférence, par la voie des airs.  Atrophie des forêts.  

 

J’ai connu la rue de Thorigny délabrée, quand mes talons compensés claquaient sur les pavés qui luisaient les soirs d’orage. La rue de Laure G. était sombre et remplie de signes comme dans une gravure de Gustave Doré. Elle attirait les marginaux, les asociaux, les yeux affreux des anges déchus. J’adresse un oratorio à leurs chimères, auxquelles ils commandent avec goût. 

Je vivais dans une jolie mansarde de trente mètres carrés au 79 rue du Temple, à l’hôtel de Montmort. J’étudiais et je sortais vers onze heures du soir pour la « ruée vers Laure », pâle néréide aux longs cheveux blonds qui profitait d’une carence administrative pour habiter avec Agathe en face de l’Hôtel de Salé. C’était un de ces taudis de rêves qui défient les spéculations immobilières. L’Hôtel élevait sa sinistre masse de pierres alors que j’étais lasse de me fondre dans la nuit déserte. 

 

*

*      *

 

La douleur de la mendiante a fait ressurgir les sensations de mon quartier du Caire en l986-87. J’étais confrontée à la pauvreté de l’Égypte, la spirituelle Égypte où le mutisme des temples féconde les rêveries poétiques. J’avais filmé une mendiante avec une caméra super 8 dans mon quartier de Garden city, alors que ma famille attendait de voir les monuments. Silencieuse et voilée, enclose dans son éternel paradis comme la poussière spectrale d’une étoile déchue, la Mère de toutes choses est parcourue de flammes aussitôt éteintes dans des gerbes de regrets. Si l’on perd espoir, les sphynges n’appelleront plus les dons du Ciel.

 

*

*      *

 

Dans la cour muséifiée, une musique « space » résonne. Le public ressort anesthésié. Les murs sans fissures, d’une blancheur égale à l’ignorance humaine, repoussent mon regard comme s’il était un chien dont le maître tire brusquement la laisse. Les petites plantes, les concierges les arrachent au karcher, les incendient au rond-up. 

Hiératiques et froides comme des gisantes, les sphynges tourelées ont des corps dessinés à merveille. Elles me contemplent : 

« Viens près de nous ! » supplient ces gisantes.

Elles ont assisté aux massacres des révolutions, elles enseignent qu’on ne peut rien contre elles ni contre la guerre. La poésie surgit que la peur, la honte et l’impuissance changent de bord.

 

Pour ces chimères, je renonce à mourir. 

 

(…)

 

*

*     *

 

La Joie unit la Nuit au Jour

pour aimer le Ciel

où se déploient les Astres

de la Reine des Mystères, Isis

Éveil, Amour ineffable et néant. 

 

Lais et rondeaux

journal et solitude

mythème et salvation

brisure et guérison

musique et renaissance

présence, désir, boutures

du burlesque des rêves

des cellules du corps

des bleus de l’esprit

maturité, où je chante

patience et vigueur

sagesse gnomique

non exempte d’extase

et d’ivresse sacrée

Amoureuse Nature

qui danse vibre

de fééries et de satires

dans le bois des chalets

des masures des taudis de rêve

éclipsant le palais virtuel

d’une autre Naissance.

 

Puisse la Déesse nous sourire !

 

©Camille Aubaude

 

La suite : voir dans notre  Bibliothèque Francopolis, n° 12

(le livret complet, avec une présentation et une notice bio-bibliographique par l’autrice)

 

 

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Poétesse, historienne, essayiste, Camille Aubaude nous offre ici en partage quelques bribes de son univers mythico-poétique, qui se dévoile comme une sorte de palimpseste déployé, comme si des écritures successives vivant dans le temps se détachaient les unes des autres pour s’agencer en des plans fractals, surprenants de brutalité ou de beauté, entrecoupés de faisceaux de lumière sombre. Une lumière impitoyable, qui révèle, avec autant de lucidité que de grâce et d’élégance dans l’expression, les tares de notre temps : recoins cachés, discours vains, illusions manipulatrices. Face à « notre temps (qui) efface à ce point ce qui nourrit au profit de ce qui pourrit », face au « chant des sirènes » glorifiant « le monde unique » qui « gratifie les gens non par l’affect, eux qui sont des gouffres de sentiments, mais par l’argent », face aux « fabricants de discours » qui utilisent tous les slogans du bien-pensisme « pour masquer les profits de la Guerre » – les poètes, eux, « les non profiteurs de guerre », élèvent leurs voix. Au moins, pour les bons entendeurs. (Les citations sont extraites de la 2nde partie du livret).

 

Camille Aubaude nous a honorés avec quelques précédentes contributions dont nous rappelons le Salon de lecture d’avril 2017 (extraits du recueil Quatorze chansons), avec une ample présentation de sa personnalité et de son œuvre, le poème Plainte pour l’embrasement de Notre Dame de Paris au numéro de nov.-déc. 2019, son essai Gérard de Nerval et la tradition isiaque, dans le même numéro à la rubrique Lectures, et enfin, les extraits de son essai sur Francesca Y. Caroutch : Les Soifs, la Licorne & l’inaccessible clarté dans le dossier hommagial du numéro de printemps 2024, à la rubrique Francosemailles.

 

Son site : https://camilleaubaude.wordpress.com/about/ – où nous remarquons la nouvelle édition de son essai Le Mythe d’Isis dans l’œuvre de Gérard de Nerval (Paris, 2023), enrichi de poésies. 

(D.S.)

 

 

Camille Aubaude

Francopolis, Automne 2024

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Créé le 1er mars 2002