La route vers la gare
Nous nous sommes
réunis, nous sommes assez maintenant,
pressés de
commencer sur le chemin de la gare.
La maison est
délabrée, les vêtements passés à travers la vie
sont éparpillés sur
le lit,
la pluie s’égoutte
à travers le plafond
droit sur les draps
humides,
sur les porcelaines
fines, sur de la vaisselle dépareillée.
Beaucoup de choses
ont déjà disparu de la pièce.
Ça se passe
toujours ainsi lorsque l’hôte meurt, le monde vole.
Mais ce n’est rien,
un jour je vais nettoyer par ici
et personne n’osera
plus...
Je suis arrivée sur
la plate-forme, je tiens la clé du compartiment,
je me dirige vers
la droite, puis à gauche.
Je vois des visages
familiers, je demande à un contrôleur
où est ma chambre,
le monde de l’écriture est plein
de pièges, je
rencontre une collègue,
je lui pose la
question aussi.
Elle me regarde
abasourdie, a un accès de colère joyeuse,
« J’ai cassé un
vase de Murano », dit-elle,
« et je vais
en casser encore un, seulement je dois trouver
le vase le plus
approprié ».
Tu es aussi ici mon
amour, me cherchais-tu ?
Regarde ! Je tiens
plusieurs clés dans ma poche
ciselées à partir
de pierres de mer, patinées par les vagues,
mais je ne pense
pas qu’une d’elles va fonctionner.
Quelle est la bonne
clé ? Est-ce que quelqu’un le sait ?
À l’intérieur de la
station, le cœur, le moteur, montre des signes de fatigue ;
Tu t’enfonces dans
des rêves lascifs, la torpeur t’attrape, tu prononces
le mot sexe, tes
pensées tournoient autour du mot sexe
et tes lèvres
s’épaississent affamées,
ton corps est en
proie à une sueur froide et lourde.
Je ne vais plus te
ramasser sur le sol,
je ne vais pas
t‘obliger à te lever une fois de plus.
Je me dépêche de
prendre le train, mais la rame
n’est pas encore
arrivée sur le quai.
The Road to the Station
We have gathered.
We are enough people now,
in a hurry to start
down the road to
the station.
The house is
tattered, the clothes that have passed through life
lie in a pile on
the bed.
Rain drips slowly
through the ceiling
directly to the wet
sheets,
over fine,
mismatched, porcelain plates and cups.
Many things have
already disappeared from the rooms.
This is how it is
when the host, the owner, dies.
People steal,
but it's nothing.
One sunny day I'll clean this place myself,
and no one will
dare...
I arrive on the
platform, I hold the compartment key
in my hand,
I take it to the
right,
then to the left.
I see familiar
faces. I ask a conductor where my room is.
The writing world
is full of traps. I meet my colleague.
I ask her too.
She looks at me in
amazement. She has a fit of joyful anger.
“I broke a Murano
vase”, she says, “and I will break another, once again,
as long as I find
the right one.”
You are here too,
my beloved. Are you looking for me?
Look! I have
several keys in my pocket, crafted from sea stones,
patinated by the
waves, but I don't think any of them will work.
Which is the best
key? Does anyone know?
Inside the station,
the heart, the engine, gives signs of fatigue.
You sink into
lascivious dreams. Lethargy grips you.
You say the word
“sex.”
You think the word
“sex.”
Your lips thicken
hungrily; your body
is invaded by a
cold and heavy sweat.
I'm not going to
pick you up from the floor.
I'm not going to
lift you up again.
I'm in a hurry to
board the train,
but it hasn't yet
reached the platform.
***
La danse des cellules vivantes
« Il se passera peu
de temps avant que
je me défasse des
maladies et des pièges »
De hauts courants
d’énergie me traversent,
m’équipent de
puissances étrangères, salvatrices.
J’ai l’impression
qu’à partir de maintenant
je peux germer de
chaque pierre,
avec mon cœur
sculpté dans la roche
comme ces sapins
imposants
ancrés dans une
poignée de terre,
presque rien,
comme une ballerine
dansant
sur la pointe des
pieds,
et qui se nourrit
d’un regard, d’un sourire
dans la brise de
ses bras fragiles
transformée en une
averse de pluie ;
esprit respirant la
lumière
de la vie secrète
des cellules vivantes.
The Dance of Living Cells
it won't be long until
I will shake myself
from diseases and traps.
Great currents cross me,
endowing me with foreign, healing powers.
I feel like, from now on,
I can sprout from every stone
with my heart carved
in stone,
like the towering firs,
anchored in a small amount of clay—
almost nothing at all,
like a ballerina dancing
on tiptoe,
feeding herself on a furtive look or smile.
In the breeze of her fragile arms
transformed into a downpour of rain,
a spirit breathes light
from the secret life of living cells.
***
Trois heures de l’après-midi…
« Paix pour ceux
qui viennent.
Joie pour ceux qui restent.
Pour ceux qui s’en vont, bénédictions »
Le soleil se lève à trois heures de
l’après-midi.
Les bonnes nouvelles nous inondent de tous
les rapports médicaux.
La beauté se déverse dans le monde entier.
L’amour échevelé
traverse en courant la foret,
ses cheveux grisonnants, vieillis à
l’avance,
se sont embrouillés dans les milliers
de robes de mariées étendues a sécher sur des branches congelées.
Les arbres des deux sexes scintillent,
rêveurs…
Nous nous mettons à l’abri, nous sommes
d’accord
avec toutes les choses.
Nous apprenons à être satisfaits sans aucune
raison.
Three O’clock in
the Afternoon
"Peace to those who arrive.
Joy to those who
remain.
To those who leave, blessings."
The sun rises at three in the afternoon—
Good news overflows from all the medical reports.
Beauty pours over the world.
Disheveled,
love runs through the forest.
Its graying hair, aged way too soon,
becomes tangled in thousands of wedding dresses
spread to dry on frozen stems.
Trees of both sexes sparkle, dreamy...
We take shelter. We agree with everything.
We learn to be satisfied
for no reason.
***
Tu n’es pas un tigre…
Tu n’es pas un
tigre
parce que tu
désires l’être.
Tu n’es pas un
serpent parce que tu l’avais
choisi.
Les crocodiles, les
guêpes, les requins,
n’avaient pas eu le
choix, eux non plus.
Tous sont prêts à
déchirer, à écraser,
à avaler,
à empoisonner.
Sous des peaux
visqueuses,
les anges engloutis
se fanent.
Leurs fourrures
blanches, duveteuses,
se fondent dans le
sang et la boue.
C’est pour cela que
tu t’obstines à ton tour
à faire certaines
choses bien utilement,
à être tout pour
tout le monde,
a déchirer avec
grâce,
et tuer tendrement.
You Are Not a Tiger…
You are not a tiger
because you want to be,
you are not a snake
because you have chosen it,
the crocodiles, the
wasps, the sharks,
didn’t have a
choice either.
All stand ready to
tear up, to trample,
to gulp down,
to poison.
Under a serpent’s
clammy skin,
the gobbled little
angels wither.
Their white, fluffy
furs
disappearing in
blood and mud.
This is why you
strive in your turn
to do some things
well, to be useful,
to be everything to
all people,
to mangle
gracefully
and tenderly kill.
***
À l’ombre du temps
Même eux, les
rattrapent
la vieillesse et la
mort.
Même eux seront
enterres par d’autres
à l’ombre des
fameuses ruines,
parce que toutes
choses finissent
lorsque nous les
connaissons.
Pourtant on dirait
que bien qu’immortels,
les hibiscus
fleurissent sans arrêt,
leurs fleurs
lascives et ébouriffées
m’attendent pleines
de nostalgie
depuis plus d’un an
maintenant.
Under the Cover of Time
Old age and demise
will catch up with
them too;
they will be buried
in turn by others
in the shade of
illustrious ruins,
because all things
come to an end
when you truly know
them.
Although we may say
that
the immortals—the
hibiscus trees
are continually in
bloom.
Their lascivious,
ruffled flowers
longingly waiting
for me
more than a year
now.
©Flavia Cosma

Photo de ©Gertrude Millaire (Québec)
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