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Archives : Vue de Francophonie

Novembre-décembre 2023

 

 

Serge Gérard Selvon : Visite d’atelier.

Un état des lieux historico-sociologique de la pratique de l’art dans l’île Maurice

 

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Description générée automatiquement 

Malcolm de Chazal, Dodo Solaire – gouache

(reproduit du site : http://www.art-archives-southafrica.ch/deCHAZAL.htm)

 

 

 

Postcolonial art is deeply and consciously embedded in historicity, globalisation and social discourse. Enwezor, Okwui. 2003. The Postcolonial Museum - The Arts of Memory and the Pressures of History. Routledge, p. 58.

L’art postcolonial est profondément et consciemment ancré dans l’historicité, la mondialisation et le discours social.

 

VISITE D’ATELIER.

Conversations sur des tendances et des scénarios plausibles de la créations locale chahutée dans une situation de tension entre le post-colonialisme, l’insularité, la contemporanéité, la société numérique et la mondialisation.

 

Visite d'Atelier est un recueil d’entretiens précédé d’un état des lieux historico-sociologique de la pratique de l’art dans l’île Maurice, ancienne colonie. Le long sous-titre explicatif esquisse des positionnements visant à fonder une légitimité et un socle identitaire pour un art contemporain national incluant toute la complexité de notre patrimoine multiculturel occultée pendant toute la période coloniale.

 

L’atelier, laboratoire de notre identité indianocéanienne

L'atelier de l’artiste a toujours été de tout temps un sujet de représentation picturale, et cela, longtemps avant Velasquez. Le célèbre tableau de Velasquez, Las Meninas, est davantage une réflexion sur le mythe de la création artistique que d’une scène anecdotique dans l'espace d'un atelier. C'est peut-être la raison pour laquelle il a été utilisé à plusieurs reprises par des peintres célèbres comme point de départ pour leurs propres images. Il faut citer Goya (1778), Courbet (1855), Degas (1858), Manet (1860), Picasso (1957), Dali (1960), Hamilton (1973).

         

La description dense de Michel Foucault de Las Meninas comme introduction à l’une de ses œuvres principales, Les Mots et les Choses (1998. Gallimard), est devenue pour moi l’objet d’une relecture récurrente tel un bréviaire, une méditation sur l'indicible.

 

Parce que l'activité humaine de création d'un tableau ou d'une image ne peut pas être représentée, la visibilité du semblable se déplace vers la visibilité de sa représentation.

 

Et le lieu de cette mutation, l’atelier, devient en quelque sorte le théâtre de la (re)présentation de la représentation.

 

Vers 2012, période du brainstorming en vue de ce projet d’un ouvrage de référence sur l’art contemporain mauricien que le ministère me proposait, de nombreux colloques scientifiques sur le plan international montraient un regain d'intérêt pour l'atelier d'artiste. Les problématiques autour de l'atelier se déplaçaient au cœur même de la recherche : l’atelier, le lieu de production de sens intimement lié au processus de création ; l’atelier, territoire mémoriel et identitaire ; l’atelier, lieu où se déterminent des postures esthétiques ; l’atelier où se tissent des notions de rencontres, d’appropriations, de relations. L’objectif étant l’atelier artistique qui se muait dans notre patrie en laboratoire culturel au sein du paradigme mondial de créolisation.

 

L’Atelier, l’espace sacro-saint de création sera ainsi le lieu choisi pour aborder des conversations avec 33 artistes sur la complexité de notre contemporanéité indianocéanienne. Le concept des conversations s’inspirera d’un principe popularisé par Andy Warhol dans son célébrissime magazine fondé fin 1969 intitulé InterView. Ce principe consistait à transmettre en vrac des pans entiers de la pensée des créatifs, verbatim, sans filtrage éditorial de leur parole recueillie sur magnétophone. Ce procédé dont s’inspirèrent ultérieurement des légions d‘auteurs critiques contemporains me servira comme approche… ce concept désarçonnera quelques stars de la scène locale accoutumées aux dithyrambes de la chronique culturelle locale peu soucieuse du grand débat de la post-colonialité ailleurs.

 

Hormis trois textes très discutables de curateurs européens qui figurent dans le catalogue de la participation nationale de Maurice à la 56e Biennale de Venise en 2015, il n’existe aucune recension descriptive et évaluative de la pratique de l’art de la période post-coloniale propre à offrir à la recherche l’inventaire de données requises pour une objectivation plausible de l’histoire de l’art de cette période précise. Ces trois textes citent certes d’office les idées-forces des post-colonial studies, hélas, sans la rigueur académique d’une mise en relation factuelle avec notre contexte, mais avec une subliminale condescendance en prime.

 

L’historicisation lacunaire de nos produits culturels signifie la marginalisation sur la scène artistique mondialisée. En réalisant le projet de promotion de l'art visuel contemporain à travers la publication d’ouvrages de références monographiques, le ministère de la Culture se serait distingué en remplissant sa fonction importante d'assurer l'historicisation de l'art postcolonial et ainsi sa visibilité et sa promotion internationale.

 

Ce premier tome, tout en documentant les positionnements des protagonistes de l’art contemporain de l’île, est préliminairement une analyse sociologique de l’évolution de l’art mauricien de l’ère colonial jusqu’à l’art Moderne et la révélation de Malcolm de Chazal par le pape du surréalisme, André Breton.  

 

Malcolm de Chazal, figure emblématique, maître à penser de la transition politico-culturelle, concepteur et prédicateur du mythe d’un imaginaire fondateur n’est peut-être pas un parangon de l’art contemporain, mais son aura est omniprésente, à des degrés variables certes, dans l’articulation intellectuelle et picturale des plasticiens de l’île, même chez ceux qui le renient férocement. Khalid Nazroo, interviewé dans Visite d’Atelier, prend violemment en grippe le poète Khal Torabully qui aurait osé affirmer dans un discours lors d’une exposition au Blue Penny Museum l’emprise totale de Malcolm sur toute la pratique picturale de Maurice. Et n’en déplaise à Khalid, le génie de Malcolm a imprégné la sensibilité de tous les plasticiens de l’île, lecteurs assidus ou occasionnels de Sens Plastique, la faute au Zeitgeist.

 

Mais au fait, la prééminence du concept chazalien d’un art total transdisciplinaire englobant tous les domaines de la connaissance n’est-elle pas un avatar d’une esthétique issue du romantisme allemand (Wagner et co) et récurrente dans l’histoire des arts en occident et… resurgissant en force dans l’art contemporain ?

 

Or, il y a légion de plasticiens qui assument ouvertement leur soumission et créent sous l’empire de Malcolm, quitte à frôler le plagiat, comme Saïd Hossanee. Il n’en reste pas moins que Malcolm de Chazal, clôturant l’ambiance fin de siècle colonial, symbolise un glissement de paradigme, il pénètre par effraction, pour ainsi dire, dans l’imaginaire collectif et s’affirme à bien des égards comme précurseur charismatique de l’art contemporain.

 

Notre grande romancière nationale Ananda Devi, connaisseuse avertie des arts plastiques dont je citais incidemment dans Visite d’Atelier le vibrant dithyrambe de Malcolm de Chazal qu’elle a adressé au Louvre lors d’une conférence à l’invitation de Jean-Marie Le Clézio, et cela, bien avant l’avalanche de prix et de reconnaissances honorifiques qui lui ont été dus entre-temps, nous a bienveillamment autorisé d’en publier l’intégralité du texte inédit intitulé Dialogue Rêvé.

 

Ce dialogue onirique avec Malcolm de Chazal dont je n’en connaissais que l’annonce médiatique, n’apprenant le contenu et l’envergure de sa pertinence culturelle que tardivement après son obtention du Doctorus Causa de l’université de Silésie, quand, suite à mes recherches, Ananda m’en a transmis le manuscrit.

 

Ce Dialogue Rêvé apparaît ainsi comme la résonance d’une affiliation spirituelle à des idées que révèlent en sourdine Visite d’Atelier et une mise en bouche à l’époustouflante préface qu’Ananda a réservé à notre ouvrage.

 

Dialogue rêvé, par Ananda Devi

(cliquer pour lire)

 

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La montée en flèche de la réputation littéraire de notre compatriote est documentée par With Eyes Wide Open, Video publiée sur YouTube, où le recteur de l’université de Silésie, Ryszard Koziotek, confirmait la rumeur de l’éligibilité de Ananda au Nobel qui s’ébruitait dans le milieu littéraire international. Et la série de prix littéraires internationaux de renommée qui a suivi en 2023 : le Prix de la Langue Française 2023 et le Neustadt Prize 2024, nous font encore apprécier davantage le regard d’initiée des arts plastiques qu’elle porté sur notre ouvrage, dont elle a rédigé la préface.

 

Préface de Visite d’atelier, par Ananda Devi

(cliquer pour lire)

 

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On misait sur la publication de Visite d’Atelier si magistralement préfacé par Ananda Devi, pour la mise en lumière de notre singularité et de la pertinence anthropologique de notre post-colonialité. Le livre aurait pu nous servir de référence dans le monde de l’art. Malheureusement notre ouvrage n’est pas une priorité pour les instances décisionnelles de notre ministère de la Culture…

 

La volte-face et la non-publication injustifiée du premier tome de l’ouvrage de référence sur l’art contemporain mauricien après une décennie de report est une déception majeure pour les plasticiens postcoloniaux. Ici, un extrait d’un des chapitres de notre ouvrage.

 

Extrait de Visite d’atelier : « Le 21e siècle est glissant »

(cliquer pour lire)

 

Une image contenant statue, sculpture, art, bronze

Description générée automatiquement

Serge Gérard Selvon, Pèlerin, œuvre numérique imprimée sur toile et rehaussée de peinture - 100x75cm -2006

 

© Serge Gérard Selvon

 

 

Photo reproduite de la page Facebook de Serge Gérard Selvon

 

Serge Gérard Selvon. Bénéficiaire en 1963 d’une bourse d’études allemande du DAAD, Deutscher Akademischer Dienste, Serge Gérard Selvon étudie de 1963 à 1968 les arts plastiques, la sociologie de l’art, l´histoire de l’art et la science des arts à la Hochschule für Bildende Künste, la Kunstakademie de Düsseldorf. Après l´obtention de la Erste Philologische Staatsprüfung en 1968, exerce de 1968 à 1971 au Royal College Port Louis, République de L’Île Maurice. De 1972 à 1974 il reprend à Düsseldorf des études universitaires pour être habilité à enseigner dans le secondaire et le tertiaire et exerce de 1974 à 2006 en Allemagne dans des institutions secondaires de l’état et en fin de carrière dans la formation des professeurs stagiaires de l´enseignement. Serge Gérard Selvon est membre actif de la KunstVerein (Association d’artistes) de Düsseldorf et expose régulièrement ses œuvres en Europe et ailleurs.

 

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©JF PAGA. Photo reproduite de la page d’autrice d’Ananda Devi sur le site des éditions Grasset

 

Ananda Devi. Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises en 2014, Prix de la langue française 2023. L’écrivaine mauricienne a publié des recueils de poèmes, des nouvelles et des romans, dont Ève de ses décombres (Gallimard, 2006, prix des Cinq Continents, prix RFO), Le sari vert (Gallimard, 2009, prix Louis Guilloux), Le rire des déesses (Grasset, 2021, Prix Femina des lycéens, Grand Prix du Roman Métis), Sylvia P. (Éditions Bruno Doucey 2022, Grand Prix de l'Héroïne Madame Figaro 2023 – Roman étranger).

 

 

Serge Gérard Selvon

Vue de Francophonie, novembre-décembre 2023

Recherche Dana Shishmanian

 

 

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