J’avais un morceau
de pluie entre les bras
paru dans « Anthologie de l’eau » de Antemanha_
J’avais un morceau de pluie entre les bras
Il était tombé comme une branche
Comme un arbre au milieu du chemin
Il avait figé mes doigts
Et mes doigts le soutenaient à peine
Tendus tels cierges d’églises
ou mendiants d’un tableau de Brueghel
mes doigts peinaient à soutenir le morceau
qui s’agitait
secouait le silence
C’était un petit silence qui jouait une partition
dans le plus grand silence
Et les choses s’étaient tues
comme elles se taisent dans leur ignorance coutumière de
l’autre
Ainsi une entité presque animale
se démenait dans le grand mystère des indifférences
Ainsi était tombé entre mes bras un morceau de pluie
qui jouait au vivant et agaçait la compassion
Le bouleau
D comme
Délicatesse
D est vive
Passe sur la plaine
La plaine est vineuse
écrasée
Si loin je suis
Si loin si
près
que je la vois
D qui passe là-bas
Tête haute mains vaguelettes
elle agite fils d’argent
soie ambrée
Dans les joncs elle s’évapore
Un chien jappe le malotru
Une ombre une aile un frisottis
En filigrane elle s’échappe
Mes yeux brûlent à la guetter
Sur chaussées de ciel et d’étangs
d’indigo en traînes marbrées
je la suis fluide
calligraphe
et l’abeille qui s ‘en émeut pique d’or
ses pudeurs grandioses
D’où viens-tu Dame mystérieuse
de quel exil de
quelle douleur
féline d’aube et crépuscules
portant écheveaux de silence
Dans la nuit somptueuse
tu cueilles
une à une étoiles filantes
Une à une sur tes
longs poignets
sur tes dagues
tes transparences
étoiles se posent
et s’effacent
Tendresse
succulence
je te goûte te
chante
et jusques aux
blessures consens
que tes dagues acérées m’infligent
L'ombre et la mer
On ne voulait pas
voir
à l’ami sculpteur Maurice Legendre
poème paru dans la
revue Concerto pour marées et silence
On ne voulait pas voir
celui qui dans la nuit venait
chargé d’espoir
poussait la porte
frappait criait
sous les étoiles
ne comprenait
Et au matin
près de ses vignes au chemin doux de Bois carré
se retrouvait
Si peu de temps à le revoir
Ne voulait pas savoir
qui se perdait
dans son grand champ
et dans sa ville
Ni voir ni savoir ne voulait
Car il régnait
de pierres fortes
et de menhirs
pressoir crapaud maillets taillants lime perceuse masses
haches ciseaux
accouplés deux à deux
trois à trois sur les souches
arrachant à notre œil
éclats de faille désir
où engloutir l’espace et les orgies de lune
Ces blocs couvés
par lui
Longtemps
Entrer dessous le voile
Extorquer au trouble d’une glaise
la grâce d’un vivant
au chant de pierre hoquetant
ce regard
aux falaises brutes
brèches inespérées fentes ruines copeaux
abîmes
Bruits lentement audibles
De plus en plus
Et rugissants
puis rien
Présence nue
Permanence
d’accord
de tous les accords et de toutes les bouches à tout
jamais
ouvertes
Ouvertes
témoignant
Paupières de faux morts
Gorgones (1)
La maison perdue
Pour la maison perdue
Je franchirais les blés
et à cheval démolirais leur blond de cendre
tracerais fosses charbonnières où
iraient pleurer les grenouilles
Pour la maison perdue
je me détournerais
je choisirais ce petit bois
le chemin de la Guerjaudière
J'irais
Trois bleuets à la main
Gorgones (2)
Bouche (variations)
Plus rien n'écrire que ta bouche
qui danse
forme des arabesques sur le grain de ta peau
érige des collines
devant le feu vivant de paroles
oubliées
bouche bouge chante rit
Rien
Rien de plus rouge qu'un ciel d'hiver
Le ciel est rouge comme une bouche
et l'homme marche sur la bouche d'un ciel d'hiver
Il tend les bras sur cette bouche
Il parle dans les branches de ce ciel rouge
Le ciel la bouche
vont bien ensemble
Le ciel parfois dans la bouche se réfugie
il dort
et c'est la nuit
ils se reposent l'un en l'autre
Parfois brille la bouche
Rubis éclate sur fond de cyan
une pâte douce à mâcher
La bouche s'ouvre
étend sa chair mollement
et persévère
le ciel rosit
Bouche et le ciel ont du plaisir
le sang du soir
La bouche sang qui le dévore
c'est le ciel bouche
Le ciel couchant
Le ciel d'amant
Le sol qui danse
Vers le cœur de
merveille
Rubis coupes fleur de lys
trois hirondelles
Dans le jardin secret des fleurs extravagantes des élans des soupirs
des feuilles orangées
des fruits ronds des
abeilles dans une cheminée
un chat oreille coupée regard étrange qui demande tendresse
un chemin submergé deviné
des hôtes affublés de noms phosphorescents et tremblant
d'apparaître
et des maisons sur pilotis
et ta bouche buvant
l'Autre qui te respire te baigne assaille
Il fallait brasser tout cela marcher dans la forêt
fiévreuse et
rire
de toute l'attente de toute la ferveur qu'elle endigue de cette crue
de ces ruisseaux
de cette présence oscillante
blanche de brume
aussi douce que neige au regard
marcher
sous une lumière blonde vers la maison à toit aigu
petite en
bois peut-être au jardinet
ouvert sur les croisées les
rails
des grands trains paresseux qui partent reviennent
toujours reviennent
Et la maison dans la forêt t'emporte vers ces contrées qui se dérobent
entre les blés
entre les loups
d'où fourbu et dans
l'impatience tu reviens
pour repartir
et revenir
vers le cœur de merveille
Soleil levant
De la Beauté d'être
poème paru dans la
revue Les Cahiers du Sens
Il y a une broussaille de graminées sur le flot déchaîné
de l'herbe
il y a ces feuilles brochées qui tressaillent
ce fauteuil rouge trempé dans l'eau de l'herbe
Il y a cet arbre dansant qui se croit sur le plateau
d'un opéra
l'oscillation de ses bras Véronèse
Il y a une pétarade un flux d'odeurs une marche
il y a l'intérieur de la maison
il y a l'extérieur
avec le vent
le vent du nord un peu glacé
qui serpente entre les troncs les langues-branches
Il y a les claquements des pages d'un livre
immense
feuilleté à même ton cerveau
Il y a la petite mare de soleil cristal
sur les feuilles tombées
déjà mangées
Il y a le crissement
le bruit de pas de celles qui atteignent le sol
le bavardage d'une pluie lente
Il y a le souffle de la bête
les irruptions
les chaud et froid
les personnages qui entrent sortent
reviennent repartent
tant de discrétions anonymes
Il y a encore des couleurs
Et au milieu de tout cela
des arbres et de leurs branches
de leurs feuilles brochées ou non
Il y a cette chose
immense qui
progresse t'étreint
susurre
phrases inachevées
promet se dédit
sans limites
sans fond
devant toi et
autour
partout
Et cette chose grandit
il n'y a plus de couleur
Il n'y a plus d'issue
Une feuille d'argent très noire bat encore là-bas
en cœur plus sombre qu'Elle
cette chose
qui attente au mouvement simple des paupières
à la circulation du sang
entaille la gorge
ouvre béante et suffocante
la gueule
de Toi devenu
animal
Il y a le souffle
il y a la violence
la blessure de l'incommensurable
Et chaque soir le carmin des figues éclatées
le sang aux confins du ciel
la déchirure et la tornade sur le visage
La peur dans la bouche joie aux larmes mêlée
le saisissement devant
Beauté
Une ombre
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