Janvier-Février 2021
Pierluigi Bacchini
-
Poèmes
présentés et traduits par Marilyne Bertoncini
(*)

Photo de Marilyne Bertoncini
Stagione
Si sente che
ha girato,
basta strusciare
con la gamba la siepe,
anche l'odore delle foglie è diverso, il musco delle pietre,
non so come, è diverso,
è fiorito di gelsomino,
e i tronchi sono già intrisi di una luce
che riconosco
vibra
sulle cortecce verdi
ricorda costiere bianche
di conchiglie rosa e frantumate.
|
Saison
Tu sens qu'elle a changé
il suffit de frotter ta jambe contre
la haie,
même l'odeur des feuilles a changé,
la mousse des pierres,
Je ne sais pas comment, ça a changé,
c'est fleuri de jasmin,
et
les troncs sont déjà
baignés d'une lumière
que je reconnais
vibrant sur les
écorces vertes
elle rappelle de blancs rivages
de coquillages roses et brisés.
|
La Gazza
Come dire scabra,
ramo di pino,
frassino :
dire scontrosa,
scorza.
La
primula,
delicata (e poi non tanto), freschissima,
piena ancora d'acqua acidula
di pioggia,
ed è sbattuta dal vento,
e dalle gelate,
incrudelita,
ma
lei se ne sta
là
un poco gialla,
aperta – e non sa niente,
come anche la povera
gazza
abituata solo al bosco e al dondoliò del ramo, in alto.
E la primula
è abituata solo alla proda,
e solo
a quell'unica stagione.
|
La pie
Comment dire rêche, branche de pin,
frêne :
dire revêche, écorce sèche.
La
primevère,
délicate (enfin, pas tellement), très
fraîche,
pleine encore d'eau de pluie
acidulée,
et battue par le vent,
et les gelées, qui s'acharne,
mais elle, reste là
un peu jaune, ouverte – ne sachant
rien,
tout comme la pauvre pie
qui ne connaît que le bois et le balancement
de la branche là-haut.
Et la primevère ne connaît que la
berge, et seulement
en cette saison.
|
Spazzi
Gli antichi si trasformavano, uccelli
con fronde di lamenti,
e i canti
li ripetevano,
o si sentiva passeggiando
una giovane occhieggiare
ma ormai fatta alloro.
Esistono metamorfosi.
i rami
e ho le dita
di foglie ;
e beviamo i disfatti avi, nel nostro cervello
variamente si aggregano.
E quando mi
circondo il collo di ghirlande
e bacio per consolarli i fiori degli oleandri
bagnati di pioggia, amo me stesso. Con imperturbabilità
gli astronomi hanno strappato schermi agli dèi – e noi
siamo vorticosi moti,
spazi, o mio sole, minimi astri,
o mie microscopiche
galassie.
|
Espaces
Les anciens se transformaient,
oiseaux
aux feuillages de lamentation et les
chants
qu'ils répétaient, ou bien on sentait
en passant
une jeune femme qui épie
mais devenue laurier.
Il
y a des métamorphoses.
les branches
et mes doigts sont des feuilles;
et nous buvons les ancêtres vaincus,
et dans notre cerveau
autrement ils s'agrègent.
Et quand je porte à mon cou des guirlandes
et que j'embrasse pour les consoler les
fleurs des lauriers roses
baignés de pluie, c'est moi que
j'aime. Imperturbables
les astronomes ont arraché aux dieux leurs écrans - et nous
sommes de mouvants tourbillons,
des espaces, Ô mon soleil, les astres les plus
petits,
Ô mes microscopiques galaxies.
|
La mia meraviglia
La curva generatrice della conchiglia
e l'attorcigliamento del guscio
hanno il moto petrificato
della violenza marina
grande forma a uncino
delle ondate temporalesche.
Ma le tenere
ondulazioni del tubo fragilissimo
il rosso e cinereo calcare, privo di una mente
che lo osservasse
ponendolo con cura in una mano -
e il rapporto
amoroso fra la sua curvatura
e il raggio
interno
formano l'orecchio delle altitudini delle Alpi, l'udito
della memoria, con maregiate orchestrali.
Lunazioni delle maree.
Scultura delle dimore del fondo.
L'invertebrato
che l'abitava e che appetiva i sali
scerneva il suo scheletro secondo le più surreali geometrie degli spazi
e le sembianze
dello spirito.
|
Ma merveille
La courbe génératrice du coquillage
et l'enroulement de la coque
ont le mouvement pétrifié
de la violence marine
grande forme en crochet des vagues de
tempête.
Mais les tendres ondulations du tube
si fragile
le calcaire rouge et cendreux, privé
d'un esprit
qui l'observe
en le posant avec soin dans une main
-
et la relation amoureuse entre sa
courbure
et le rayon interne
forment l'oreille des Alpes
d'altitude, l'audition
de la mémoire, et l'orchestre de ses
marées.
Lunaisons des marées.
Sculpture des demeures des
profondeurs
Son habitant invertébré qui convoitait le
sel
percevait son squelette selon les
plus surréelles géométries des espaces
et des semblances de l'esprit.
|
L'Opera
Mi piace la
Terra nel suo volo di
30 Km al secondo
popolata di mostri che corrono
e con colli
lunghissimi
e mostri ridicoli, giocondi, fatti per scherzo
o per meraviglia,
l'otaria,
quel muscolo
di grasso elastico,
o quell'insistente
pinguino,
quando grida col petto il p.
di Magellano.
È il riso di Dio ?
Ma poco dopo – dopo qualche milione di anni
cambiano tutti, non si trovano
più
tutti spenti,
nei tratti ultimi dell'agonia.
- E anche quelli
che appariranno nella profusione
e nell'atrocità
o ricostruiti
nei musei.
E
come può
distogliere l'occhio infastidito ? E dal mare galattico ?
|
L'Opéra
J'aime la Terre dans son vol à 30 km/seconde
peuplée de monstres qui courent
avec de très longs cous
et de monstres ridicules et joueurs,
fabriqués par plaisanterie
ou par magie, l'otarie,
ce muscle de gras élastique,
ou ce pingouin insistant,
avec son cri de gorge, le P.
de Magellan. Est-ce le rire de Dieu?
Mais
peu après - quelques millions d'années plus tard
tous ont changé, on ne les trouve
plus
tous éteints, dans les dernières
phases de l'agonie.
- Et même ceux qui apparaîtront dans
l'abondance
et l'atrocité
ou seront reconstruits dans les musées.
Et
comment peut-on
en détourner son regard agacé? Et de la mer galactique?
|
In collina
Quand’è fiorito
il mare da noi
e tutto
l’azzurro e il vento e l’odore salino
ci portavano l’estate
nel respiro,
e sensazioni
e giovani mimose -
e le bocche dei sorrisi
e la freschezza grida lontane
spume,
allora
con mille parole, col gesto
spezzato
come
in uno specchio rotto, sulle labbra
le tue dita e la luce
hanno sospeso
un bacio, e poi
l’hanno lasciato
libero, e le foglie,
e tutto il viale
dei pini odorava di quei luoghi
|
Dans les collines
Quand chez nous fleurit la mer
et tout l’azur et le vent et l’odeur saline
nous apportaient dans leur souffle
l’été,
et des sensations et de jeunes mimosas -
et les bouches des sourires et la vive fraîcheur de lointaines
écumes,
alors de mille mots, et d’un geste rompu
comme dans un miroir brisé, sur les lèvres
tes doigts et la lumière ont suspendu
un baiser, et puis l’ont laissé
libre, et les feuilles,
et toute l’avenue des pins prenait l’odeur de ces endroits
|
(*)
Extraits de Scritture vegetali
(1999) in Mondadori, Poesie 1954-2013
Pierluigi Bacchini (Parme, 1927-2014) a perdu son père, médaillé de bravoure de la Première Guerre
mondiale, à l'âge de 15 ans, au
milieu du deuxième conflit, et doit évacuer pour échapper aux rafles
nazi-fascistes. Après la guerre, il s'inscrit à la Faculté de Médecine, par
tradition familiale (son père était dentiste) mais abandonne ses études pour
suivre la vocation poétique. Encouragé à écrire d'abord par Salvatore
Quasimodo puis par Carlo Betocchi, il fait ses débuts en 1954 chez
l'éditeur Schwarz avec Dal silenzio d'un nulla, introduit par une
note critique de Francesco Flora. En 1959, il épouse Maria Luisa Rondani,
professeur de mathématiques et de sciences, avec qui il aura leur fils
Camillo. Pendant plus de trente ans et jusqu'à l'âge de soixante ans, il
travaille comme représentant d'un laboratoire pharmaceutique, se déplaçant
périodiquement à Milan, Plaisance, Crémone et Rome. Le premier recueil est
suivi de sept autres volumes de poésie : Canti Familiari, Distanze
Fioriture, Visi e Foglie, Scritture Vegetali, Cerchi d’acqua, Contemplazioni Meccaniche e Pneumatiche, Canti territoriali et un roman, L’ultima passeggiata nel parco..
Ses poèmes sont également
périodiquement inclus dans Almanach du miroir de Mondadori. En 1993,
il a reçu le prix Viareggio de poésie.
Ses vers font la synthèse entre ses deux cultures,
humaniste et scientifique, dans une poésie de la nature où la plante et
l'animal, l'homme et l'histoire sont envisagés dans une dimension cosmique
teintée de tension visionnaire. Il collabore avec les magazines Paragone,
réalisé par Cesare Garboli et Nuovi Argomenti, réalisé par Enzo Siciliano,
ainsi que les pages culturelles de la Gazzetta di Parma. Pendant
plusieurs années, il a collaboré aux projets théâtraux de la Fondation
Lenz. En 1994, il s'installe définitivement dans la villa familiale sur les
premières collines de Medesano, dans la province de Parme, très isolée,
touchée par la Via Francigena, dont une section porte son nom en 2020.
Parmi les études consacrées à sa poésie, on retient les
itinéraires monographies des magazines Atelier et Kamen (2006),
et celles rassemblées en volume, tant par l'Université de Parme sur un
projet de Paolo Briganti (2007) que par Daniela Marcheschi (2009); parmi
les diverses anthologies, Poeti italiani del secondo novecento (Mondadori,
2004), Poeti italiani contemporanei (Mursia 2018) et Mille anni di
poesia religiosa italiana (EDB, 2018); en octobre 2018, une conférence
d'étude sur son œuvre littéraire s'est tenue à Parme. Ses poèmes sont
rassemblés dans le cadre des Mondadori Oscars, sous la direction d'Alberto
Bertoni.
Marilyne Bertoncini
|
Je remercie
infiniment Marilyne Bertoncini – poète, traductrice, écrivaine,
éditrice de la revue en ligne Recours au poème, où elle vient de publier un
groupage substantiel d’un autre poète italien en sa traduction (Luca Pizzolitto) – de partager et faire connaître aux
lecteurs de Francopolis, par le biais de ses
traductions inédites dont nous avons la primeur, ce poète remarquable. Voir
aussi, dans ce même numéro, à la rubrique Gueule de
mots, sa traduction d’un poème d’Erri De Luca.
Nous avons
accueilli à plusieurs reprise la poésie exquise de Marilyne : au salon de lecture de mars 2016, en Coup de cœur de mai-juin 2018, à la rubrique D’une langue à l’autre de mars-avril 2019, pour le
recueil Sable. (D.S.)
|
Marilyne Bertoncini (traductions)
Recherche Dana Shishmanian
Francopolis, janvier-février 2021
A visionner avec Internet Explorer
|