J’ai la sagesse d’un condamné à mort
J’ai
la sagesse d’un condamné à mort :
Je
ne possède rien et donc rien ne me possède
J’ai
écrit mon testament avec mon sang :
« Fiez-vous
à l’eau, vous, habitants de ma chanson »
Je
me suis endormi ensanglanté et couronné de mon lendemain
J’ai
rêvé que le cœur de la terre était plus grand que sa mappemonde,
Plus
limpide que son miroir et que ma potence
Et
je me suis épris d’un nuage blanc qui me prendrait
Vers
le haut
Comme
une huppe avec des ailes de vent. A l’aube
L’appel
de garde de nuit
M’a
tiré de mon rêve et de ma langue :
« Tu
vivras une autre mort
Revois
donc ton dernier testament
L’heure
de ton exécution a encore été reportée »
« À
quand ? » ai-je demandé
« Attend,
dit-il, tu mourras davantage
J’ai
dit :
« Je
ne possède rien et donc rien ne me possède »
J’ai
écrit mon testament avec mon sang
« Fiez-vous
à l’eau, vous, habitants de ma chanson ».
Rien ne me plaît
« Rien ne me plaît, dit un voyageur dans le
bus, ni la radio
Ni les journaux du matin, ni les citadelles sur
les collines.
J’ai envie de pleurer »
« Attends qu’on arrive et pleure tout ton
saoul, répondit le chauffeur »
« Moi non plus, dit une dame, rien ne me
plaît. J’ai montré ma tombe à mon fils.
Elle lui a plu : il s’y est endormi et ne
m’a pas dit adieu »
L’universitaire dit : « Moi non plus,
rien ne me plaît.
J’ai fait de l’archéologie et je n’ai jamais
trouvé
Mon identité dans une pierre. Suis-je vraiment
Moi-même ? »
Un soldat dit alors : « Moi non plus,
rien ne me plaît
Je traque une ombre qui me traque »
Nerveux, le chauffeur dit alors :
« Terminus ! Préparez-vous
À descendre.
Tous lui crièrent : « Nous voulons
aller au-delà du terminus
Continuez donc ! »
Quant à moi, je dis : « Faites-moi
descendre. Je suis comme eux, rien ne me plaît mais je suis fatigué du
voyage. »
Oh passants parmi les mots
passagers !
Oh
passants parmi les mots passagers
Prenez
vos noms et partez
Retirez
vos heures de notre temps et allez-vous-en
Prenez
autant que vous voudrez du bleu de la mer et du sable de la mémoire
Prenez
toutes les photos que vous voudrez pour savoir
Que
vous ne saurez jamais
Comment
une pierre de chez nous peut faire le toit du ciel
Oh
passants parmi les mots passagers !
L’épée
vous revient et nous revient notre sang
L’airain
et le feu vous reviennent et nous revient notre chair
Un
autre char vous revient et nous revient une pierre
Vous
revient la bombe lacrymogène et nous revient la pluie
Et
vous avez votre dû du ciel et de l’air
Prenez
donc votre part de notre sang et allez-vous-en
Vous qui passez parmi les paroles passagères
Vous fournissez l’épée ;
Nous fournissons le sang
Vous fournissez l’airain et le feu ;
Nous fournissons la chair
Vous fournissez un autre char ;
Nous fournissons les pierres
Vous fournissez la bombe lacrymogène ;
Nous fournissons la pluie
Mais le ciel et l’air
Sont les mêmes pour vous et pour nous
Prenez alors votre part de notre sang et
partez »
Du temps où j’étais
jeune et beau
J’avais la rose pour demeure et
les vastes mers pour sources
La rose devint blessure
Et les sources soif
Ai-je beaucoup changé ?
Je n’ai pas beaucoup
changé
Lorsque nous reviendrons comme le vent à notre demeure
regarde bien mon
front
tu verras que la
rose est devenue palmier
tu verras que les
sources sont devenues sueurs
tu me retrouveras comme
j’étais petit et beau
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