D'une langue à l'autre...
et textes
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ou comme prétexte. Traduction.

 

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Archives : D'une langue à L'autre

 


D’une langue à l’autre…

Novembre-Décembre 2021

 

 

Marian Drăghici

 

Poèmes plus anciens…

(II)

 

Traduction française par Sonia Elvireanu.

Traduction en italien par Giuliano Ladolfi

 

(*)

 

Photo de Ghislaine Lejard

d’un autre temps, d’un autre âge poétique

je n’avais plus écrit depuis longtemps.

tout cela était déjà écrit.

sa mort après une décennie de souffrance.

aucun grain de poésie dans ma tête.

quelque peu parti du monde, je fume une cigarette. c’est tout.

 

on est le 5 novembre 1993 vers le soir,

moi, le tombeau frais, la croix simple en bois.

le vacillement des premières chandelles.

une touffe à deux pas du tombeau.

la pensée qu’elle aura des fleurs de cette touffe.

jusqu’alors, les misères de l’hiver, ô, beau sapin, flocons de neige en mars.

j’allume des chandelles.

je fume une cigarette. c’est tout.

 

rentré chez moi brisé, incapable d’autre chose que de dormir,

je me suis allongé dans la chambre des enfants sur le lit encore fait.

et voilà qu’il m’est arrivé de rêver.

je n’avais plus rien rêvé depuis longtemps.

tout cela était rêvé, même déjà fumé.

comme tout y est d’ailleurs : rêvé, fumé.

 

eh bien, j’ai rêvé - en sommeil instantané à l’heure du soir –

un poème divin.

le texte, écrit sur l’air, en lettres claires, dorées,

se déroulait raidement, lentement, implacablement,

de haut en bas, du ciel vers la terre.

 

la sensation que ce texte m’appartient désormais

était prégnante, accablante, extatique.

 

au réveil, cet état incomparable s’est dissipé comme la vapeur.

aucun vers dans ma mémoire, aucun mot.

comme après une jouissance

une défaillance aux entrailles, douloureusement douce.

 

et la fulguration de cette image du texte se déroulant lentement,

effroyablement lentement,

du ciel vers la terre.

 

je tire sur ma cigarette. c’est tout.

 

dans un autre temps, à un autre âge poétique, oh,

alors que je vivais au cœur de la poésie comme dans un halo mystique,

je rêvais souvent des poèmes.

poèmes extraordinaires, divins !

 

au réveil, leur image mentale s’évanouissait avec les derniers

bribes du sommeil.

 

le travail au poème – la cigarette, le café, la page blanche, vierge –

se consommait par des tentatives (tâtonnements) successives

de réécrire le poème rêvé, « idéal ».

une existence plus engagée, plus comblée, le menuisier n’en a pas.

ni l’astronaute.

ni, autrefois, la sage-femme communale.

 

les poèmes du sommeil, dont l’esprit fait la lecture

tel un bain clandestin dans la lumière d’un autre monde,

sont les plus terribles, étranges, tout simplement les plus beaux

que j’ai eu le privilège de lire.

 

à côté d’eux, ceux-ci, écrits/réécrits, y imprimés,

ont les inconvénients (pour ne pas dire les défauts)

des gens en comparaison avec la présumée, éblouissante

perfection des dieux.

 

bref : un tombeau simple d’homme, de femme.

croix simple de bois.

une touffe de lilas à deux pas du tombeau.

au tombeau, sous le vacillement des premières chandelles

(étoilée désormais ?)

la voix avec laquelle j’ai écrit, réécrit

tout cela, dans ma pensée.

 

***  

altro tempo, altra epoca poetica

Non avevo scritto niente da molto tempo.
tutto era già scritto.
la sua morte dopo un decennio di sofferenza.
nessuna traccia di poesia nella mia testa.
in qualche parte del mondo sto fumando una sigaretta. Ecco tutto.

È il 5 novembre, 93, verso sera
io, la tomba fresca, la semplice croce di legno.
il tremolio delle prime candele.
un cespuglio a due passi dalla tomba.
il pensiero che in primavera avrà fiori da questo cespuglio.
fino ad allora, la miseria dell’inverno, o bell’abete, i fiocchi nevosi di marzo.
accendo alcune candele.
fumo una sigaretta. Ecco tutto.

tornato a casa, fracassato, incapace di fare altro che dormire,
mi sono sdraiato nella stanza dei bambini sul letto ancora intatto.
e qui mi è capitato di sognare.
da tempo nulla più avevo sognato.
tutto questo era stato sognato, ma anche svanito.
come tutto, del resto: sognato, svanito.

ebbene, ho sognato – in un sonno istantaneo di sera -
una poesia divina.
il testo, scritto nell’aria, in lettere chiare, dorate,
si dipanava rarefatto lento, implacabile,
dell’alto in basso, da cielo a terra.

la sensazione che questo testo mi appartenesse ormai
era coinvolgente, travolgente, estatica.

al risveglio, questo stato incomparabile èsvanito come vapore.
nessun verso nella memoria, nessuna parola.
come dopo una sensazione gioiosa

uno crampo intestinale, dolorosamente dolce.

e il lampo dell'immagine del testo scorreva lentamente,
terribilmente lentamente,
dal cielo alla terra.


faccio un tiro di sigaretta. Tutto qui.

altro tempo, altra epoca poetica, oh!,
quando vivevo dentro la poesia come in un alone mistico
spesso sognavo poesie.
poesie straordinarie, divine!

 

al risveglio, la loro immagine mentale svaniva con gli ultimi
scorci del sonno.


il lavoro sulla poesia – la sigaretta, il caffè, la pagina bianca, vuota -
si consumava in prove(tentativi) successive
di riscrivere la poesia del sogno, «ideale».
una vita più impegnata, più pienaneppure falegname ce l’ha.
né l'astronauta.
né, un tempo, l'ostetrica comunale.

le poesie del sonno, la cui lettura è fatta dallo spirito
come un bagno clandestino alla luce di un altro mondo,
sono le più terribili, strane, semplicemente le più belle,
tra quelle che ho avuto il privilegio di leggere.

oltre a loro, queste, scritte / riscritte, stampate qui,

hanno le carenze (per non parlare di difetti)

degli uomini rispetto alla presunta, sorprendente

perfezione degli dèi.


in sintesi: una semplice tomba di uomo, di donna.
una semplice croce di legno.
un mazzo di lillà a due passi dalla tomba.
alla tomba, sotto il tremolio delle prime candele

(ormai stelle?)

la voce con cui ho scritto, riscritto

tutto questo, nella mente.

 

Lire l’original roumain ici.

 

quelque chose de plus réel que le néant

 

il existe peut-être

quelque chose de plus réel que le néant, monsieur Beckett,

l’amour d’une femme qui n’existe plus

(la mort ne nous a pas séparés, ni l’oubli)

et que tout d’un coup on a envie de revoir

à tel point qu’on aimerait quitter la terre

 

on quitterait la terre

mais il n’est pas encore temps.

 

il suffit de dire je reverrai bientôt peut-être ton visage, ma bien-aimée,

comme j’ai tant de fois regardé la mort en face

ou probablement de profil

au cours des jours de coup de feu de la révolte

en flânant dans les rues

dans l’espoir de te retrouver,

oui, de te retrouver, oui,

quelque part loin le soir d’après ta mort

auprès d’un petit feu de brindilles, auprès de la source,

 

absolument à l’abri des hommes,

absolument à l’abri des fauves,

au seul éclair des étoiles au-dessus et dans tes mouvements

la grâce de la nudité originaire.

 

***  

qualcosa di più reale del nulla

 

forse esiste
qualcosa di più reale del nulla, signor Beckett,
l'amore di una donna che non esiste più
(la morte non ci ha separati né l'oblio)
e che improvvisamente si ha voglia di rivedere
a tal punto che si vorrebbe lasciare la terra

lasceresti la terra
ma non è ancora il momento.

basta dire che presto forse rivedrò il tuo volto, mia amata,
come tante volte ho guardato la morte in faccia
o probabilmente di profilo
nei giorni tumultuosi della rivolta
vagando per le strade
nella speranza di ritrovarti,
sì, ti troverò
da qualche parte lontano la sera dopo la tua morte
vicino a un piccolo fuoco di ramoscelli presso la sorgente,

assolutamente al sicuro dagli uomini,
assolutamente al sicuro dalle bestie selvatiche,

al solo lampo delle stelle in cielo e nei tuoi movimenti
la grazia della nudità originaria.

 

Lire l’original roumain ici.

 

(*)

Nous avons accueilli le poète roumain Marian Drăghici à cette même rubrique, en septembre-octobre 2018, en édition bilingue (traduction française par Sonia Elvireanu). 

Le groupage d’inédits présenté avant (partie I) est suivi ici de deux poèmes extraits de recueils édités (partie II).

Ces textes sont traduits en français par Sonia Elvireanu, et en italien par Giuliano Ladolfi, poète que nous avons accueilli à cette même rubrique en mai-juin 2021 (traduction française par l’auteur).

 


Marian Drăghici (II)

Voir avant : Marian Drăghici (I)

 

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