Partie I ( octobre 2011)
Partie II... suite novembre 2011
Partie III... suite et fin décembre 2011
LETTRE 7 – ELLE
J'aime
votre façon de voir les choses : une certaine envie de vivre au
jour le jour, une attente de lendemains meilleurs tout en essayant
d'aller vers les autres. Tenter de « ressentir » toute une
palette colorée d'émotions parmi certains, en aimer
d'autres et puis passer sur un chemin plus calme, plus paisible. On
sent chez vous une force intérieure incroyable, une solitude
voulue qui doit rendre la vie agréable et rassurante lorsque
l'on vous côtoie.
Car nous pouvons parfois
être avec quelqu'un et nous sentir seul comme jamais. On peut ne
pas vouloir se laisser aller, tout vouloir contrôler de ses
émotions. Être certain de ne pas perdre pied, de se
diriger là où l'on désire, que l'autre suive ou
pas ! C'est ce que j'ai toujours ressenti avec mon époux. Je
l'ai aimé d'une manière intense mais toujours avec recul.
J'ai revu, il y a une semaine,
un homme que j'avais perdu de vue depuis plusieurs années. Cela
faisait tellement longtemps que je ne lui avais pas parlé,
c'était un peu étrange comme ambiance, un mélange
à la fois de « déjà-vu » et d'inconnu.
Nous nous sommes promenés
la nuit dans sa ville, vers de sombres ruelles et puis il m'a
emmené au fond de l'une d'entre elles. Il faisait froid, il n'y
avait presque pas de lumière à cause du brouillard. Il
m'a plaqué contre un mur et m'a embrassé comme jamais.
J'ai senti alors toute sa puissance masculine, intense et violente et
je me suis « vue », femme fragile qui était en train
de perdre le contrôle. Je me suis sentie submergée
d'émotions et je me suis laissée couler avec stupeur,
effroi et excitation. Ses lèvres avaient un parfum de menthe,
elles se sont faites directives, pénétrantes, ses mains
m'ont effleuré les seins et sont allées explorer encore
plus bas. J'avais peur que l'on nous découvre mais plus rien ne
comptait à part lui, cet homme, grand, sexy comme ce
n'était pas permis, où vouloir devenir sa « chose
» l'espace de quelques instants prenait le pas sur tout. Je
crois que cela faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie
aussi féminine et « vivante ».
J'avais le sentiment que quelque
chose se jouait mais que nous étions impuissants, seulement des
acteurs où tout nous dépassait.
Et puis la peur a prit le pas
sur l'émotion, peur de perdre à nouveau quelqu'un, peur
de souffrir de l'abandon, peur de ne pas vouloir qu'il « remplace
» l'autre. La réalité se porte jusqu'à une
certaine limite. Où distinguer le faux du vrai ?
Personne ne comblera jamais une
certaine partie de mon cœur mais lorsque cet homme est à mes
côtés, je sens que le vide devient impalpable, moins
flagrant. Je crois bien que je l'aime !
Je ne sais pas où je
vais, ni pour combien de temps, mais il y a une seule chose dont je
peux être certaine : je sens que je peux y aller avec lui et que
tout le reste, comme disait mon mari, « c'est de la
poésie... »
TEXTE 7 – LUI
La fièvre de la vie semble de nouveau parcourir vos veines ! Vous m’en voyez heureux !
Cette relation que vous
évoquez, qui vous sort de votre froide solitude et bouleverse
vos sens, est la première porte que vous ouvrez
véritablement vers votre nouvelle vie. Il ne vous fallait
pas que partir, il vous fallait aussi vibrer à nouveau à
travers le regard, les mots et les gestes d’un homme, suffisamment
charismatique pour trouver une place dans l’espace exigu que laissait
à l’avenir votre existence antérieure, dans votre
désert intérieur.
Nos parcours sont assez
dissemblables mais nos réponses aux heurts de nos histoires sont
assez comparables finalement : aller chercher la lumière
auprès d’autres horizons, et à travers de nouvelles
rencontres, même si, dans votre cas, il s’agit d’une personne que
vous aviez déjà connue.
En ce qui me concerne, la lumière a failli s’éteindre !
La Mort a ouvert grand ses bras
pour m’accueillir et je ne sais encore pas exactement pourquoi je ne
l’ai pas enlacée pour l’éternité. Je suis
tombé du bateau lors de la dernière sortie en mer avec
les pêcheurs ! La mer était forte, le vent très
puissant, avec une pluie violente et glacée qui rendait le sol
glissant à chaque pas. Je me suis retrouvé à l’eau
soudainement, après une embardée brusque du chalutier.
Immédiatement, l’eau
froide a envahi ma bouche, ma gorge et mes yeux se sont mis à
brûler et mon cœur a été saisi de douleurs
suite au choc thermique ! En quelques secondes, je me suis vu
perdu : j’étouffais, je tentais des gestes
désespérés dans l’obscurité
déchaînée et chaque mouvement que je faisais
m’entraînait un peu plus vers le fond. J’ai été
pris d’un affolement vertigineux, j’ai hurlé sous l’eau et ma
mémoire résonne encore de ce cri d’effroi sorti de mes
entrailles, puis se perdant dans les flots noirs et agités !
Et puis, tout à coup, une
forme de résignation s’est emparée de moi et j'ai
cessé de m’agiter, de bouger, d’essayer de respirer ; un calme
immense m’a envahi… je me suis laissé aller, je me suis
abandonné. Des visages se sont succédés en
moi, le vôtre y a figuré je crois et j’ai revu des gens
disparus, d’autres à qui j’avais tourné le dos, des
êtres qui m’étaient restés chers malgré mon
départ.
Alors, je l’ai vue, Elle…
Gigantesque, drapée de noir, sereine mais livide, un pâle
sourire accompagnant son regard sans vie… fascinante, attirante,
envoûtante.
Au moment où j’allais me
laisser couler dans ses bras, une pointe de chaleur est montée
de mon ventre… le visage blafard vers lequel je me laissais aspirer a
soudain pris des couleurs, il s’est rempli de lumière et
j’ai vu ma funambule !
Le choc que j’ai ressenti a
été incroyable ! J’ai senti brusquement mes muscles
remplis d’une force phénoménale et je me suis mis
à battre des bras et des jambes comme un forcené, avec
une énergie hors du commun !
J’ai hurlé, je ne sais si
c’était de terreur ou d’espoir, en sortant la tête de
l’eau… mes poumons étaient en feu !
Et puis, une autre
lumière est apparue, bien réelle celle-là, les
pêcheurs avaient réagi à une vitesse hallucinante
et avaient réussi à faire demi tour très
rapidement. Je me retrouvai bientôt agrippé à une
bouée, puis hissé sur le pont du bateau où je
m’écroulai sans connaissance !
L’alcool que nous avons bu
à profusion à notre retour sur terre a fini de
réchauffer mon être et les regards que nous avons
échangés sans mot dire de longues minutes durant
resteront à jamais ancrés en moi !
C’est à ce moment-là que je me suis décidé à partir la retrouver.
Je ne sais trop où elle
et ses compagnons de route se trouvent actuellement mais son visage me
guide… et les étoiles sont si belles dans le ciel !
Lettre 8 – ELLE
C'est
là où je me sens proche de vous, dans cette certaine
dualité qui existe en vous. Une forte attirance vers l'inconnu
et la liberté, mais où la mort est aussi de la partie.
On essaye tant bien que mal
d'apprivoiser cette compagne d'infortune, mais il y a et il y aura
toujours jusqu'au dernier moment une peur... la peur de se tromper de
ce qu'il pourrait y avoir une fois passé la ligne, la peur que
toutes les croyances inculquées de manière malhabiles
depuis notre enfance se retrouvent tellement désuètes
face à ce qui nous attend, la peur de se retrouver seul et la
peur enfin que tout ceci ait été vain. Une fuite
éperdue vers un amour comme vous allez tenter de le faire, il
n'y a que ça qui peut nous montrer que l'on est encore en vie
malgré tout.
C'est ce que j'essaye aussi
désespérément de faire en restant près de
cet homme. Une envie de s'oublier de temps en temps, d'avoir le cœur un
peu rempli d'autre chose que de douleur, quelque chose qui ressemble
à s'y méprendre à du bonheur. Mais si on creuse un
peu, je vois bien que mon cœur ne pourra jamais plus battre au
même rythme que jadis. L'intensité de l'abandon de
soi-même, la fougue des premiers moments ou bien encore le
frisson de ne vivre qu'au présent : tout ça n'est plus
qu'un ersatz pathétique. Car passés les émois de
la chair, il faudrait avoir quelqu'un en face qui puisse deviner un peu
ce que l'on ressent, et ce n'est pas le cas avec cet homme-là !
Votre « funambule »
a t’elle déjà perçue ce qui existait à
l'intérieur de vous ? Est-elle votre « âme sœur
» ? Est-ce qu'elle vous suffira pour longtemps ? N'est-elle pas
le fruit de mirages et d'espoirs auxquels vous aimeriez tant vous
accrocher ?
Je ne vous «juge»
pas, je voudrais simplement comprendre pourquoi les autres (y compris
vous) arrivent avec tant de facilité à se laisser bercer
par les flots amoureux, sans avoir peur. Même s'ils
s'échouent de temps en temps sur des rivages plus sombres, ils
arrivent toujours à repartir.
J'ai bien peur de m'être échouée, toute seule, sur une plage solitaire, froide, loin de tout espoir.
TEXTE 8 – LUI
Je crois
profondément qu’à partir d’un certain moment, il faut
arrêter de se poser des questions. Il faut se laisser porter,
sans chercher à savoir ce qu’il va advenir, sans se demander si
on va (encore) souffrir, sans vouloir maîtriser les
évènements, ou si peu, sans hypothéquer
irrémédiablement l’avenir proche et le plus lointain par
des refus stériles et par trop liés à des
évènements passés.
Au nom de quoi l’histoire se
renouvellerait-elle ? D’une malédiction ? D’une malchance
chronique ? D’un acharnement un peu destructeur que l’on met
soi-même à provoquer la redite ?
Vous ne pouvez effectivement pas
exclure que votre nouveau compagnon de route ne vous abandonnera pas
à son tour en périssant subitement. Est-ce une raison
suffisante pour refouler toute cette vie débordante qui s’est
emparée de vous, presque malgré vous ?
En lisant vos lignes, je ressens
combien vous êtes déjà enivrée par cette
nouvelle histoire, même si vous mettez un soin tout particulier
à laisser croire qu’il n’en est rien, à vous persuader
que vous n’êtes pas, que vous ne serez plus dépendante
d’un amour, et plus encore, de la peur de sa disparition.
Honnêtement, je ne sais
pas si « ma funambule » est l’autre moitié de mon
âme, si elle sera la lumière de mon cœur pour
l’éternité qu’il me restera à vivre. Tout ce que
je ressens, c’est qu’elle me transporte ! Et que depuis qu’elle est
entrée dans ma vie, un souffle brûlant coule dans mes
veines.
Peut-être n’est-elle, ou
ne sera-t-elle, qu’un mirage … pour l’heure, elle m’habite ! Et je me
sens libre ! Je me sens exister ! Je me sens maître de mes choix,
je pose les yeux sur la route que j’ai envie de suivre ! Et cette route
me conduit vers elle… si tout va bien !
Je m’y rends, par tous les moyens de locomotion possibles qui s’offrent à moi !
C’est souvent l’occasion de
belles rencontres. J’ai voyagé à bord d’un camion qui
transportait des moutons vers de nouveaux pâturages ; j’ai encore
l’odeur des bêtes dans les narines et leurs bêlements dans
la tête. Le conducteur était un homme incroyable,
conduisant le camion le jour, écrivant des poèmes la nuit
en buvant du whisky de sa propre fabrication.
Je me suis retrouvé dans
une voiture conduite par un homme qui emmenait sa femme à la
maternité : elle était sur le point d’accoucher et s’est
agrippée de toutes ses forces à mon bras durant le
trajet. Je sentais le regard inquiet de l’homme dans le
rétroviseur, soulagé d’avoir quelqu’un pour le seconder !
Je répétais sans cesse « respirez… respirez…
soufflez lentement… » en essayant d’avoir l’air le plus
détendu possible !
J’ai gardé le bras endolori pendant trois jours.
Je suis aussi remonté sur
un bateau et je vous avoue que j’ai longuement scruté le
bulletin météo avant d’embarquer et que je n’ai pu
empêcher quelques gouttes de sueur couler le long de mon front.
Il y avait un vieil homme sur ce bateau, il fixait l’horizon de ses
yeux ridés. Il m’a raconté que son fils était
parti il y a quelques années, en claquant la porte à la
suite d’une dispute stupide comme il y en a souvent dans les familles.
Il avait pris ce même bateau sans se retourner ! Le vieil homme
m’a dit que sa femme venait de mourir, emportée trop tôt,
minée par le chagrin et les remords et lui s’était
soudain décidé à partir à la recherche de
son fils afin de ne pas mourir lui aussi sans avoir demandé
pardon à son enfant, sans lui avoir dit qu’il l’aimait et qu’il
respectait ses choix.
L’homme m’a demandé
où j’allais. Je lui ai dit que je partais retrouver une femme !
Il a souri tristement et une larme a perlé le long de sa joue…
nous nous sommes longuement étreints avant de nous
séparer. Il y avait encore tant de force en lui !
Chaque jour me rapproche d’Elle désormais…
Je sais où son cirque va se produire la semaine prochaine !
TEXTE 9 – ELLE
Il me
semble que plus vous vous rapprochez des personnes qui vous entourent
pour un temps imparti, plus votre funambule devient palpable.
Un périple où les
regrets, les remords ne sont plus de mise. Toutes les âmes que
vous croisez vivent dans l'urgence, dans le moment présent tout
en assumant leurs choix.
Et vous êtes en train de
leur ressembler. Elle peut être incroyablement fière de
tout ce que vous entreprenez.
Je ne suis pas dans cette
ouverture d'esprit pour le moment. Cela prend du temps de se
reconstruire et d'essayer de ne plus avoir peur de l'autre. Tenter de
laisser venir à moi la chaleur humaine, sans chercher à
savoir pour combien de temps.
Mais j'essaye aussi de faire un
peu comme vous. Le temps des pleurs n'est plus, il me reste maintenant
une envie de me sentir vivre pleinement.
Depuis un petit moment, je me
regarde dans le miroir et je ne me reconnais pas : une femme brune aux
yeux sombres certes, j'ai toujours été comme ça.
Mais si je regarde bien, si je sonde un petit peu plus mon âme,
il y a une autre femme qui ne demande qu'à surgir. Je la sens de
plus en plus sûre d'elle, inébranlable et certaine que le
moment est arrivé. Elle a une telle confiance dans un avenir
où la peur n'existerait plus que j'en suis effrayée. J'ai
peur d'être dépassée.
Et puis peut-être que vous
avez raison : j'ai peur d'une disparition, j'ai peur d'être
dépendante d'un amour, de me sentir « piégée
» malgré moi. Mais je sais aussi que l'homme qui hante mes
pensées depuis quelques temps n'est pas celui auquel vous
pensez!
Une petite voix dans ma
tête me susurre à l'oreille depuis de nombreux mois qu'il
n'y en a qu'un seul. Je n'ai pas voulu l'entendre, mais il va bien
falloir affronter la réalité pour devenir une autre. Il y
a un homme qui prend une place dans mon cœur même si ce dernier
est devenu un peu plus petit qu'avant. Quelqu'un qui m'a
imprégné de sa douceur, son intelligence, sa
compréhension. Quelqu'un qui est là, à mes
côtés et qui l'air de rien a réussi à
m'apprivoiser. Il m'a changé sans le vouloir, il m'a
amené vers une lumière que je ne croyais plus jamais
revoir !
Je suis en train de vous
écrire assise sur une plage ensoleillée. Les vagues sont
violentes à cause du vent et l'écume vient jusqu'à
mes pieds. Plein de jolis cerfs-volants jouent dans le ciel et les
enfants rient d'avoir peur de l'eau. Tant de bruit, d'agitation … Mais
j'arrive à m’y sentir bien.
Il y a longtemps, l'homme que
j'ai épousé m'a écrit une seule phrase
après notre premier rendez-vous : « Et la mer, en marge de
ses plages, recopie mille et une fois le verbe aimer... »
Je voudrais ne plus me
préoccuper que de cela. Je voudrais ressentir à nouveau
ce que c'est que d'être aimée.
Je veux être celle que
j'ai toujours attendue presque malgré moi... Je crois qu'elle
est là devant moi, elle m'attend avec patience. Et il y a
peut-être cet homme au bout du chemin...
Texte 9 – LUI
Vous avez
raison ! Les choses se sont brutalement
accélérées, et plus les jours passent plus les
événements prennent une dimension aigüe, plus les
sentiments s’affirment, plus nos êtres se révèlent !
Votre dernière lettre est
empreinte d’une puissance intérieure inextinguible, on vous sent
portée par toute votre âme profonde. On a la sensation
enivrante que votre vie a définitivement basculée vers
demain, vers celle que vous deviez être et que les
déchirures de la vie ont brisé pendant de si longues, de
trop longues années. Votre détermination porte en elle le
souffle de l’aboutissement, de la réalisation, de la
résurrection même !
Cet homme qui vous habite ou
qui, à tout le moins, a entrouvert avec délicatesse votre
porte, sans le savoir vraiment, il me semble, a su toucher ce qu’il y
avait de plus pur et enfoui en vous : votre sensibilité, votre
désir de partager des émotions et des sentiments, votre
besoin d’aimer et d’être aimée, votre envie d’exister
enfin, telle que vous êtes, ou telle que vous n’auriez jamais
dû cesser d’être. Il a réussi à faire entrer
un rai de lumière en vous, un peu plus intense chaque jour. Je
vous souhaite que cette rencontre fasse de vous une femme enfin
épanouie et emplie d’espoir !
J’ai retrouvé « ma funambule » !
Je suis arrivé dans la
ville où son cirque allait se produire la veille de la
représentation. Je n’ai eu aucun mal à repérer le
petit chapiteau si familier ; il m’a suffi de me laisser porter par mon
désir de La retrouver !
Je me suis rendu sur place
à pied et les derniers mètres qui me séparaient de
l’édifice de toile ont été d’une intensité
hors norme. Je sentais mon sang couler dans tout mon corps, j’entendais
mon cœur battre dans tout mon être, je n’entendais que ça…
les bruits de la ville s’étaient totalement estompés,
évaporés dans un univers cotonneux où ne
résonnait que le tambour de mon émotion portée au
paroxysme. C’était soudain moi, le funambule, en apesanteur au
ras du sol, avec cette impression à la fois envoûtante et
un peu inquiétante que je flottais au-dessus du monde
réel.
Tout le monde était
affairé aux derniers préparatifs et on ne faisait pas
attention à moi, cela m’arrangeait bien : j’aurais
été incapable de m’adresser à qui que ce soit de
façon cohérente. J’ai pénétré
à l’intérieur du chapiteau par l’arrière, par
cette petite ouverture qui sert aux artistes à quitter
discrètement les lieux après leur numéro.
Il y avait, je crois, un
brouhaha enfiévré sur et autour de la piste… plus
j’approchais et plus mes tempes bourdonnaient, telles des ruches au
cœur de l’été ! Je n’aurais jamais cru qu’un cœur
pût battre aussi vite, aussi fort. Je n’aurais jamais
pensé que ma cage thoracique fût à ce point
près de céder sous les coups de boutoir d’un palpitant
qui n’avait jamais autant si bien porté son nom !
Un claquement de fouet me sortit
de ma torpeur enfiévrée ! Au centre de la piste, un
cheval d’un noir luisant était debout sur ses pattes
arrières ; j’eus à peine le temps de reconnaître
l’homme qui faisait face à l’animal… je l’avais aperçue.
Elle était assise sur les
gradins, en tenue de scène, sublime et irréelle, une
adorable petite fille brune était assise sur ses genoux, un
homme jeune et beau se tenait tout près d’elle et mon sang en
ébullition se glaça soudain… elle avait sa tête
tendrement appuyée sur l’épaule de cet homme.
Je restai une
éternité, je pense, incapable de bouger et de quitter du
regard cette scène à la fois si touchante et si
douloureuse. Elle était là, à quelques
mètres de moi, encore plus belle, encore plus attirante… et elle
semblait si heureuse !
C’est à ce moment là qu’elle me vit…
Son visage, si fin, si beau, se
redressa et se figea brusquement, comme interloqué par cette
vision inattendue, d’un homme censé être à des
centaines de kilomètres de là et tétanisé,
incapable de faire autre chose que d’ouvrir des yeux ronds comme des
balles de jonglage. Et puis, un sourire lumineux se dessina sur sa
magnifique bouche, elle fit doucement descendre la petite fille de ses
genoux et se précipita vers moi, en volant il me semble, sous le
regard étonné de l’homme et de la petite fille !
Le baiser qu’elle
échangea avec moi restera à jamais gravé dans le
moindre de mes pores, dans la plus infime partie de mon être !
Après une étreinte, où le temps s’arrêta et
durant laquelle mon corps tout entier se liquéfia, elle se
recula délicatement… de fines larmes perlaient doucement le long
de ses beaux yeux si délicatement maquillés.
Elle prit tendrement ma main et
me dit, d’une voix douce et bouleversée : « Viens, je vais
te présenter mon frère et sa fille ! Ils habitent ici...
»
Texte 10 - ELLE
Comme quoi les rêves peuvent parfois se réaliser !
Quels beaux moments que toutes
ces sensations que vous décrivez avec tellement de
réalisme ! On pourrait presque toucher, effleurer du bout des
doigts cette magie. Un arrêt sur image vibrant.
J'ai l'impression que vous
touchez au but et que vous allez enfin réaliser votre
rêve, que votre parcours du combattant n'a plus raison
d'être, je me trompe ? Vous voilà réconcilié
avec vous-même, en faisant habilement confiance à l'homme
impénétrable que vous étiez, jadis. Je vous envie
cette assurance !
J'essaye par tous les moyens de
la retrouver moi aussi ! Je me retrouve à prendre du recul sur
tout ce qui m'entoure. Je suis à nouveau dans ma maison,
entourée de ces murs d'une blancheur toujours aussi intense mais
je ne parviens pas à les voir de la même façon.
J'ai l'impression d'avoir progressé, de m'être
recentrée pour parvenir à un semblant d'équilibre.
Il y a quelque chose qui s'est déclenché dans mon
âme, je le sens. Je m'avance à la fenêtre et je vois
toujours ce voisin qui lui, n'arrive pas à changer : toujours
aussi triste, aussi tourmenté, incapable de prendre une
initiative qui pourrait changer la vie de plusieurs protagonistes.
Puis je ferme les yeux et j'ai
toujours des images qui sont angoissantes, sombres et
tourmentées. Mais j'arrive cependant à les voir avec
pudeur. La colère n'est plus, le temps de prendre à bras
le corps tout ce que je voudrais être et faire est venu. Je ferme
à nouveau les yeux et le visage de l'homme que j'aime
m'apparaît. Et je sais alors à cet instant précis
que je ne peux plus attendre.
J'ai décidé de faire comme vous !
Je pars... Je prends un
aller-simple pour une destination inconnue où cet homme ne
m'attend certainement pas. Une peur intense traverse toutes les parties
de mon corps qui devient tremblant depuis quelques temps. Mais je
préfère avoir peur, me sentir vivre pleinement
plutôt que de ne plus rien ressentir du tout !
Peut-être que je vais me
perdre... ou bien me suis-je déjà perdue ?
Peut-être que je reviendrai à la case départ et que
rien n'aura changé en moi ? Mais si je ne le fais pas
maintenant, les remords finiront par arriver. J'ai l'impression que ma
sensation d'étouffement va s'éloigner en même temps
que moi et mes valises.
J'espère vraiment que le
hasard accompagnera ma lente progression et que je vous rencontrerai,
vous et votre « funambule » et si ce jour-là arrive,
j'espère vraiment vous y voir heureux.
Je ne sais pas si le bonheur, la
joie, les fous rires reviendront un jour dans mon sillage. Mais je
souhaite vraiment les rencontrer à nouveau, les apprivoiser et
les partager.
Je continuerai de vous écrire, promis !
TEXTE 10 – LUI
Votre
lettre m’a renvoyé à cet instant un peu particulier
où nous nous étions quittés, après avoir
longuement évoqué nos vies respectives, nos sentiments
complexes au moment d’aborder une nouvelle partie de notre vie, tout en
étant si fortement, voire lourdement, imprégnés de
celle que nous laissions derrière nous et puis cette promesse
que nous nous étions faites de faire l’un de l’autre, le
confident, le témoin privilégié des heures
nouvelles qui s’offraient à nous.
J’ai l’impression que nous nous
retrouvons un peu au même moment, des mois plus tard, avec la
perspective d’une existence différente, fondamentalement
empreinte de nos choix essentiels, avec, cette fois, la quasi certitude
que nous avancerons inexorablement vers le mieux et même, avec un
peu de chance, vers le Bonheur !
Nous avons bouclé vous et
moi, une première partie de notre Après, cet Après
que nous appelions de toute l’énergie de nos âmes
déchirées lorsque nous nous sommes rencontrés, cet
Après qui devait, qui pouvait, nous extraire de la gangue
douloureuse dans laquelle notre passé nous avait aspirés
et enfermés !
Je ne vous l’avais jamais dit
véritablement, mais cette correspondance avec vous a
été un véritable phare dans mon quotidien et elle
a largement contribué à accompagner mes pas vers ces
lendemains que je pressens enfin radieux. Ces échanges, d’une
sincérité et d’une confiance si fortes, m’ont
porté, m’ont poussé, m’ont aidé et je sais que
vous serez toujours présente en moi, que notre relation
continuera avec intensité au fil des mois, des années,
que nous soyons à l’autre bout du monde, ou que nous parvenions
à nous rencontrer à nouveau, avec, pourquoi pas,
l’enthousiasmante opportunité de le faire avec nos compagnons
respectifs.
Je vous sens à un
tournant déterminant, toute votre énergie vitale semble
s’être rassemblée pour vous emmener vers la vie à
laquelle vous avez toujours aspiré, même dans les moments
les plus sombres, les plus lourds. Que, même dans le doute quant
à l’accueil qui sera réservé à votre
démarche par cet homme que vous aimez, vous décidiez
malgré tout de déployer vos ailes est un signe fort qui
me touche profondément ! Vous avez enfin décidé de
basculer vers la lumière.
Je vous écris ces lignes
de bien loin à nouveau. J’ai repris la route avec le cirque et
« ma funambule » et je vis un enchantement permanent. Je
suis heureux, enfin heureux de vivre !
Comme un symbole, une métaphore évidente, je présente tous les soirs un numéro dans le spectacle !
Je suis enchaîné
solidement et enfermé dans une caisse métallique
plongée dans une grande cuve remplie d’eau bouillonnante.
J’entends les cris effarés du public, et au moment précis
où la caisse est immergée, je repense à ces
secondes terrifiantes et fascinantes où j’ai failli périr
noyé et puis, au bout de quelques minutes, alors que la caisse a
été ressortie, vide, de l’eau, j’apparais dans un costume
flamboyant au côté de ma princesse étincelante,
là-haut sur son fil. La main dans la main, nous écoutons
les hourras de la foule puis nous échangeons un long baiser, qui
à chaque fois m’électrise et elle s’élance pour
son numéro.
Et je reste là, l’air
béat, les yeux rivés sur celle qui a rendu le sourire
à ma vie. Les projecteurs qui l’accompagnent sont autant
d’étoiles qui luisent dans la nuit. Elle est belle comme un
soleil… et je l’aime !