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poèmes tirés du Cycle : ESCALES MEDITERRANEENES
T
1. Sur la grève
Sur la
grève,
Un os de seiche bequeté à cœur
Par la serpette du goéland,
Puis délaissé.
Remugles de varech et d’iode
Sur les crêtes du vent.
Ossuaire de murex
Et de tellines
Semailles de coquilles
Craquantes sous mes pas.
Face à moi
La mer
Stratifiée en lamelles de bleus,
Millefeuille de vagues et d’écume
Mémoire rauque des conquêtes,
Des débarquements
Et des départs innombrables.
Mais le blanc intense des murs impavides
Au temps
Et celui des draps
Frémissant au soleil.
Gammarth – Tunisie
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2. Ghardaïa
Cathédrale
de sucre
terra cota
pièce montée brillante
brioche à peine sortie du fournil
tableau cubiste
d'avant-garde
la ville dispose sur l’horizon
ses aplats d'ocre et de blanc
ses pastels de sienne et de bleu
mosaïque de lumière
citadelle de terre où s'abrite le marché aux fruits et
aux bestiaux
dans un moutonnement de voiles
Ghardaia !
bivouac avant le désert
guetteur d'immensité
rose porcelaine des sables sahariens
gardienne du secret
de ceux qui
ont vaincu la soif
et regardé
le soleil
en face.
***
3. Chot
Une tache
de lait de chèvre
stagne
au fond du verre
dehors
le soleil de midi
écrase les rares ombres
toute vie s'est minéralisée
pas même un camion sur la piste
ni des gamins qui chahutent
seul
le vent maraude sur la pierraille
des oueds secs
au-delà
de la gargote blanche
où les hommes se mettent au frais
en mangeant quelques dattes
au-delà
de la modeste palmeraie
le monde n'est que chaos
de dunes et d'éboulis de roches disséminées
rien
ne s'y passe
rien
ne passe
pas une voiture
pas un troupeau
pas un marchand
pas un appel
les gens ici
sont économes
de paroles
comme on préserve l'eau
on apprend à converser
d'un regard
d'un froncement de sourcil
on se suffit de peu
de la viande
une fois par mois
sinon des fèves
de la semoule
et des galettes
la plupart des hommes chôment
la terre est rare
et la ville loin
ni bus ni train
pour s'y rendre
alors on attend le touriste
pour quelques pièces
un billet
contre une photo
ou quelques objets d'artisanat
on attend le pèlerin
qui viendra illuminer la veillée
des récits de mondes merveilleux
où tout est abondance
au-delà.
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4. Cot-liure
(Collioure)
Marinada
tu fauches la mer
en gerbes légères
vaporisant l'air
toujours midi
sous un ciel embué
en plein été
tu taquines mes narines
d'un fumet de sardines sur la braise
de sarments.
Le soleil est bleu aux fenêtres de Matisse
tandis que les anchois mûrissent dans le sel
Collioure étire son clocher
gaillard
et clapotent au mât serein
les voiles rêches
de barques ventripotentes.
Ici
des femmes en noir
aux doigts infaillibles
ravaudaient les filets
en murmurant des cantiques
aujourd'hui
pour tout effort des boulistes bedonnants
plissent leurs yeux entre deux pastis
à compter jalousement les points.
La patine des quais de lauzes
aimante toujours les pas
des marins désœuvrés
ils ont remisé leur trogne de forbans
contre ces visages tristes de retraités dociles
roulant méticuleusement leur linceul
dans du papier à cigarettes
les vieux
pétrifiés sur des bancs au soleil
hument l'air du temps
perdu
un chat s'étire mollement à l'ombre d'un platane
l'air du large ronge patiemment une ancre échouée
et dissout les aiguilles de l'horloge au clocher de pierres
la brise de mer
m'a capturé dans ses filets
A quoi bon
lutter à contre-courant
je sens monter l'ivresse des grandes profondeurs
et je sombre lentement
comme
en
a-
pnée
sous un flot soyeux de
songes acidulés.
*****
5.
Barcelone
Capitale
brouillonne
Bouillon de cultures
Métisses
Barcelone !
Vénéneuse gorgone
Entremetteuse
Des amours de passage
Barcelone
Ma garçonne
Tes Ramblas cosmopolites
Nous chaloupent jusqu'à la mer
On déambule le nez en l'air
Captant tes parfums opiacés
Avalant à pleine gueule
Les couleurs complices
De tes feux d'artifice à la Miro
On reluque tes jeunesses dévêtues
Tes péripatéticiennes au rimmel brillant
Nous racolent sous les flèches hérissées
De la Sagrada Familia
Bandérillant le ciel
Barcelone !
On s’égare à démêler le dédale de tes
barios
Compliqués
Entre péché et rédemption
Ici on boit du Moscatel
Ou de l'anis Del Mono
Là on se régale de tapas
Epicées
Partout mille séductions
Pour l'œil ou le palais
L'oreille ou le palpitant
Tu mets nos sens en gyrophares
Et déshabilles nos désirs
Fous
Tandis que la nuit carrousel
Nous aspire dans son tourbillon d'étoiles
Electriques
Ton télé-féérique brinquebalant
Du haut du Mont Juich
Nous précipite
Dans les eaux lisses du Port Colomb
Où l’ivresse nous saisit
Comme des papillons épinglés
Sur une aurore à la Dali.