Publiés à
Francopolis
Deux ou trois mots
Avec dix ou vingt mots,
Avec des images
Découpées dans la soif,
Je résiste à la mort,
Au masque du silence,
Aux yeux de verre fumé.
Avec une langue de feu
Passant de main en main
Je résiste à la neige,
Au froid des certitudes,
Aux engelures du temps.
Je découpe un oiseau
Dans le papier du ciel.
Il vole dans ma tête
Ouverte aux quatre vents.
Avec dix ou vingt mots,
Avec quelques virgules,
Avec un chien d'aveugle
Et des chaussures trouées
Je résiste à la haine,
Au calcul des banquiers,
Aux creux dans le chemin,
À l'immobilité.
Je résiste à la faim
Avec des miettes de pain.
Avec un peu d'amour,
Une poignée d'espoir,
Avec les lèvres nues
J'embrasse sur la bouche
Le bonheur qui passe
Et fait rêver les hommes.
Avec le bruit des ombres
Découpant la lumière,
Avec des pages blanches,
Le maigre feu des lampes
Je résiste à la nuit.
Je me tiens droit
Dans la courbe des vents.
J'avance à pas de larme
Sans honte ni remords.
Avec les billes bleues
Dans un sac d'enfant,
Un vieux bout de crayon,
Les paroles brisées
À coups de crosse froide
Je résiste à la peur,
À la colère, aux cendres.
Avec le poing du jour
Enfoncé dans le cœur,
La neige qui avance
À pas de souris blanche
Je donne ma langue aux loups,
Mon vertige aux fontaines
Et le feu de mes mains
Aux rides qui s'éteignent.
Poste restante
Demain c'est décidé
Je laisse mes idées
Courir la galipote.
Je marche sur la tête,
Un chapeau sur le cœur.
Je vois avec ma peau.
Et mes orteils chantent
À travers les trous de bas.
Je serai le cheveu
Dans la soupe des riches,
L'assassin du pouvoir
Dans leurs matelas de peur,
Le chien sale qui jappe
Quand le silence frappe,
Les yeux sans fond d'un chat
Qui griffent le réel.
Je serai le trou de beigne
Dans le sourire d'un Big Mac,
Le menu qu'on égorge
Sur la table de lois,
Le téléphone qui sonne
Derrière l'invisible,
Le mur qu'on abat
Au pied du merveilleux.
Je serai la lumière
Dans les flocons de suie,
Les cristaux de l'espoir
Sur la glace des cœurs,
La mouche qui se noie
Dans un bouillon de culture
Et l'eau claire des yeux
Rinçant le paysage.
Demain c'est décidé
Étant déjà timbré
J'enveloppe le silence
Et je me poste avec.
Sur un fil
Quand l'idée du bonheur
Se jette sous le train
À 5 heures du matin.
Quand l'infini bascule
Du côté noir des choses
À 5 heures du matin.
Quand un fleuve d'oiseaux
Perd ses vagues en volant
À 5 heures du matin.
Quand la fiancée des fleurs
Perd sa bague d'odeurs
À 5 heures du matin.
Quand on marche sur un fil
Qui ne tient plus à rien
À 5 heures du matin.
Quand la chair des mots
N'est qu'une peau de chagrin.
Quand le cuir des bottes
N'est qu'une chair de poule.
Quand le sommeil abat ses rêves
Comme des cartes truquées
À 5 heures du matin.
Quand personne ne m'attend.
Quand les morts me rejoignent
À 5 heures du matin.
J'invente à l'espérance
Une sœur jumelle.
Comme un oiseau qui rêve
Il y a des fruits qui meurent
entre l’arbre et
l’écorce,
des caresses qui
caillent
à l’entaille
du cœur.
Il y a des yeux qui brûlent
derrière leurs
paupières,
des mots qui se
retirent
dans l’ombre du
silence.
Il y a des jours qui passent
sans retenir le
temps,
des sources qui
se perdent
sans trouver de
rivière.
Il y a des pas perdus
qui laissent
leurs empreintes
dans l’herbe des
haillons,
des pétales de
joie
qui finissent en
linceul.
Les racines qui pleurent
ont la forme des
arbres.
Je t’écris sans espoir
comme un oiseau
qui rêve
déborde de son nid.
Si le fleuve se tait
Il suffit d'un grain de sable
Assoiffé d'infini
Pour qu'une plage entière
Fasse éclater le verre
Au sablier du temps.
L'oiseau pris dans mon cœur
S'envole par ma voix.
Sous tes larmes de pluie
Les poings de la colère
Se transforment en fleurs.
Enlaçant le meilleur
Avec tes bras ouverts
J'abandonne le pire
Aux vagues du passé
Ressassant son naufrage.
Même sans mur
Sans fenêtre sans porte
Je défendrai ma route
Contre les bâtisseurs de ruine.
Si le fleuve se tait
J'aurai tes bras de mer,
Tes marées, tes ressacs
Pour parler aux étoiles.
Des cailloux pour
la route
(Francopolis,
Salon de lecture, mars
2005)
***
Le
Nid
Un oiseau a fait son nid dans ma boîte à malle.
Je l'ai défait. Il l'a refait. J'ai dû faire un nid tout à côté pour
recevoir mon courrier. Peut-être qu'une lettre pondra des mots d'amour.
Quand
je ferme les yeux
Quand je ferme les yeux
c'est encore toi
qui rêves derrière mes paupières.
Je n'irai plus pour toi dévaliser la mer
ni faire le
marché dans les plis du soleil.
Je n'irai plus pour toi fleurir le nid du cœur
ni ramasser des
œufs qui gisent en débris.
Je reste seul debout sous le mépris du temps
avec ta mort
stupide qui enfle dans mon cœur.
Couvert d'ombre et de larmes
je n'y suis
pour personne.
Je ne frappe plus aux portes
pour réveiller
les hommes.
Mes mains ne servent plus
qu'à chercher ta
présence.
Mes mots ne servent plus qu'à dire ton silence.
Tout ce qui manque au monde
y manque plus
encore.
Je me perds de vue
comme un vêtement
sans corps.
Extrait du recueil L'autre
versant,
Éditions Chemins de plume, 2005
Je suis qui je suis
Je suis ce que je suis. Je suis ce que j'entends.
Je suis ce que je vois. Je suis ce que j'écris.
Je ne suis pas le troupeau mais la peau et les
os.
Je passe les frontières par les chemins de
contrebande.
Je ne suis pas la ligne mais la mine du crayon.
Je suis le fou sans roi sur le damier du monde,
la bouche de la
soif dévorant la lumière,
la langue de
Villon dans le brouillage du temps,
une fleur de
bitume qui cherche ses racines.
Je ne sais pas si je grandis.
Je ne mange pas à la table des grands.
Je couche dans l'étable.
Je bois à l'eau des dégouttières.
Je suce un glaçon pour apprendre l'hiver.
Je veux toucher le ciel avec un doigt d'enfant.
Dans les mots que j'écris
il y a des
acrobates sur une patte
qui font la
courte échelle,
des aveugles
dessinant pour les sourds,
des muets qui
chantent pour les morts,
des fleuves qui
aboient sans laisse ni collier.
des singes
debout comme au début de l'homme,
le visage d'un
ange entre deux mitraillettes.
Je suis ce que j'ignore. Je cherche qui je suis.
L'insoumission
On se soumet aux riches, aux dieux, aux horaires.
Pourquoi pas aux pierres, aux nuages et au temps
?
On se soumet aux ordres, aux drapeaux, aux
slogans.
Pourquoi pas aux mots, au rêve, au hasard,
aux pauvres, aux
parias, aux enfants ?
Pourquoi aux pluies, au soleil et au vent ?
On se soumet aux trusts, aux banquiers, aux
notables.
Pourquoi aux morts, aux lézards et aux tables
bancales ?
On se soumet aux cons et aux bulletins de
nouvelles.
Je me soumets à la révolte et à l'insoumission.
Au lever du soleil
Je t'aime au lever du soleil,
au zénith, au
couchant,
du crépuscule
au nadir
et d'aval en
amont.
Je t'aime du nord au sud,
de l'est à
l'ouest,
de la grotte de
Lascaux
jusqu'à l'Eldorado,
de l'eau qui
brûle
jusqu'au fleuve sans
lit.
Je t'aime de la base au sommet,
de l'image dans
l'ombre
jusqu'au révélateur,
de la mémoire à
l'acte,
de la parole au
geste.
Je t'aime de la pierre au poème,
de la terre
entre nous
au clair de tes
yeux,
de l'épeautre à
l'épaule,
de la plaine à
la mer
là où la source
perd son eau
pour devenir la
vie.
Je t'aime à l'improviste,
à l'imprévu, à
la chance,
du trait
d'encre à l'épure,
des images en
éclats
au vitrail du
ciel,
de l'infime à
l'immense.
Je t'aime de jour en jour,
de plus en
plus,
de mieux en
mieux,
de mon ombre
polaire
jusqu'à ton cœur
solaire,
de mes bras à
tes mains,
de l'espace à
l'espoir.
Je t'aime à l'impossible,
du corps
jusqu'à l'âme,
de l'archet au
violon,
de l'arbre à la
musique,
de la tige à la
fleur,
de la vie à la
mort.
Je t'aime à l'infini,
de babord à tribord,
de la soif à la
source
et du réel au
rêve
comme la terre
boit son eau.
Dans la
tanière du loup
(Francopolis,
Salon de lecture, juin 2009)
***
Viens-t’en printemps
Schnaille ! schnaille ! maudit hiver !
J'attends
que les lilas tètent les abeilles,
les
chants d'oiseaux qui pendent
aux
oreilles des arbres,
les
petits brins de foin
qui
se prennent pour la mer
et
les fourmis quittant le port.
J'attends
les mirabelles,
le crin-crin des cigales
sur
le cou du matin,
la grande
main du vent
giflant
le désespoir
et la
joue du malheur,
les
nuages délaçant
la
ceinture du froid
pour
exhiber sans gêne
le
sexe du soleil.
La
terre troquera son gros pull de neige
pour
la dentelle du pollen,
les
tuques des poteaux
pour
des boutons en fleurs,
le
terreau des couleurs
où
germe l'arc-en-terre
dans
sa robe lyrique.
Une
alouette chante
dans
le fond de ma poche.
Un
caillou s'impatiente
dans
le ruisseau des pas.
Allez
viens-t-en printemps !
Je
prends déjà ma hache
pour
une ligne à pêche,
mes
raquettes pour un canot,
mes
skis pour une plage,
le
frimas des moustaches
pour
la barbe à papa,
mes
dix doigts pour une main.
Je ne
fais plus de chasse-neige
mais
de la chasse-galerie
au-dessus
des forêts.
Je
fais la vague
au
milieu des flocons.
La
sève monte à bord
comme
de l'eau dans l'eau
faisant
des bulles d'air.
Les
érables sont saouls
et
les chevreuils bandés.
(Francopolis, Coup de cœur, avril 2013,
choix Gertrude
Millaire)
La grandeur du monde
Seule
la grandeur du monde
peut
raccourcir le temps
mais
l'homme est si petit
quand il
se prend pour Dieu.
Je ne
veux pas servir de vol
aux
oiseaux du malheur
ni de
fumée sans feu
aux
rêves qu'on éteint.
Le
vent ramasse derrière nous
les pas
qu'on n'a pas faits
et les
fleurs trop brèves
pour
chanter les racines.
De la
fragilité du temps
nous
ferons un brasier,
une fête
plus tenace
que le
bleu des nuages,
d'un
simple nid d'oiseaux
un
chemin vers le ciel,
d'un
fardeau d'épines
la
promesse des fruits.
Si je
hurle parfois
à
l'oreille des ronces
c'est
toujours à voix basse
que je
parle aux étoiles.
(Francopolis, Coup de cœur, janvier 2014,
choix Gertrude
Millaire)
Que serons-nous
Je ne
suis pas venu au monde pour bâtir des murs mais réjouir la source, semer
des fleurs, faire chanter les mots. La graine dans la terre alimente
l’espoir. La pomme dans la bouche devient une autre chair.
Aucune
pluie n’efface la colère des rides. Que faire quand la douleur du monde
vient s’asseoir à ma table ? Baisser les yeux ou lui tourner la
tête ?
Je
suis allé, je suis venu et je n’ai pas trouvé la route. On n’écrit pas sans
risque. Quelques mots pour éclairer le monde, tant d’autres pour
l’éteindre. Quelques lignes pour aimer, tant d’autres pour haïr. On ne
compte pas les jours sans en perdre le compte. Il ne suffit pas seulement
d’être con pour écrire, faire du squeege sur les
nuages, la brouette sur un fil. Il faut surtout aimer la vie. Dans le
cuivre des jours, je taille des trompettes. J’en épluche le son. Ne vous
fiez pas à ma couleur de peau. Je suis un Peau-Rouge, un Noir, peut-être un
sang mêlé à toutes les racines, de l’écorce à la pierre. Je ne suis surtout
pas un Blanc aux larmes de banquiers. Nous sommes tous des Sauvages. Il y
en a trop qui s’arrêtent de rêver quand ils s’éveillent. Ils s’obligent à
travailler sans savoir pourquoi. Ils caressent leur char mais embrassent
leur femme du bout d’un téléphone par peur des microbes ou des lèvres en
cœur. Ils se vendent pour acheter ce qui cache leur manque. Malgré tous les
flics avec leurs gueules de bois dont on fait les matraques, j’essaie
chaque matin de me lever complet, le rêve dans une main écrasant la monnaie
et quelques mots dans l’autre pour creuser jusqu’à l’âme.
Je ne
sais où me mènent mes chaussures de vent dépourvues de lacet. Je marche à
pas de plume au rendez-vous des errants. Je veux répandre des oiseaux dans
les ruelles sales, des fleurs sous la peau, des vagues sous le chapeau, des
mots faits de lumière sur les carreaux du monde. L’oiseau qui ne chante pas
demain porte la voix d’un ange. Je traverse les jours à l’envers des
semaines. Les dimanches succèdent aux lundis. Tous les samedis sont blancs
dans la marge des livres. Ce n’est pas son habit qui tient l’homme debout
ni ses souliers qui marchent. Les mots ne pleurent plus mais saignent pour
de vrai. Les bombes pleuvent entre Ismaël et Israël. Si je parle des
arbres, des fleurs, des oiseaux, c’est pour supporter l’homme assujetti au
fric, les femmes soumises aux flics, les enfants meurtris par la trique des
prêtres. Devant les goulags de Staline, j’ai changé Karl pour Groucho et les idées pour la musique. Si le passé me
rend obèse, c’est par les phrases que j’ai tues et les gestes ratés. Je les
porte en moi comme un pain de famine alourdissant le cœur. J’ai le couteau
de Lichtenberg enfoncé dans les mots. Il ne fait pas saigner mais coupe la
parole.
Que
serons-nous sans contes, sans légende, sans autre voix que celles des
portables ? Que serons-nous sans arbres, sans larmes, sans
amour ? Que serons-nous sans mots sinon ceux du commerce ? Que
serons-nous sans nous quand les monstres d’acier auront tout démoli ?
S’il n’y a plus d’espoir, j’écrirai pour en faire. Le passage est étroit
dans le regard des hommes. Le visage du monde tient mal dans un cadre. Même
si la terre nous mord, il faut tendre la main à la moindre goutte de pluie.
J’habite encore le sommeil de l’enfance. J’entends le cœur du temps faire
craquer les murs. On ne sait pas trop bien ce que dit la mémoire. Le vent
seul rend compte du passage des anges. Je reverrai toujours, le saule, le
ruisseau, la balançoire, la peluche et le chat. Dans les jeux de ruelle,
j’étais toujours l’indien, mais quand j’étais cowboy,
j’échangeais mon colt pour un arc et des flèches et j’enterrais la hache de
guerre. À défaut de sous blancs, je traîne dans mes poches des cailloux de
ruisseaux. On n’allume pas de feu en frottant de la monnaie. Ma petite
ligne de vie me sert de crayon, ma ligne de cœur de grammaire. Mes mots
retroussent les iambes du poème, les jambes du décor, les jupes de la vie.
Je mêle des papillons aux flocons de la neige. Je mets du vin de glace dans
les flacons d’hiver, mes deux pieds dans les flaques, mes yeux sur
l’horizon, mes deux bras dans l’azur.
(Francopolis, Coup de cœur, juin 2015,
choix Gertrude
Millaire)

Photo
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de l’équipe Francopolis (archive)
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