rencontre avec un poète du monde

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ARCHIVES : VIE – POÈTE 

Janvier-février 2023

 

 

 

Jean-Marc La Frenière : « Donne à boire au désert… »

 

Florilège de textes :

 

Publiés à Francopolis ;

&

Les tout derniers

 

(2ème partie)

 

(*)

 

 

 

Publiés à Francopolis

Deux ou trois mots

Avec dix ou vingt mots,

Avec des images

Découpées dans la soif,

Je résiste à la mort,

Au masque du silence,

Aux yeux de verre fumé.

Avec une langue de feu

Passant de main en main

Je résiste à la neige,

Au froid des certitudes,

Aux engelures du temps.

Je découpe un oiseau

Dans le papier du ciel.

Il vole dans ma tête

Ouverte aux quatre vents.

Avec dix ou vingt mots,

Avec quelques virgules,

Avec un chien d'aveugle

Et des chaussures trouées

Je résiste à la haine,

Au calcul des banquiers,

Aux creux dans le chemin,

À l'immobilité.

Je résiste à la faim

Avec des miettes de pain.

Avec un peu d'amour,

Une poignée d'espoir,

Avec les lèvres nues

J'embrasse sur la bouche

Le bonheur qui passe

Et fait rêver les hommes.

Avec le bruit des ombres

Découpant la lumière,

Avec des pages blanches,

Le maigre feu des lampes

Je résiste à la nuit.

Je me tiens droit

Dans la courbe des vents.

J'avance à pas de larme

Sans honte ni remords.

Avec les billes bleues

Dans un sac d'enfant,

Un vieux bout de crayon,

Les paroles brisées

À coups de crosse froide

Je résiste à la peur,

À la colère, aux cendres.

Avec le poing du jour

Enfoncé dans le cœur,

La neige qui avance

À pas de souris blanche

Je donne ma langue aux loups,

Mon vertige aux fontaines

Et le feu de mes mains

Aux rides qui s'éteignent.

 

Poste restante

Demain c'est décidé

Je laisse mes idées

Courir la galipote.

Je marche sur la tête,

Un chapeau sur le cœur.

Je vois avec ma peau.

Et mes orteils chantent

À travers les trous de bas.

Je serai le cheveu

Dans la soupe des riches,

L'assassin du pouvoir

Dans leurs matelas de peur,

Le chien sale qui jappe

Quand le silence frappe,

Les yeux sans fond d'un chat

Qui griffent le réel.

Je serai le trou de beigne

Dans le sourire d'un Big Mac,

Le menu qu'on égorge

Sur la table de lois,

Le téléphone qui sonne

Derrière l'invisible,

Le mur qu'on abat

Au pied du merveilleux.

Je serai la lumière

Dans les flocons de suie,

Les cristaux de l'espoir

Sur la glace des cœurs,

La mouche qui se noie

Dans un bouillon de culture

Et l'eau claire des yeux

Rinçant le paysage.

Demain c'est décidé

Étant déjà timbré

J'enveloppe le silence

Et je me poste avec.

 

Sur un fil

Quand l'idée du bonheur

Se jette sous le train

À 5 heures du matin.

Quand l'infini bascule

Du côté noir des choses

À 5 heures du matin.

Quand un fleuve d'oiseaux

Perd ses vagues en volant

À 5 heures du matin.

Quand la fiancée des fleurs

Perd sa bague d'odeurs

À 5 heures du matin.

Quand on marche sur un fil

Qui ne tient plus à rien

À 5 heures du matin.

Quand la chair des mots

N'est qu'une peau de chagrin.

Quand le cuir des bottes

N'est qu'une chair de poule.

Quand le sommeil abat ses rêves

Comme des cartes truquées

À 5 heures du matin.

Quand personne ne m'attend.

Quand les morts me rejoignent

À 5 heures du matin.

J'invente à l'espérance

Une sœur jumelle.

 

Comme un oiseau qui rêve

Il y a des fruits qui meurent

entre l’arbre et l’écorce,

des caresses qui caillent

à l’entaille du cœur.

Il y a des yeux qui brûlent

derrière leurs paupières,

des mots qui se retirent

dans l’ombre du silence.

Il y a des jours qui passent

sans retenir le temps,

des sources qui se perdent

sans trouver de rivière.

Il y a des pas perdus

qui laissent leurs empreintes

dans l’herbe des haillons,

des pétales de joie

qui finissent en linceul.

Les racines qui pleurent

ont la forme des arbres.

Je t’écris sans espoir

comme un oiseau qui rêve

déborde de son nid.

 

Si le fleuve se tait

Il suffit d'un grain de sable

Assoiffé d'infini

Pour qu'une plage entière

Fasse éclater le verre

Au sablier du temps.

L'oiseau pris dans mon cœur

S'envole par ma voix.

Sous tes larmes de pluie

Les poings de la colère

Se transforment en fleurs.

Enlaçant le meilleur

Avec tes bras ouverts

J'abandonne le pire

Aux vagues du passé

Ressassant son naufrage.

Même sans mur

Sans fenêtre sans porte

Je défendrai ma route

Contre les bâtisseurs de ruine.

Si le fleuve se tait

J'aurai tes bras de mer,

Tes marées, tes ressacs

Pour parler aux étoiles.

 

Des cailloux pour la route

(Francopolis, Salon de lecture, mars 2005)

 

***

Le Nid

Un oiseau a fait son nid dans ma boîte à malle. Je l'ai défait. Il l'a refait. J'ai dû faire un nid tout à côté pour recevoir mon courrier. Peut-être qu'une lettre pondra des mots d'amour.

 

Quand je ferme les yeux

Quand je ferme les yeux

c'est encore toi qui rêves derrière mes paupières.

Je n'irai plus pour toi dévaliser la mer

ni faire le marché dans les plis du soleil.

Je n'irai plus pour toi fleurir le nid du cœur

ni ramasser des œufs qui gisent en débris.

Je reste seul debout sous le mépris du temps

avec ta mort stupide qui enfle dans mon cœur.

Couvert d'ombre et de larmes

je n'y suis pour personne.

Je ne frappe plus aux portes

pour réveiller les hommes.

Mes mains ne servent plus

qu'à chercher ta présence.

Mes mots ne servent plus qu'à dire ton silence.

Tout ce qui manque au monde

y manque plus encore.

Je me perds de vue

comme un vêtement sans corps.

 

 

Extrait du recueil L'autre versant,

Éditions Chemins de plume, 2005

 

Je suis qui je suis

Je suis ce que je suis. Je suis ce que j'entends.

Je suis ce que je vois. Je suis ce que j'écris.

Je ne suis pas le troupeau mais la peau et les os.

Je passe les frontières par les chemins de contrebande.

Je ne suis pas la ligne mais la mine du crayon.

Je suis le fou sans roi sur le damier du monde,

la bouche de la soif dévorant la lumière,

la langue de Villon dans le brouillage du temps,

une fleur de bitume qui cherche ses racines.

Je ne sais pas si je grandis.

Je ne mange pas à la table des grands.

Je couche dans l'étable.

Je bois à l'eau des dégouttières.

Je suce un glaçon pour apprendre l'hiver.

Je veux toucher le ciel avec un doigt d'enfant.

Dans les mots que j'écris

il y a des acrobates sur une patte

qui font la courte échelle,

des aveugles dessinant pour les sourds,

des muets qui chantent pour les morts,

des fleuves qui aboient sans laisse ni collier.

des singes debout comme au début de l'homme,

le visage d'un ange entre deux mitraillettes.

Je suis ce que j'ignore. Je cherche qui je suis.

 

L'insoumission

On se soumet aux riches, aux dieux, aux horaires.

Pourquoi pas aux pierres, aux nuages et au temps ?

On se soumet aux ordres, aux drapeaux, aux slogans.

Pourquoi pas aux mots, au rêve, au hasard,

aux pauvres, aux parias, aux enfants ?

Pourquoi aux pluies, au soleil et au vent ?

On se soumet aux trusts, aux banquiers, aux notables.

Pourquoi aux morts, aux lézards et aux tables bancales ?

On se soumet aux cons et aux bulletins de nouvelles.

Je me soumets à la révolte et à l'insoumission.

 

 

Au lever du soleil

Je t'aime au lever du soleil,

au zénith, au couchant,

du crépuscule au nadir

et d'aval en amont.

Je t'aime du nord au sud,

de l'est à l'ouest,

de la grotte de Lascaux

jusqu'à l'Eldorado,

de l'eau qui brûle

jusqu'au fleuve sans lit.

Je t'aime de la base au sommet,

de l'image dans l'ombre

jusqu'au révélateur,

de la mémoire à l'acte,

de la parole au geste.

Je t'aime de la pierre au poème,

de la terre entre nous

au clair de tes yeux,

de l'épeautre à l'épaule,

de la plaine à la mer

où la source perd son eau

pour devenir la vie.

Je t'aime à l'improviste,

à l'imprévu, à la chance,

du trait d'encre à l'épure,

des images en éclats

au vitrail du ciel,

de l'infime à l'immense.

Je t'aime de jour en jour,

de plus en plus,

de mieux en mieux,

de mon ombre polaire

jusqu'à ton cœur solaire,

de mes bras à tes mains,

de l'espace à l'espoir.

Je t'aime à l'impossible,

du corps jusqu'à l'âme,

de l'archet au violon,

de l'arbre à la musique,

de la tige à la fleur,

de la vie à la mort.

Je t'aime à l'infini,

de babord à tribord,

de la soif à la source

et du réel au rêve

comme la terre boit son eau.

 

Dans la tanière du loup

(Francopolis, Salon de lecture, juin 2009)

 

***

Viens-t’en printemps

Schnaille ! schnaille ! maudit hiver !

J'attends que les lilas tètent les abeilles,

les chants d'oiseaux qui pendent

aux oreilles des arbres,

les petits brins de foin

qui se prennent pour la mer

et les fourmis quittant le port.

 

J'attends les mirabelles,

le crin-crin des cigales

sur le cou du matin,

la grande main du vent

giflant le désespoir

et la joue du malheur,

les nuages délaçant

la ceinture du froid

pour exhiber sans gêne

le sexe du soleil.

 

La terre troquera son gros pull de neige

pour la dentelle du pollen,

les tuques des poteaux

pour des boutons en fleurs,

le terreau des couleurs

germe l'arc-en-terre

dans sa robe lyrique.

 

Une alouette chante

dans le fond de ma poche.

Un caillou s'impatiente

dans le ruisseau des pas.

 

Allez viens-t-en printemps !

 

Je prends déjà ma hache

pour une ligne à pêche,

mes raquettes pour un canot,

mes skis pour une plage,

le frimas des moustaches

pour la barbe à papa,

mes dix doigts pour une main.

 

Je ne fais plus de chasse-neige

mais de la chasse-galerie

au-dessus des forêts.

Je fais la vague

au milieu des flocons.

La sève monte à bord

comme de l'eau dans l'eau

faisant des bulles d'air.

Les érables sont saouls

et les chevreuils bandés.

 

(Francopolis, Coup de cœur, avril 2013,

choix Gertrude Millaire)

 

La grandeur du monde

Seule la grandeur du monde

peut raccourcir le temps

mais l'homme est si petit

quand il se prend pour Dieu.

 

Je ne veux pas servir de vol

aux oiseaux du malheur

ni de fumée sans feu

aux rêves qu'on éteint.

Le vent ramasse derrière nous

les pas qu'on n'a pas faits

et les fleurs trop brèves

pour chanter les racines.

 

De la fragilité du temps

nous ferons un brasier,

une fête plus tenace

que le bleu des nuages,

d'un simple nid d'oiseaux

un chemin vers le ciel,

d'un fardeau d'épines

la promesse des fruits.

 

Si je hurle parfois

à l'oreille des ronces

c'est toujours à voix basse

que je parle aux étoiles.

 

(Francopolis, Coup de cœur, janvier 2014,

choix Gertrude Millaire)

 

Que serons-nous

Je ne suis pas venu au monde pour bâtir des murs mais réjouir la source, semer des fleurs, faire chanter les mots. La graine dans la terre alimente l’espoir. La pomme dans la bouche devient une autre chair.

 

Aucune pluie n’efface la colère des rides. Que faire quand la douleur du monde vient s’asseoir à ma table ? Baisser les yeux ou lui tourner la tête ?

 

Je suis allé, je suis venu et je n’ai pas trouvé la route. On n’écrit pas sans risque. Quelques mots pour éclairer le monde, tant d’autres pour l’éteindre. Quelques lignes pour aimer, tant d’autres pour haïr. On ne compte pas les jours sans en perdre le compte. Il ne suffit pas seulement d’être con pour écrire, faire du squeege sur les nuages, la brouette sur un fil. Il faut surtout aimer la vie. Dans le cuivre des jours, je taille des trompettes. J’en épluche le son. Ne vous fiez pas à ma couleur de peau. Je suis un Peau-Rouge, un Noir, peut-être un sang mêlé à toutes les racines, de l’écorce à la pierre. Je ne suis surtout pas un Blanc aux larmes de banquiers. Nous sommes tous des Sauvages. Il y en a trop qui s’arrêtent de rêver quand ils s’éveillent. Ils s’obligent à travailler sans savoir pourquoi. Ils caressent leur char mais embrassent leur femme du bout d’un téléphone par peur des microbes ou des lèvres en cœur. Ils se vendent pour acheter ce qui cache leur manque. Malgré tous les flics avec leurs gueules de bois dont on fait les matraques, j’essaie chaque matin de me lever complet, le rêve dans une main écrasant la monnaie et quelques mots dans l’autre pour creuser jusqu’à l’âme.

 

Je ne sais où me mènent mes chaussures de vent dépourvues de lacet. Je marche à pas de plume au rendez-vous des errants. Je veux répandre des oiseaux dans les ruelles sales, des fleurs sous la peau, des vagues sous le chapeau, des mots faits de lumière sur les carreaux du monde. L’oiseau qui ne chante pas demain porte la voix d’un ange. Je traverse les jours à l’envers des semaines. Les dimanches succèdent aux lundis. Tous les samedis sont blancs dans la marge des livres. Ce n’est pas son habit qui tient l’homme debout ni ses souliers qui marchent. Les mots ne pleurent plus mais saignent pour de vrai. Les bombes pleuvent entre Ismaël et Israël. Si je parle des arbres, des fleurs, des oiseaux, c’est pour supporter l’homme assujetti au fric, les femmes soumises aux flics, les enfants meurtris par la trique des prêtres. Devant les goulags de Staline, j’ai changé Karl pour Groucho et les idées pour la musique. Si le passé me rend obèse, c’est par les phrases que j’ai tues et les gestes ratés. Je les porte en moi comme un pain de famine alourdissant le cœur. J’ai le couteau de Lichtenberg enfoncé dans les mots. Il ne fait pas saigner mais coupe la parole.

 

Que serons-nous sans contes, sans légende, sans autre voix que celles des portables ? Que serons-nous sans arbres, sans larmes, sans amour ? Que serons-nous sans mots sinon ceux du commerce ? Que serons-nous sans nous quand les monstres d’acier auront tout démoli ? S’il n’y a plus d’espoir, j’écrirai pour en faire. Le passage est étroit dans le regard des hommes. Le visage du monde tient mal dans un cadre. Même si la terre nous mord, il faut tendre la main à la moindre goutte de pluie. J’habite encore le sommeil de l’enfance. J’entends le cœur du temps faire craquer les murs. On ne sait pas trop bien ce que dit la mémoire. Le vent seul rend compte du passage des anges. Je reverrai toujours, le saule, le ruisseau, la balançoire, la peluche et le chat. Dans les jeux de ruelle, j’étais toujours l’indien, mais quand j’étais cowboy, j’échangeais mon colt pour un arc et des flèches et j’enterrais la hache de guerre. À défaut de sous blancs, je traîne dans mes poches des cailloux de ruisseaux. On n’allume pas de feu en frottant de la monnaie. Ma petite ligne de vie me sert de crayon, ma ligne de cœur de grammaire. Mes mots retroussent les iambes du poème, les jambes du décor, les jupes de la vie. Je mêle des papillons aux flocons de la neige. Je mets du vin de glace dans les flacons d’hiver, mes deux pieds dans les flaques, mes yeux sur l’horizon, mes deux bras dans l’azur.

 

(Francopolis, Coup de cœur, juin 2015,

choix Gertrude Millaire)

 

Photo reproduite de la page de l’équipe Francopolis (archive)

 

 

Les tout derniers textes

 

Extraits de son blog

 

À partir de rien

Le silence peuplé
par la rumeur des autres
est une autre façon
de ne pas être seul.

Il y a dans chaque homme
un soleil que tout cache,
une pluie d'infini
que tamise le temps,
une épine égarée
au milieu des caresses.

Le soleil intérieur
ne peut rien contre l'ombre.
À partir de rien
nous sommes passés des arbres
à la souffrance de l'homme.

L'amour des oiseaux
n'ajoute rien aux ailes
qu'on n'a pas déployées.
L'homme apprend à voler
à partir des racines
non de l'air ni du ciel.

Tu peux tout effacer
des rêves ou des images
ce qui reste est l'espoir.

Il y a toujours
dans le jardin secret
une fraise tardive
rouge de confusion.

Publié le 21 décembre 2022

 

Si loin

Nous étions si bien tous les deux à caresser un loup, à regarder la pluie en larmes sur la vitre, tant de petits soleils. La vieille chaise a verdi où nous étions assis. Des fleurs y poussent en souvenir de toi. Je voulais mordre à la même pomme, planter le même noyau, toucher la même écorce. Je voulais marcher avec toi, longer les rives, arpenter les sous-bois, faire craquer les doigts de l'air. Je voulais dormir avec toi, ajouter tes collines à mon paysage, ton feuillage à mes branches, tes lèvres à ma bouche. Je pense toujours à toi. Je t'écris. C'est bête, mais je vis. Je vis pour toi là-bas où la mémoire perd son sang. J'apprends à lire de loin les mots que tu écris. Je ne suis pas là où j'habite. Je suis là-bas où tu vis. J'écris avec une main sans corps pour retrouver ta chair.

Ta photo sur le mur retourne à son négatif jusqu'au moment où elle fut prise. Tu me regardes ici, et pourtant, je suis là-bas, derrière ton dos. Je t'accompagne quand tu quittes ton corps. Je me fonds dans le paysage comme la flèche dans son but et le désir d'être là. Avec les années, les étés qu'on a vécus ensemble restent jeunes. Ils tintent dans mes phrases comme des campanules. Ce qui était ne sera plus, et pourtant je le vois. Une nuée d'oiseaux se pose sur une île. Dans la maison de l'air, un pays infini baigne le blanc des yeux.

Écartelé entre les continents, je rêve d'un point commun sur la planète et au-delà, d'un grand lit calme dans la maison de l'air, d'une verdure commune dans les herbes du corps. La tendresse est une force à deux. L'herbe sent bon lorsque je pense à toi. Ton eau fraîche coule en moi comme un ruisseau de vie.

Il m'arrive de rêver de la même façon que je vis. Nous avions 9 ans. Je te traînais dans une voiture d'enfant, une voiturette de rêve. Tu étais toujours amie avec un autre, mais moi je regardais à travers tous les trous, les fissures, les grillages de l'air. Ta petite robe à pois écartait le malheur et ta poupée de son me faisait les yeux doux. Le soleil nageait sur tes taches de rousseur. Nous nous sommes perdus dans les grandes lignes de la ville, mais nous sommes retrouvés parmi les souvenirs. Dans le tissu du monde, un fil nous relie l'un à l'autre. La chambre close de tes bras s'est ouverte pour moi. Le lit où nous couchons nos vies est une longue rivière. L'amour est un passage à gué, un survol d'oiseau avant de nidifier, un nid pour la chaleur des œufs et la rumeur des eaux.

Il m'arrive de rêver comme les fleurs éclosent. Tu as laissé tes pas sur le tapis rouge de mes veines, des éclats de soleil dans l'ombre qui me suis. La vie ne baisse pas les bras, mais unit ceux qui s'aiment. L'espace bouge comme un doigt dans la bague du temps. Il me suffit d'un mot pour que roule encore la petite voiture, pour que le vent décoiffe tes cheveux en broussaille. Chaque matin, je regarde le ciel. Les oiseaux m'apportent des nouvelles de toi. Ces facteurs à plumes distribuent les sourires tout autant que les larmes. Je t'écris des poèmes dans les marges des pages. Hier est aujourd'hui et demain sera toi. La route du paysage est une clef vers toi.

Je voulais te présenter mon corps, mes caresses mes mains. Je voulais te présenter mes yeux, mes regards, mes jambes. Je voulais te présenter mes bras, ma poitrine, mes pas. Je voulais te présenter ma vie avant qu'elle vieillisse. Je voulais te présenter mon cœur, mais je n'ai que des mots. Mes doigts restent accrochés au bois nu d'un crayon.

Je me souviens de ton écharpe volant au vent, de toi assise sur la galerie dans la vieille berçante, tes yeux au bord du lac rattrapant l'horizon, ta main flattant mon loup entre la crainte et la tendresse. En route vers ton corps, mes mains se font légères pour toucher ta douceur. Mes doigts s'envolent en caresses. Je voudrais tant que tu sois là, alors je t'écris.

 

Publié le 21 décembre 2022 

 

 

La main qui manque

J’écris avec la vie,

au pain sec et à l’eau,

à la semence des regards.

Je suis un lieu commun

qui quête l’espérance

avec sa main qui manque.

Je suis un grand trou noir

engrossé de lumière.

Je trempe ma parole

dans la boue de chacun.

Je tourne comme un cœur

dans la roue des oiseaux.

 

Publié le 21 décembre 2022 

 

À la rencontre des chemins

Le ciel s’étend tout nu sur les arbres, sa robe de nuit accrochée aux étoiles. Un vent lui fait la cour, un vent de belle force, tout en musculature, la peau fraîche, les doigts comme des agrafes, la poigne d’un bûcheron. Les fleurs se couchent devant lui. Des images se peinturent dans ma tête, des phrases en bras de chemise, avec l’accent et le tintouin de la terre, des choses d’air et de salive, des objets de musique, tout ça qui fait la couleur des mots. La vie s’appuie contre ma bouche avec ses goûts et ses odeurs. La parole des herbes, des arbres, des montagnes monte en moi et me pique la gorge. Malgré ses rires d’enfant, ses joies naïves, elle vit sa vie de grande personne, ma voix. Elle met un peu de baume sur le moisi du monde, du beurre sur la page. Les pensées bien assises dans ma tête se lèvent pour danser. Je regarde le soleil. Je le bois jusqu’au bord des paupières, à ras des yeux. Je laisse le vieux malheur couché dans la poussière se mordre les gencives. La main s’ouvre comme une porte à la charnière du poignet. La respiration intérieure contribue à faire bouger les doigts. L’âme se tapisse de vert, celui des feuilles et des fougères, des futailles et du foin. Pour que vienne le fruit, il faut d’abord semer, laisser monter la sève dans la chair en bois d’arbre. Il faut d’abord s’aimer pour que vienne la vie. Le paysage court à la rencontre des chemins.

Ce matin, je me sens drette comme un piquet tout neuf. Le mal d’aider, ça vous prend par les tripes. Un coup de main, un coup d’épaule, les coudées franches peuvent basculer le malheur. Ça nourrit mal les os mais ça gonfle le cœur, un peu de chair humaine sur le squelette du froid, une petite fleur dans les ruines. Il y a déjà trop de place pour les mauvaises choses, l’argent, l’orgueil, le fusil. J’aime quand les mots se mettent d’accord comme des sillons sur la page, prêts pour le grain et le soleil. Les images passent devant le rond des yeux et touchent la rétine. Ça fait comme une porte qui s’ouvre sur le paysage, des petites feuilles d’espoir sur les bras des arbustes. Un écureuil mêle son poil à celui des érables. Il annonce le printemps avec sa queue rousse. Les idées noires, les agaceries mentales, la poussière des mots, les choses du cerveau entassées durant l’hiver n’attendaient qu’un signe pour alléger les tempes, une langue d’air frais. Elles tombent comme un vieux manteau. Ça sent déjà la pomme, l’eau boueuse, la sarriette. Je suis tout à la fois l’abeille dans la fleur, la ruche, le pollen et la tartine sous le miel, le sucre dans l’érable et la palette de bois qui tortille la tire.

C’est beau le printemps. Il fait clair tout soudain dans le dedans de la tête. Le vent lape une soupe d’herbes. Les yeux s’amusent à rapporter des choses, une fleur en boutons, le passage d’une oie, les traces d’un chevreuil. J’écoute la naissance des gestes, l’éclosion du moment. J’en triture la page comme l’aubier sous le rabot. Je fais ma route dans la sciure des mots. Des décors s’effacent. D’autres se dressent. Les pierres s’allongent à mon oreille, les mamelons des collines, des épinettes en vrac, le mordoré des foins, une plaque de neige restée collée sur une paroi de schiste. Des sons s’étiolent. D’autres surgissent. L’hiver tire à sa fin et j’ai déjà des fleurs dans les yeux. Le ciel est bleu. L’eau du lac s’y reflète avec ses filaments de glace comme des nuages. Le paysage se fait propre, change de linge, se met sur son trente-six. Le vent est une main. Il parle avec de grands gestes, raccommode, recoud, lave les yeux des vitres. Les mains les plus vivantes se démarquent dans l’ombre. Elles sont plus présentes. Elles accaparent le soleil.

La neige fond. L’humus prépare déjà la chair des campanules. La chaleur accélère le va-et-vient de la sève. Le temps des sucres bat son plein. L’odeur du bois se mêle au parfum de la neige. Le soleil pose sa joue contre l’épaule des montagnes. La lumière nous parle à travers les ombres. Une aube rose agite la peau fragile du lac. L’humus et les nuages mélangent leurs acides. L’air sans forme s’immisce dans le sans fond de l’être, faisant l’offrande du souffle. On ne voit pas la sève mais on respire son odeur. Entre les plaques de neige, les nuances de couleurs et celles des arômes illustrent les métamorphoses. Lorsque la neige fond, la terre lui pardonne. La chlorophylle s’active dans le cerveau des plantes. Quand la table est dressée, des racines cachées apportent la lumière.

Le soleil pavoise dans les champs, avec l’herbe et les arbres, les insectes et les pierres, un vieil épouvantail où se coltinent les oiseaux. Un pain d’humus fermente sous la terre. Une lumière danse dans le bocal du lac, le vent dans les bocages. L’eau des ruisseaux a retourné ses pierres. Les arbres tournent le dos. Tout diffère au printemps. Le ciel tourne de l’œil et l’horizon sa veste. Les oiseaux quittent les tunnels de l’air pour rejoindre les nids. L’herbe jaunie ne cache pas sa joie. Elle se couvrira du vert de l’espérance. Fidèle au rendez-vous, la sève monte sous l’écorce. Une seule nuit suffit au lac pour caler. Ce matin, quelques haillons de glace se remémorent le froid. L’eau brille tout autour. Le temps récalcitrant se découvre d’un fil. L’espace fait de même. La terre écourtichée laisse entrevoir ses cuisses.

 

Publié le 20 décembre 2022 

L'inachevé

Vivent l'inachevé,

la maison vide,

la graine non germée,

l'incertitude,

le doute.

 

L'espoir s'y répand

entre les trous du vide

pour préparer la vie

ou réparer la mort.

 

Publié le 20 décembre 2022 

 

 

Donne

Donne à boire au désert.

Donne soif à la pierre.

Donne forme au désir.

Donne la main à l'espoir

et la chance au coureur,

la douceur, la tendresse

aux gens battus de larmes.

Redonne à l'homme son enfance,

ses racines à la planche,

au masque ses grimaces,

à la mer ses sources.

Redonne à l'arbre mort

la confiance du fruit.

 

Publié le 20 décembre 2022 

 

Les derniers mots

Ça vient du plus profond du corps, les os qui craquent, les nerfs qui claquent, un clin d’œil tranchant comme une lame, brûlant comme une flamme, brillant comme une larme. Tout mon corps va à vau l’eau. C’est une drôle de sensation de souffrir et de se voir mourir dans une odeur de morphine et de médicaments, une dernière suée, une senteur de suif près de s’éteindre. J’ai de plus en plus de difficultés à écrire. Ce sera sans doute mes derniers mots.

 

Publié le 20 décembre 2022 

 

Van Gogh

Le  tableau captivant de Vincent Van Gogh, en asile psychiatrique.. 🎑.  "C’est lui qui nous regarde, au premier plan, dans la pénombre d’une petite pièce d’exposition. " fondation Morozov.

Le tableau captivant de Vincent Van Gogh, en asile psychiatrique. « C’est lui qui nous regarde, au premier plan, dans la pénombre d’une petite pièce d’exposition. »(Fondation Morozov).

 

Publié le 21 décembre 2022 

 

 

 

(*)

 

Le poète québécois Jean-Marc La Frenière (1948-2023) nous a quittés le 5 janvier, en laissant derrière lui une voix qui nous parle, forte, tendre, vaste, inextinguible.

Francopolis, qui a eu l’honneur de l’avoir parmi ses membres du comité de lecture pendant quelques années (2004-2007), se réjouit de pouvoir la faire entendre, par ses propres textes, publiés dans notre revue (ou sur son blog).

Cette sélection de textes fait suite aux témoignages poignants de celles et ceux qui l’ont côtoyé (voir la première partie du présent dossier).

À ne pas oublier, entre autres leçons de vie, d’esprit et de parole qu’il nous a laissées, celle-ci, qui nous semble particulièrement pleine de sens : « Entre les barreaux que sont les hommes, il faut apprendre à s'évader. » (aphorisme, sur son blog).

 

(D.S.)

 

 

Voir le début de ce dossier hommagial dans ce même numéro : 1ère partie

 

 

Une vie, un poète : Jean-Marc La Frenière

Francopolis janvier-février 2023

Recherche Dana Shishmanian

 

Créé le 1 mars 2002