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Novembre-Décembre 2021

 

 

 

 

Monique W. Labidoire, Être du monde.

Poèmes, accompagnés d’aquarelles de Léa Labidoire

(Éditions Éditinter, septembre 2021, 102 p., 20 €)

 

Note de lecture par Dana Shishmanian

 

 

(*)

 

 

 

On aurait presque envie de lire ce tout dernier recueil de Monique W. Labidoire à rebours, en commençant pas la fin, tant la structure du livre incite à passer directement à Échappées : Être des fleurs, comme si on avait déjà parcouru Être du monde, Être mémoire, Être du poème, Être du temps, Être du fraternel, et enfin, Être de la mort  En fait c’est bien ce que j’ai fait, poussée par un élan inconscient de « remonter le temps » – celui du livre, bien entendu…

Cette lecture inversée m’a vraiment donné l’impression d’une nage à contre-courant, qui vous amène à refaire, derrière, le parcours dans le sens du fleuve – mais avec la perspective du point de chute, celui d’un horizon d’apaisement comme au-delà (ou en-deçà) du parcours de sa vie (les fleurs…), qui renvoie directement vers le point d’origine, celui de l’avant-vie, d’une jetée au monde par la naissance ; que reconstitue ensuite la mémoire… pour arriver à cette seconde naissance, la naissance au poème, qui elle nous ouvre à et vers nos semblables (le fraternel) ; pour nous faire camper enfin (ou un instant…) sur le rivage ontologique de la mort… En revisitant ce parcours je me rends compte qu’il s’agit d’une boucle temporelle et que le livre peut se commencer avec n’importe laquelle de ses sept sections, il s’enroule et se déroule de la même manière, sur et hors lui-même, tel l’embryon d’une Parole en éclosion, qui, après s’être étalée, revient en elle-même, tout passage de niveau étant en même temps un début et une fin.

Avec une maîtrise des mots et du phrasé de plus en plus subtile, harmonieuse, plastique, précise, la poétesse nous fait vivre son univers intérieur fait de fulgurances venues des poètes fondateurs (sont évoqués entre autres Villon, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Guillevic, Marie-Claire Bancquart, Andrée Chedid), de pensées sur l’histoire et les misères des hommes, d’une énorme empathie pour le vivant en général – et surtout, d’un permanent dialogue entre être et poème – où l’un engendre l’autre – car on est tant qu’on parle en poésie et on devient ce qu’on écrit… alors même que tout cela ne laisse derrière que de l’éphémère immortalisé dans l’art.

Quelques « versets » mémorables, pour partager avec nos lecteurs le plaisir exquis de cette lecture (cette fois, dans le bon ordre…) :

« Chaque jour guide la main du poète à dessiner les courbes de son cœur et chaque poème s’interroge et interroge le paysage, le lieu, l’éprouvé des choses s’agréant de revivre le poème selon la couleur du temps afin que se prolonge son inextinguible soif d’être du monde et d’être du poème. » (Être du monde, p. 12)

« Regardant l’enfant prendre du cornet en papier une châtaigne brûlante à la cosse légèrement noircie, il n’y a plus d’autrefois, plus d’hier, plus de naguère mais seulement cet instant arrêté où l’éternité frôle une existence passée si particulière. » (Être mémoire, p. 28)

« À chaque heure le poème a puisé dans sa source et veillé à sa fraîcheur jusqu’au recommencement du jour. Il a trouvé refuge au sein d’un champ de lin bleu, sur le quai d’une gare, dans une île ouverte aux tempêtes et son cœur ne renonce pas aux chocs puissants du hasard. » (Le livre d’heures du poème, dans Être du poème, p. 43)

« Au-delà des mots en sempiternelle récurrence, les gestes prennent poids sur les plateaux de la balance et ceux qui ensemble ont marqué par leur présence au monde l’espace et la durée franchissent sans se retourner les portes sacramentelles, laissant à Eurydice et Orphée le choix d’autres séjours. » (Être du temps, p. 57) 

« Il est temps d’affronter le temps et la matière, temps d’espérer et de disparaître. Ce serait comme si de nouveau le temps s’absentait pour faire place à l’aventure d’un autre monde. » (Être du temps, p. 62)

« L’odeur du poireau n’a pas sa pareille. Chaleureuse, familiale, fraternelle, elle conduit aux mots peints sur de vastes paysages et ouvre le chaudron à poèmes. » (Élégie du poireau pour une soupe fraternelle, dans Être fraternel, p. 67)

« Il n’y a pas d’au revoir seulement un « à dieu » troublant dans son chant capital et son extrême indécence à accepter l’irrévocable destinée humaine comme un dernier bienfait d’une existence vibrant d’amour et de beauté, qui en cette seconde finale oublierait tous malheurs, toutes cruautés. » (Être de la mort, p. 72)

Pour la section Échappées : Être des fleurs, je n’arrive pas à choisir un fragment car ce serait donner la préférence à une seule, alors qu’elles exhalent toutes leurs fragrances littéraires à la seule évocation de leur nom… qu’elles soient donc rappelées ici, dans le désordre : pensées, chrysanthèmes, violettes, la rose « habillée de tous les émois », muguet, pâquerettes, mimosa, lilas, marguerite, coquelicot, bleuet, hortensia, glycine… sans oublier le houx de Noël.

Un appel fort se dégage entre tous de ce livre puissant où poète et poème s’entrevivent :

« Trop de bruits.

Trop de mots.

Pas assez d’amour. » (p. 52)

Merci, Monique, ta voix nous porte, elle est nourricière, elle nourrit d’amour pour la poésie et d’amour tout court. L’humain en a tant besoin dans ces temps d’oublis et de perte de repères de soi.

 

©Dana Shishmanian

 

Une image contenant tissu

Description générée automatiquement

Aquarelle de Léa Labidoire (p. 85)

 

 

(*)

 

Voir sur Monique W. Labidoire l’article qui lui est consacré dans notre rubrique Un vie - un poète (janvier-février 2020) ; les chroniques / notes de lecture sur ses recueils, à la rubrique Francosemailles (septembre-octobre 2021, avril 2017, avec une présentation) et Lectures-chroniques (décembre 2014, avec une biobibliographie) ; enfin, ses propres lectures-chroniques, publiées à la rubrique Francosemailles (septembre-octobre 2021, mars-avril 2020-1, mars-avril 2020-2, mai 2015), ainsi que sa contribution dans ce numéro même sur Werner Lambersy, à la rubrique Une vie – un poète. Nous apprenons avec joie qu’elle a été promue au grade de "Chevalier des Arts et des Lettres", une belle récompense pour toute une vie dédiée à la poésie, tant à sa propre écriture poétique qu’à la connaissance des autres, avec le talent rare de pénétrer dans l'univers d'un poète pour nous le rendre sensible, compréhensible, presque familier, avec cet amour des mots qui nous fait voir.

 

 

 

Monique W. Labidoire

Note de lecture de Dana Shishmanian

Francosemailles, novembre-décembre 2021

 

 

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