D'une langue à l'autre...
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Archives : D'une langue à L'autre

 

Mars-avril 2023

 

 

 

« Petit poète tu n’es plus seul… » :

 

Michel Herland, Tropiques suivi de Miserere

/

Tropice urmat de Miserere.

 

Traduction en roumain par Sonia Elvireanu

(Éditions Ars Longa, Iassy – Roumanie, 2020)

(*)

 

Présentation et sélection de textes

Par Dana Shishmanian

 

Une image contenant diagramme

Description générée automatiquement

 

En guise de présentation

Après le recueil Haïkus Martinique (Fort-de-France, K-Éditions, 2018), ce volume de poèmes de l’écrivain Michel Herland, par ailleurs historien des idées et sociologue, nous apparaît comme révélateur d’une plume qui semble plonger directement et sans complexes dans l’encre de fiel et de sang d’un vécu trouble voire tragique, où rien n’est étranger à l’homme, pour rappeler le vieil adage de Térence. D’où les deux volets contraires mais complémentaires qu’a bien mis en exergue, avec autant de perspicacité et d’accuratesse que d’empathie, Jean-Noël Chrisment, en écrivant dans sa préface, pour décrire les poèmes réunis dans ce livre :

« ce sont des poèmes essentiellement érotiques qu’il nous offre. Les voici donc sous vos yeux, livrés avec une sorte de désinvolture contrainte, provocante parfois, jusqu’à l’obscène ou l’argotique, dont une contraction syntaxique, par endroits, semble venir rectifier l’abandon. L’exaspération du désir y est volontiers d’une leste crudité, mais également distancée d’accents courtois, comme des clins d’œil adressés à un fin amor oublié… (…)

Plus loin, mais à peine, si brutalement à proximité, ce sont les misères du monde, les révulsantes notations du sordide, les énumérations de la douleur, du désespoir.

Parce que, si rien n’est plus fragile, plus déchirable que la peau, plus éphémère que la caresse, rien ne semble aussi plus durablement encrassé en l’homme que la violence triste de sa condition. »

À son tour, la traductrice de ses poèmes en roumain – la poétesse Sonia Elvireanu – note pertinemment dans sa postface :

« L’exotique et l’érotique se conjuguent en une sorte de duo provocateur, comme nous aiguillonne la beauté sauvage de visions rappelant certains poèmes de Baudelaire. Le paysage tropical, ses couleurs fascinantes et ses senteurs enivrantes excitent la sensualité du poète qui s’abandonne à une passion troublante pour sa noire déesseLa douceur de l’air, quand ce n’est pas la torpeur torride ou la moiteur humide des forêts, fait s’épanouir en la mystérieuse femme d’ébène un archétype qui hante les mythes et les littératures du monde. (…)

L’exotisme et l’érotisme de Tropiques s’opposent au triste et au sordide qui dominent dans Miserere, intégré dans le même recueil. Les misères de la vie (pauvreté, souffrance, chagrins, dégradation, perversion, vieillesse, solitude) sont évoquées par une mosaïque d’images souvent hideuses, voire abjectes de la ville. Ainsi, au charme envoûtant du paysage tropical s’oppose brutalement un espace repoussant, ses maux et ses vices. »

Mais on ressent aussi et surtout, chez ce poète, dont on a remarqué à juste titre le recours constant à des formes réputées anciennes, comme il l’avoue lui-même en sous-titrant un des textes : « sur le mode ancien » – notamment le sonnet, la balade, la complainte, le lai médiéval – une vocation à brouiller en quelque sorte les pistes, en jouant avec les mots, dont des lexèmes rares voire des archaïsmes, avec la syntaxe, lacunaire et par endroits complétement cassée, et avec les formes de versification, jusqu’à un certain hermétisme touché d’un surréalisme génuine, ce qui n’est pas sans évoquer un air parnassien et donne des effets d’un baroquisme post-moderne, si la formule n’est pas trop osée. En tout cas, ce sont des poèmes difficiles à traduire, si l’on veut transposer, dans la langue d’accueil, le charme recherché des rimes et des rythmes de l’original : les réussites, en roumain, qu’on peut apprécier ici sont d’autant plus méritoires. Par contre, les poèmes en vers libre, qui posent moins de problèmes à la traduction, gagnent, dans la langue roumaine, en rugosité, en renforçant l’effet expressif brute de l’original.

La sélection de poèmes ci-dessous reflète, bien entendu, un goût propre, mais aussi, je l’espère, quelque chose du sous-texte d’une écriture plus complexe que ne le laisse penser une première lecture.

D. S.

Sélection de textes

Black panther

C'était un triste soir au lointain des tropiques

Je marchais d'un pas lourd et sans hâte et sans but

Quand je la vis venir altière et magnifique

On l'aurait crue sortie triomphante d'un rut

 

Elle roulait souplement les épaules et les hanches

Et semblait dédaigneuse envers le genre humain

Bel animal sauvage qui jamais ne s'épanche

Pourquoi s'approcha-t-elle à portée de ma main

 

Était-elle tendue par l'envie ou l'effroi

Ses naseaux palpitaient sous son souffle puissant

Telle une bête en chasse qui mesure sa proie

 

Mais sous cette violence son regard était doux

J'ai failli caresser son pelage luisant

Je me sentais déjà idiotement jaloux

 

Pantera neagră

Era departe la tropice o seară tristă

Păşeam cu pas greu şi fără grabă şi fără tintă

Când o zării venind falnică şi minunată

Ai fi crezut-o învingătoare dintr-un rut ivită

 

Îşi mlădia uşor umeri şi coapse

Şi părea de oameni depărtată

Frumoasă sălbăticiune ce nu se-ncrede vreodată

De ce vine aşa de aproape

 

De dorintă ori de spaimă era tulburată

Nările-i fremătau sub răsuflarea înviorată

Ca o fiară la vânătoare de pradă ispitită

 

Dar sub acea violentă ochiul era duios

Am fost gata să-i mângâi trupul lucios

Mă simţeam deja prosteşte gelos

 

Joyeux néant triste mangrove

Lagune d'écrasé soleil

Frémissement triste mangrove

Quiétude abruti sommeil

Trois caïmans lunette torve

 

Allamandas le lent balan

Arithmétique fantastique

De la mer turque son élan

Éclaboussée d'un trait mystique

 

Épanouit déesse aux pieds nus

Noire beauté qui tant me gouste

Ondine d'où ne sait venue

Couinent manitous et mangoustes

 

Jouissant du rayon malséant

Impure et brune Brunehilde

Tourbillonnant joyeux néant

Vers mon naufrage ô ma sylphide

 

Vesel neant tristă mangrovă

Lagună soare spart

Freamăt mangrovă tristă

Calm tulbure somn

Trei crocodili mioapă lunetă

 

Alamanda lină legănare

Aritmetică fantastică

Din marea turcă a sa ardoare

Scânteind sub o lucire mistică.

 

Străluceşte zeiţa cu picioarele dezvelite

Frumuseţe neagră ce-atât mă gustă

Ondină de nu se ştie unde ivită

Gem sarigi şi manguste

 

Bucurându-se de raza morbidă

Impura şi bruna Brunhildă

Rotindu-se vesel neant

Spre-al meu naufragiu o silfidă

 

Eros et thanatos

Je songe à ma maîtresse dans toute sa splendeur

Et je songe à ma mère sur son lit de douleur

La femme-enfant qui joue finement de ses charmes

Et la vieille accablée qui n'a plus que des larmes

 

Celle qui s'émerveille de se trouver si belle

Et celle qui ramasse les regrets à la pelle

La première qui jouit avec tant d'insolence

La seconde qui n'aspire plus qu'au silence

 

Mes deux amours, je vous chéris pareillement

L'une qui a vécu et s'endort lentement

L'autre qui s'épanouit dans la magnificence

 

Vous êtes dans mon cœur comme deux sœurs jumelles

Émouvantes charmantes également fidèles

Je vous aime aussi fort sans aucune indécence

 

Eros si thanatos

Visez la amanta în plină splendoare

Visez la mama pe patu-i de plânsoare

La femeia-copil cu jocu-i viclean de vrăjeli

Şi la bătrâna învinsă stoarsă de lacrimi

 

Cea încântată de-a ei frumuseţe

Şi aceea care-adună prea multe regrete

Prima se bucură cu-atâta nepăsare

A doua nu mai râvneşte decât la îndurare

 

Iubirile mele, vă-ndrăgesc pe-amândouă la fel

Una a trăit şi-adoarme uşurel

Alta înfloreşte-n frumuseţe

 

În inimă-mi sunteţi două surori gemene

Fidele tulburătoare şi fermecătoare

Vă iubesc tare mult fără vreo impudoare

 

Sur son rêve étendu le lac

Sur son rêve étendu le lac

Nymphe d'argent bleu de ses yeux

D'or troubadour vide son sac

Un trébuchet aveugle dieu

 

Ciel fauve écrasé vautour

Trace sourde de l'éclair noir

Mystérieux Borobodour

Aurore du jour point le soir

 

Nymphe d'argent lance l'amant

Cueille trèfle cœur carreau pique

Colle bouche mouche l'aimant

 

Pourpre son éminence ment

Satan le règne sarcastique

Sifflement souple le serpent

 

Pe visul său aşternut lacul

Pe visul său aşternut lacul

Nimfă de-argint al ochilor azur

Trubadurul îşi scutură de aur sacul

O cumpănă orb demiurg

 

Cer arămiu mohorât vultur

Urmă surdă negru fulger

Misterios Borobodour

Zorii noaptea străpung

 

Nimfă de-argint lansează iubitul

Culege treflă inimă carou pică

Prinde cu gura uimită magnetul

 

Purpură eminenţa sa minte

Satana îl domină sarcastic

Şuierat suplu de şarpe

 

Migrations

Sais-tu pourquoi la borne sur laquelle tu es assise est ratinée sept fois

Le sais-tu

Devant toi tes enfants

Et les enfants de tes enfants

Ton troupeau

Orgueilleux déterminés

Gloutons assoiffés

Viandes grasses libations enivrantes

Sauront-ils se tenir

Sauras-tu les retenir

Ou te précipiteras-tu avec eux dans le gouffre

 

Entends-tu au loin l'aboiement des chacals

Au loin pas si loin

Qui ont eu vent de tes festins

 

Tes gardiens sont fatigués

Certains même ont pitié

 

Car

Les chacals efflanqués jamais ne connurent l'encens ni la mire

N'est point pour eux la poussière d'or dans leurs tamis

Non plus que les ternes cailloux qu'ils ramènent du fond de la mine

De leurs doigts griffus

Diamants étincelant sur la gorge de tes filles

Leurs doigts effilés qui jamais ne griffèrent la terre

 

Dans la cure le cul manucuré du curé brûle de désirs

Pénètrent les chacals dans les églises

On a planqué le saint-sacrement

Tes chiens aboient

 

Arrive le général Hiver

Grelotent les tortues

Dans leur carapace Décathlon

Dérisoire protection

 

Tes enfants voyagent

Business ou classe éco

Qu'importe

Temples ou pyramides

Mer ou montagne

Qu'importe

Le monde est grand

Faut voyager

 

Les jets font des gribouillis dans le ciel

Les fumées de kérosène c'est bon pour l'éco

 

Et clic un selfie devant Ground Zero

Et clic un selfie devant la frontière barricadée

Un touriste blanc de peau reluque les seins de la belle négresse sur la plage

Dans le camp un réfugié basané reluque les seins de la blonde humanitaire

Contre quelques dollars le touriste décati aura la belle négresse

Quelques dollars

Contre quelques milliers de dollars le réfugié basané n'atteindra pas la terre promise

Quelques milliers

 

Parce que tes chiens

Tes chiens infatigables

Tes chiens qui mordent

Migraţii

Ştii de ce borna pe care eşti aşezată de şapte ori e-nrădăcinată

Ştii

În faţa ta copiii tăi

Şi copiii copiilor tăi

Turma ta

Orgolioşi hotărâţi

Înfometaţi însetaţi

Cărnuri grase libaţii

Vor şti să reziste

Vei şti să-i opreşti

Ori te vei prăbuşi cu ei în abis

 

Auzi lătrat de şacali departe

Departe nu prea departe

De ospeţele tale înfometaţi

 

Paznicii tăi sunt epuizaţi

Unora chiar le e milă

 

Fiindcă

Şacalii slăbiţi n-au cunoscut niciodată nici tămâia nici mirul

Nu-i pentru ei pulberea de aur din sită

N-au decât piatra mohorâtă smulsă din mina adâncă

Cu degetele lor ascuţite

Strălucesc diamantele pe pieptul fiicelor tale

În pământ degetele lor fine niciodată n-au scormonit

 

În biserică dosul de pastor lustruit arde de dorinţi

Pătrund în biserici şacalii

A fost ascunsă sfânta euharistie

Câinii tăi latră

 

Vine Iarna stăpână

Tremură broaştele

În carapacea Decatlon

Derizorie protecţie

 

Copiii tăi călătoresc

Business ori eco class

Ce contează

Temple ori piramide

Munte ori mare

Ce contează

Lumea-i mare

Musai să călătoreşti

 

Fumurile mâzgălesc cerul

Gazele de kerosen sunt bune pentru eco

 

Şi clic o selfie în faţa lui Ground Zero

Şi clic o selfie în faţa graniţei baricadate

Un turist alb se holbează la sânii frumoasei negrese pe plajă

Într-o tabără un oacheş refugiat se holbează la sânii blondei umanitare

Pentru câtiva dolari turistul ofilit o va avea pe frumoasa negresă

Câtiva dolari

Pentru câteva mii de dolari tuciuriul refugiat nu va ajunge-n pământul promis

Câteva mii

 

Şi câinii

Neobositii tăi câini

Câinii care muşcă

Petit poète

Petit poète au regard si noir

À quoi penses-tu le soir

Lorsque tes grands yeux se ferment

Sur une dernière larme

 

Petit poète aux cris déployés

Aux grands gestes de noyé

Sais-tu bien qui sont les tiens

Sais-tu même d'où tu viens

 

Petit poète aux larmes amères

Qui soupire après sa mère

Celle qui n'est jamais là

Perdue dans les falbalas

 

Petit poète au sourire en fleur

Qui éclot après les pleurs

Est-ce la désolation

Est-ce la consolation

 

De quelle peine ou de quel chagrin

Qui t'a frappé ce matin

Ont jailli ces vers plaintifs

Pourquoi ce chant si craintif

 

Petit poète tu ne sais pas

Quel méchant sort te frappa

Vilain souffle d'outre-tombe

Le jour où tu vins au monde

 

Mais vers toi les cavaliers s'élancent

Pleins d'une fière vaillance

Ils vont se battre pour toi

Ils sont tes braves soldats

 

Petit poète tu n'es plus seul

Secoue ce triste linceul

Dissipés les cauchemars

Envolées les idées noires

 

Petit poète tu peux courir

Il n'est plus temps de mourir

Regarde le soleil brille

Et l'oiseau lance ses trilles

 

Biet poet

Biet poet cu privirea atât de adâncă

La ce visezi seara

Când ochii tăi mari se pleacă

Pe o ultimă lacrimă

 

Biet poet cu strigăte revărsate

Cu gesturi mari speriate

Cine sunt ai tăi ştii

Chiar ştii de unde vii

 

Biet poet cu lacrimi amare

După mama sa în suspinare

Ea nu-i aici niciodată

între pliuri rătăcită

 

Biet poet cu surâs de floare

Ce înfloreşte după plânsoare

Asta-i dezolare

Asta-i consolare

 

Din ce necaz ori ce mâhnire

Ce te-a lovit în astă dimineaţă

S-a ivit acest poem plângător

De ce acest cânt atât de temător

 

Biet poet nu ştii

Ce soartă tristă te-a lovit

Suflul perfid de dincolo de moarte

În ziua-n care în lume ai venit

 

Însă cavalerii se-avântă spre tine

De mândră vitejie încleştaţi

Se vor bate pentru tine

Sunt bravii tăi soldaţi

 

Biet poet nu mai eşti singur

Scutură-acest trist linţoliu

Risipite coşmaruri

Dispărute chinuri

 

Biet poet poţi fugi

Nu mai e timp pentru-a muri

Priveşte soarele străluceşte

Şi pasărea ciripeşte

 

(*)

 

Michel Herland, TROPIQUES suivi de MISERERE / TROPICE urmat de MISERERE, Editura Ars Longa (Iassy, Roumanie), 2020 (136 p.). Traduction en roumain et postface : Sonia Elvireanu. Préface : Jean-Noël Chrisment. Paru dans la collection Perseide, dédiée à des œuvres littéraires d’expression française écrites par des auteurs contemporains, ainsi qu’à des traductions bilingues de et vers cette langue.

Voir la présentation du livre par sa traductrice, Sonia Elvireanu, dans la revue Traversées (article en ligne le 17-12-2020), que nous avons repris dans Francopolis à la rubrique Francosemailles (janvier-février 2021), et par son préfacier, Jean-Noël Chrisment, dans Mondes francophones (article en ligne le 28-01-2021).

Présence à Francopolis : pour Michel Herland, voir dans ce même numéro la notice accompagnant sa contribution à la rubrique Une vie, un poète, qui retrace ses précédentes contributions à notre revue ; pour Sonia Elvireanu, voir sa dernière contribution, avec des poèmes en version bilingue,  à cette même rubrique, au numéro de janvier-février 2023.

Nous avons déjà fait connaissance avec la très active maison d’éditions roumaine Ars Longa, qui accompagne nombre d’auteurs roumains vers le monde francophone, et d’auteurs francophones vers le terreau linguistique et culturel roumain. Voir à la rubrique Vue de francophonie : notre présentation (novembre 2013), la note de Christian Tămaş sur l’anthologie Pluie d’étoile (mai-juin 2020).

 

 

 


Michel Herland traduit par Sonia Elvireanu

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