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Agnès Kerboriou  , sélection septembre 2010

elle se présente à vous


Nouvelle : La canne épée de Pépé


La vieille dame trébucha sur un obstacle, s'écroula comme une bûche, la tête la première sur l'angle de la marche en granit. Un cloc sec. Son crâne s'ouvrit étonnamment, à la manière d'un oeuf à la coque trop cuit. .

Kévin, son petit-fils âgé de huit ans, s'est agenouillé. Pose son pouce sur la carotide, geste qu'il a appris à l'école avec la grosse dame poilue de la Croix-Rouge. Le coeur ne bat plus. Le cerveau se trémousse un peu, frémit sous le flot de sang épais qui se répand sur le tapis de coco. L'enfant tente de remettre le morceau de crâne sur la tête de sa grand-mère comme une pièce de puzzle.

Une grosse bosse noirâtre empêche la fermeture. Avec la canne-épée de Pépé, il perce la boule.

- Kévin !!! Mon Dieu !!! Kévin !!! Qu'est-il arrivé à ta grand-mère !? Qu'est-ce que tu fais avec cette épée ?! ...

Maman ! Maman ?!! - Elle est morte.

- Comment le sais-tu ? Il faut appeler le Samu !

Vite ! Antoineette !!! Antoineeette !!!

- Oui oui ! J'arrive !

Pendant que Madame Paulin cherche fébrilement d'une main dans son sac le téléphone portable qu'elle tient dans l'autre main, la dame de compagnie descend les deux étages en trombe, s'arrête net et, effarée, contemple la grand-mère, puis Kévin, la canne épée encore à la main.

- Ma Doué béniguett ! * Ma Doué !... Ma Doué !...

Madame Paulin surprit son regard et ordonna à Kévin de ranger immédiatement la canne.

- C'est un accident !

- Ma Doué béniguett !...

- Vous ne savez rien dire d'autre ?!

- Qu'est-ce qu'il a fait ?!...

- Il n'a rien fait ! Je vous dis que c'est un accident ! N'est-ce pas, Kévin !

Dis-moi ce qui s'est passé !

- Mamie a trébuché, elle est tombée et sa tête s'est ouverte alors j'ai voulu remettre le couvercle mais... bouhouhouh...

- Pleure pas mon chéri.

Dring !

- Allez ouvrir, Bécass... ( zut ! elle a failli le dire) Antoinette !

Le médecin du Samu n'a plus qu'à constater le décès.

- Que s'est-il passé ? demande-t-il en regardant Kévin qui remet la canne dans le porte-parapluie. - Mon fils n'a rien à voir là-dedans ! Ma mère a trébuché et elle est tombée. Ce n'est pas la première fois que ça lui arrive !

- ... Je vais devoir faire un rapport au commissariat. C'est la procédure habituelle...

- Mais oui, faites donc ce que vous avez à faire ! Viens, mon bébé... Viens dans mes bras. Nous savons tous que tu n'as rien fait.

- Ma Doué !

- Mon Dieu ! mais vous avez fini avec vos "Ma Doué" ! Montez dans votre chambre et n'en sortez que lorsque je vous le demanderai !

- Et bien... dit le médecin, ce serait mieux que cette dame reste avec nous, son témoignage sera nécessaire.

- Elle n'a rien vu de l'accident !

- Quand je suis descendue, j'ai vu votre fils avec... Ma Doué...

- !!! Je viens de perdre ma mère et elle accuse mon fils d'en être responsable ?! Cette fille est un monstre !

- Calmez-vous, Madame ! Puisque vous dites que c'est un accident, les choses seront vite réglées. L'inspecteur Lamotte se gratta la tête après avoir recueilli les différents témoignages. Quelque chose ne collait pas. L'hématome à l'avant de la cheville ? À moins qu'elle ne se soit fait un croc en jambe toute seule ? Ca arrive chez les personnes âgées. La violence de la chute ?... Pour que le crâne s'ouvre en deux... Et puis, ce lardon, occupé à pleurnicher dans le giron de sa mère, il le sentait pas. Sûr que s'il avait pu le laisser rissoler en garde à vue, il aurait fini par lui faire avouer. Il se contenta d'embarquer tout ce petit monde au commissariat. Pour signer une déposition. On verrait bien si la deuxième version des faits serait la même.

Annie Paulin appela son mari qui lui-même appela un avocat de ses connaissances.

- J'étais à côté de ma Mémé quand elle est tombée.

- Tout à l'heure, tu m'as dit que tu étais derrière.

- Je sais plus uhuhuh...

Le commissaire Beuvron entrouvrit la porte du bureau.

- Et bien ! Que se passe-t-il ici ? Lamotte, un peu de délicatesse, je vous prie !

Madame Paulin prit son fils dans ses bras.

- Pleure pas mon petit bichon.

Puis, conformément à ce qu'elle avait entendu dans les séries télé :

- Nous ne parlerons plus qu'en présence de notre avocat. Et, se retournant enfin vers Antoinette Duluche : - Tout ça, c'est de votre faute ! Avec vos insinuations ! Je vous savais pas très dégourdie, mais en plus vous êtes malveillante !...

- Ca suffit, Madame ! Je ne tiens pas compte des insinuations, mais des faits ! s'emporta l'inspecteur.

Quand Maître Verbec apparut derrière la porte vitrée, Lamotte sentit un frisson glacé lui parcourir le dos. Il détestait cet homme froid et cynique. L'homme du barreau lui emprunta sa chaise, s'assit devant ses clients et, après avoir échangé quelques phrases avec Madame Paulin et son fils, décréta :

- L'affaire est simple. Je ne vois pas ce que vous allez chercher comme complication ! Puis plus bas, à l'oreille du fonctionnaire de police :

- Je crains fort que vous ne vous laissiez brouiller la raison par un épisode douloureux de votre enfance. !!! Une violente bouffée de chaleur remonta le long du torse de l'inspecteur et se figea sur son visage congestionné. Comment osait-il ?! Comment savait-il ?! Qui lui avait dit... ?! Il bafouilla :

 - Je je ne vois pas de quoi vous voulez parler !... Quel rapport entre ma vie et l'agression de cette vieille dame ?!

- L'agression ! Comme vous y allez ! ...Respirez !

De rouge vif, l'inspecteur était passé à un violacé morbide. Il s'étouffait.

- Voulez-vous que j'appelle le Samu ? Non ? Prenez au moins votre ventoline. Voulez-vous que je prévienne le commissaire que vous n'êtes pas en état d'assurer le suivi de cette affaire ?

 Beuvron fit accompagner Lamotte aux urgences et remplaça son subalterne. Il lut attentivement les dépositions puis fixa le jeune Kévin qui, d'un air totalement ambigu, murmurait :

- Elle est morte Mamie.

Le responsable de la brigade scientifique envoyé sur les lieux de l'accident téléphona pour livrer les conclusions de ses investigations : nul indice ne permettait de soupçonner un homicide. Pourtant, le commissaire éprouvait un étrange malaise.

 - Vous pouvez rentrer chez vous.

- Et voilà, Madame Paulin, l'affaire est réglée, se rengorgea Maître Verbec.

- Je n'ai plus de chez moi... chez moi, c'était chez... Madame... Ma Doué... se mit à sangloter

 Mademoiselle Duluche. - Vous n'avez pas de famille par ici ?

- Non onh onh...

- Madame Paulin... Ne pouvez-vous accueillir cette dame ?

- Comment ?! Après ce qu'elle vient de nous faire ?!

- Cette dame ne vous a rien fait. Elle a juste dit ce qu'elle avait vu, soupira le commissaire. -

Madame Paulin, je suis désolée de vous avoir causé tout ce souci... Qu'est-ce que je vais devenir, maintenant ?

- Et bien, vous chercherez un autre emploi, ma fille !

- C'est qu'à mon âge...

- Si vous aviez fait votre travail, nous n'en serions pas là !

- Mais j'étais en congé, Madame !

- En congé, en congé ! Est-ce qu'on prend des congés quand la vie des autres est en danger ?!

- ... Vous avez raison, Madame. Déjà, l'année dernière, quand votre père s'est tué en descendant les escaliers, j'étais aussi en congé. Et j'ai tout vu.

- Tout vu quoi ?

- Tout, insista Antoinette en se retournant vers le gamin qui faisait semblant de dormir à l'arrière de la voiture. Mais je ne dirai rien si vous me prenez à votre service.

Madame Paulin, stupéfaite ne sut que répondre. Dieu que cette bonne était perverse !!! Le petit Kévin, en suçant son pouce, compose dans sa tête une chanson rigolote : Il est mort Papy, elle est morte Mamie et bientôt Bécassine aussi.


Texte commenté par le Comité Francopolis


          <----------    Ulrich  (2005)



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Créé le 1 mars 2002

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