Depuis des mois
elle n’avait plus entendu battre son cœur. Prisonnière d’une plaine des
avalanches où plus une pierre ne roulait, où plus un terrain ne glissait, où
plus une neige ne cédait. Elle sentait son cœur figé, tracé à grands traits
comme une sombre et silencieuse citadelle sur le cadastre de l’éternité, avec
ses belles bornes et ses querelles de voisinage et son petit perron bien balayé
où elle se tenait, de la poussière dans les mains et du crêpe noire sur les
yeux, certaine de se perdre au fil du temps qui passe, bourrée de remords,
pétrie de regrets, cuisante de défaites. Inutile gardienne d’une frontière
morte dans un monde bien partagé entre elle, seule, et ceux qui vont par deux.
Elle en oubliait
de faire le tour de sa citadelle, sinon elle l’aurait vu, son mystérieux désert
du nord à elle, bien à elle ; rien qu’à elle.
Sinon elle
aurait dépassé ses bornes et s’y serait enfoncée, quittant sa plaine des
avalanches à la rencontre d’un mythe qui existait peut-être, loin au nord.
Faisant toujours un pas de plus, sur les arrêtes des rocs croulants, sur la
boue des pentes traîtres, dans ces neiges jusqu’aux hanches où tout au fond
pointaient encore des pierres. Sinon elle n’aurait pas renoncé, elle aurait
jeté cette crêpe noire qui la pestiférait, secoué cette poussière qui grisait
ses cheveux, craché le goût d’amertume dans sa bouche, jeté ses débris d’âme
damnée au vent furieux du nord.
Et dans le
miroir d’un mirage lointain, elle aurait vu quelque chose.
Peut-être pas la
preuve qu’il existait. Mais au moins la preuve qu’elle n’avait rien à voir,
absolument rien, avec celle qu’elle croyait être devenue, sur le perron de son
cadastre.