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GUEULE DE MOTS
Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage
LA CONNASSE par LazloX
D'après la photo de Roy Stuart
éditée en couverture de The Fourth Body.
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Lire Entretien
avec un sniper, nouvelle de Lazlo X, dans notre numéro de décembre.
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« Le visage et le sexe, associés dans le même tabou du
contact, rien d'étonnant alors qu'il s'agisse là des lieux de prédilection
des amoureux. L'enceinte sacrée dont parle Durkheim trouve là ses deux
forteresses qu'un seul regard suffit parfois à faire chavirer quand l'amour
s'en mêle. »
Des Visages. Essai d'anthropologie. David Le Breton.
Commençons par une définition. - C'est d'habitude ce par quoi on
finit. - Si tu veux coco, mais là on a besoin de commencer par la fin. - OK,
vas-y.
Je dirais que « bavard » signifie celui qui aime baver, ou
bien celui qui EST bavé. - Il faut choisir, c'est ça ? - C'est
pas obligé... Je dirai que dans la même perspective, le « connard »
est celui qui AIME les coins, tout autant qu'il EST encoigné...
- Nous voilà bien. Ne nous emberlificote pas dès le début. Débobine
lentement... Où veux-tu nous emmener ?
A CETTE PHOTO ?
- Non, à ce qu'elle trame entre elle et moi - Ouh... Je vois que tu es parti
sur un registre un peu métaphorique, et que ça va filer doux, comme
ça, tout le long... Je me trompe ? - Malheureusement, non, je suis un
peu pied et poing lié à ces jeux de mot. Mon plaisir aujourd'hui passe
par ces contorsions obscènes du blabla, alors, bon, vous me passerez ce caprice...
- Je t'écoute et je leur raconterai. Je résumerai un peu. Mais vas-y,
on n'a pas toute la nuit.
Alors, cher bavard connard cette photo ?
?

- Alors, cher bavard connard cette photo ?
- Je l'appellerai la « CONNASSE »...
Je veux dire que c'est toute l'image qui est « connasse »,
si tu veux, bien plus que la figure de fille qui passe sous l'objectif, un peu ultra-humaine,
non, vraiment ce n'est pas elle, rien de ce qu'elle peut bien POUVOIR être,
rien ne m'intéresse ; si ce n'est comment elle s'intègre dans
la photo... Ou plutôt, tiens, regarde : comment la photo intègre
le CON.
- Aïe, t'es super con, mec, tu m'as fait super mal avec tes conneries!
Reprends. - Vraiment, ça vaut la peine que je continue ? - Il va falloir
te prier peut-être ? Allez, débrouille-toi, trouve un chemin...
Tu connais le principe ? Il y a une souris... ou un serpent... qui SORT du trou
et TOURNE autour du poteau, et doit retrouver le trou, par le bon côté.
- La connasse est assise par terre. On dirait soit qu'elle s'en fout, soit qu'elle
se protège. - De qui ? - On voit les jambes en pantalon de deux mecs,
qui portent des baskets, debout devant elle. Comme s'ils attendaient... Ou qu'ils
voulaient passer et qu'elle se trouvait sur leur chemin. Elle, elle est assise à
leurs pieds, l'angle de leurs genoux pointe à hauteur du sien. Elle interpose
son genou nu, comme si l'arrondi de son mollet pouvait faire bouclier. Et elle se
penche un peu du côté opposé aux deux mecs. Son bras droit passe
devant sa poitrine et se pose le long de son tibia gauche, de l'autre côté
de son corps. Son coude droit présenter un accroc dans le pull... A moins
qu'elle porte un manchon qui lui dénude presque le coude... Il y a un certain
désordre, pourtant elle a eu le temps de s'asseoir, bien proprement, sur son
sac, comme pour qu'elle ne se salisse pas la culotte.
- C'est une pub pour quoi cette photo ?
- Je te dis qu'elle me fout un vertige.
On est dans la rue et dans l'arrière fond, entre les genoux des garçons
et l'épaule de la fille, il y a une grosse dame qui regarde tout ça.
Un poteau prolonge l'épaule de la fille et vient se dresser lui-aussi entre
les protagonistes de l'histoire.
- Un pommeau, c'est fait pour y poser la paume, n'est-ce pas ?
- La paume du bassin aussi, c'est dire si la main est vaste. Il n'y a qu'une seule
ligne dans la poigne du sexe. - Bon, OK, mais la connasse alors ?
- Elle en a marre de marcher, alors elle s'est assise par terre dans la rue, elle
a remonté les genoux, le plus haut qu'elle a pu, sans se soucier que sa jupe
courte en tissu écossais se retrousse, et ne lui serve plus que de ceinture,
pour souligner la zone de son bassin, qu'elle a rétro versé à
la manière des danseuses, ou des pisseuses, de façon à projeter
le centre de son corps vers l'avant, son sexe, comme un projecteur sur le monde -
Ouais, c'est ça, connard, vas-y, serre le núud de tes lacets sinon tu vas
te casser le nez - Je ne t'ai pas encore raconté le truc de comment elle a
planté dans le bitume les talons hauts de ses chaussures, dont les lacets
croisés dessinent le volume de ses mollets, en direction du genou, la lanière
fait une boucle étourdissante au-dessus de sa cheville gauche. Les muscles
compressés des cuisses contre ses flancs ouvrent une perspective vertigineuse
en direction de la surface plane, évacuée, ai-je envie envi de dire
- Et bien, vas-y, dis-le ! - La vue plonge vers l'endroit qu'on devine organe,
ou bien animal, sous la bande de tissu étroite, blanche, fine.
- C'est une image, si tu veux, c'est tout, plutôt super belle, super froide...
La culotte ou le visage, c'est ça qui saute aux yeux, non ? C'est selon...
Tu n'as pas d'yeux que seulement pour la culotte de la fille ?
- J'y viens, tête de con, mais d'abord, il y a la situation, même si
c'est pas la situation ce qui te saute aux yeux, mais la culotte, ou le visage. N'empêche
que ta culotte ou ton visage ne sont rien hors de ce qui se passe entre le bloc vertical
du masculin et le bloc ramassé du féminin. Le fond de l'image, d'accord,
c'est la culotte, qui attire ton regard, le fond soyeux et aveuglant d'un puits,
mais les lignes des garçons et du poteau, ça trace un espace vers le
haut, CONTRE la géométrie triangulaire que constituent les points de
la fille, assise par terre, un peu basculée du côté opposé
à l'espace des garçons... Tu vois ? Cette... évocation
volumétrique du viol, c'est ça que la photo t'attache à l'úil,
non ? Et le vertige, en même temps que la contention, ou l'évacuation,
ou le refroidissement de l'excitation sexuelle, c'est la lâcheté, et
un délice de la lâcheté, que tu ressens face au viol. - C'est
ça, oui, et dis-moi qu'est-ce qui, connard, de toi, sortirait vivant, si tu
avais l'audace du viol ? Que penses-tu que la zone voilée par le tissu
ferait de ta queue si tu l'aventurais dedans ?
- D'abord, tu aurais à survivre en entier sous le regard de cette figure pas
humaine...
- Il y a de la frayeur dans le petit regard en coin qu'elle jette aux deux mecs...
Sa frayeur la rend autre chose qu'humaine...
- Sa frayeur est présentée comme une pose de modèle, un modèle
facial, un modèle euh... moral... Elle expose l'axiome de la mise à
nue... Sous ses airs d'étudiante en droit, je suis sûr qu'il y a un
animal pervers, une féline coiffée comme une fille de bonne famille,
chatte bien peignée, les poils lustrés à coup de langue, les
griffes planquées dans le vagin, elle est la Non-Personne dont tout mon être
pourrait se sentir exister s'il la chamboulait, s'il la dégriffait, s'il la
défaisait, s'il salissait et éraflait la surface lisse et fine et blanche
et presque transparente, posée sur l'animalité...
- Je me demande un instant qui elle est, mais en fait je m'en fou. Est-ce qu'elle
est un objet ?
- Non, elle se présente comme un petit outil. Précieux, comme une petite
cuillère en inox.
- Mate, elle a bougé... Elle a jeté un petit coup d'úil sur les deux
mecs - Les deux mecs la branchent - Tu crois qu'il faut faire quelque chose ?
- Regarde, elle ne se rend pas compte que sa jupe s'est remontée et elle attend
- Ils ne la touchent pas. Ils ne la changent pas. Ils ne la rendent pas différente.
- Elle est comme ça, oui, cette petite conne, indifférente. Elle les
snobe. Leur tire la tronche. - Et nous lui sommes indifférents...
- Sa tronche est plate - Jolie face - C'est ce qui me saute aux yeux, pas sa culotte,
pas le reste, en fait, juste, sa face - Quoi donc au revers ? - Qu'est-ce que
tu crois qu'on voit au revers d'un visage ? Masque d'os, peau à l'envers
- Lisse et claire, comme la surface de tissu qui laisse transparaître l'ombre
de sa chatte. Clarté et poli laissent transparaître l'ombre d'un animal
velu, et ouvert, derrière elle - L'animal qui s'assoit par terre, contre tout
usage.
- C'est ça. Voilà. Elle n'est pas indifférente, elle est contre.
- Contre ? - Crois-tu qu'elle soit indifférente au poteau ? Non,
elle est contre - Ah, bon - Elle n'est pas indifférente aux deux garçons,
elle est contre - Ah - Pas indifférente au regard, connard, contre. Cette
connasse, encore, contre. - Pourtant, nous, on en voit plus que les deux mecs qui
la bloquent - Tu crois qu'elle fait ça pour nous ? - Quoi ? Ecarter
les jambes ? - Non. S'asseoir par terre, sur son sac à main, la jupe
retroussée sur sa culotte ? Elle le fait contre. Est-ce que tu te rends
compte ? - Contre qui ? - Je veux dire : Est-ce que son contresens
te rend, toi, contre ? Est-ce que ce que cette photo te met sous le nez, te
rend contre ?
- Tu me feras m'étrangler de rire, connard, allez, défait tes grosses
ficelles, j'ai envie de me gratter sous le bras.
LazloX
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Chroniques précédentes :
Gueule de mots de février 2005, l'Appel
à l'évasion par Maud Pace
Gueule de mots de décembre 2004, Mots, par Bozena Bazin
Les pieds des mots de février 2005, par Julie Portalis
Les pieds des mots de décembre 2004, De l'intime à l'infini par Jean Marc Lafrenière
Auteurs, vous pouvez vous aussi écrire une chronique pour Gueules de mots
ou Les pieds des mots.
Pour cela, écrivez à Francopolis ou au responsable de ces deux rubriques
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