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ARCHIVES : CRÉAPHONIE

Sabine Peglion - Marie-Claude Rousseau - Sylvie Grégoire... et plus





Jeanne Gerval ARouff : « Un psychisme prodigieux »
(10ème et 11ème stations)

Nous sommes à la fin d’un parcours fascinant dans l’univers plurivalent de cette artiste et poète d’exception. Rêvant sur chaque image, me laissant emporter par les couleurs, les formes, les matières, récurrentes, rythmiques, envoûtantes, émue à chaque détour de poème, si inattendu, si étrange et si familier en même temps, comme battant le tam-tam d’un cœur de la terre universellement humain, m’envolant avec les vents autour de la Roche qui pleure sur la côte Sud de l’Île Maurice, et survolant les braises des buissons ardents comme autant de totems naissants, bourgeons d’une âme future, je me retrouve, toujours émerveillée, sur cette rive nouvelle d’après la traversée, autant comblée que frustrée de ne pas avoir eu accès aux œuvres originales mais uniquement aux photos, celles que Jeanne a bien pu rassembler pour les mettre à ma disposition. Et encore, ce rassemblement reste cruellement incomplet, d’une part parce que j’ai dû faire des choix et aussi accepter de perdre en route des œuvres dont les photos m’arrivaient trop tard pour pouvoir les insérer, d’autre part sans doute à cause de l’éparpillement des œuvres dans diverses collections, privées ou publiques, non répertoriées à ce jour, et dont les photos ne sont, hélas, même pas disponibles. Et pourtant, aussi partiel voire aléatoire que fût ce parcours, j’ai gagné de plus en plus la conviction, depuis le début de mon engagement, d’être en face d’une des œuvres majeures de l’art de notre temps, en même temps qu’en présence d’une des voix poétiques les plus essentielles de la francophonie.

Plusieurs clés ont guidé étape par étape ce cheminement, dont certaines arrivent au dévoilement ici même, dans ces toutes dernières stations, pour, en quelque sorte, rappeler et récapituler l’ensemble, depuis le début : l’arbre – axe du monde, l’île – centre et source de l’être, le totem – relais ancestral de transmission de signes et de mystères inscrits dans la chair et façonnant les destinées de la tribu humaine, en entremêlant des « mémoires métisses », la flamme – cœur embrasé, brûlant d’amour sans jamais se consommer, pour fondre les contraires dans une androgynie essentielle ouvrant vers l’unicité de l’être, la fleur – marguerite, lotus, azalée, fleur sans nom, solaire, à mille pétales-rayons, éclatante de beauté et de lumière accomplie, fleur qui nous regarde, qui est notre regard même fixé en elle, œil en veille et tête auréolée par l’esprit, les traces – humbles empreintes de pieds nus, pieds d’esclaves, de marcheurs, de découvreurs, de prieurs, de pauvres, de martyres, de prophètes, plantes de pieds comme projections cartographiques de l’homme entier, dans ses parties et dans son tout, apposées  sur ses chemins comme autant de signatures de son passage, les ponts, les tours, les toits, les fenêtres – emblèmes des passages, des transferts, des échanges, des encrages, des enjambées interculturelles, des envolées vers le ciel à l’instar d’une poussée miraculeuse de forêts d’arbres de vie, comme aussi des pertes, des confusions et des chutes babéliennes, irrémédiables, témoignages des souffrances comme des rêves qui se tissent dans les grandes villes du monde où l’humanité s’entasse et se transgresse sans arrêt, les oiseaux, les poissons, les feuilles, les vagues, les sons, et autres formes en même temps mues par et consubstantielles du mouvement incessant de la matière, témoins et parties de la fluidité universelle qui nous berce et nous ballote à travers l’espace et le temps, musiques de fond comme de surface, danses qui composent, décomposent et recomposent les atomes de notre être sur les partitions infinies d’un ininterrompu concert de jazz, aussi improvisé que savant car faisant vibrer toutes les fibres possibles du tissu cosmique, et enfin, la parole – cette clé suprême qui, plus encore que la musique, révèle l’immense capacité de l’esprit à rassembler des morceaux éparses d’existence pour faire sens, pour vivre et faire vivre, par-delà toute déperdition, toute haine, et toute mort. C’est ce que Jeanne nous révèle dans quelques textes essentiels reproduits ici, notamment les poèmes Signe, et Contre-mots (11ème station), en nous faisant comprendre qu’avant et/ou après tout, elle est une grande poète.

Et pour mieux l’appréhender, signalons aussi le lien structurel, formateur et déterminant qu’entretient l’œuvre de Jeanne avec celle de son mentor, Malcolm de Chazal, à qui elle rend hommage dans sa création – voir Malcolmsmok ci-dessous – tout en nous dévoilant, dans son commentaire percutant et visionnaire – voir la communication inédite publiée ici, dans la rubrique Une vie, un poète1 – les codes de lecture, en fait, de sa propre démarche artistique, littéraire, et spirituelle. Celle qui fait du poète, de l’artiste, un être au « psychisme prodigieux ».


Dana Shishmanian

 

10ème station : Enjamber les villes
L’âme de la Terre s’étire enivrée de ciel


Watching the sky from Zen Centre, San Francisco, 1986. Monotype et collages.
Collection privée



Graffiti - Sample repetition,  1986.
Collection privée


From rocks to riches - Santa Fe, 1986
Billes de verre.
Atelier de l'artiste – Floréal, Maurice


Moonrise III - Sample Repetition, 1985-1987. 
Collection privée

« Au gré des tours élancées, l’âme de la Terre s’étire enivrée de ciel. L’être entonne son alléluia dans un concert de voix concordantes. S’évanouissent le noir, le jaune, le rouge ; le grand et le petit ; le riche et le pauvre. Nous ne sommes plus qu’infimes jouets vus du haut du Sears Tower. Tous participant au jeu fluide des échangeurs. Dans le respect de l’ordre, de l’autre. L’entente dans la mouvance, seules règles du jeu, si tu veux perdurer dans l’alliance. »

Extrait de Le voyageur immobile, dans Pile/Face,
Éditions du Totem, 2005, p. 11



L’appel des tours, des ponts et des fleuves
  
                                                      

The Golden Gate Bridge's Golden Jubilee, 1987. Peinture sculptée
Collection privée (France)


Brooklyn Bridge, 1987.
Collection privée (Raymond et Monica Maurel, Floréal, Maurice)


The Grids of Chicago, 1986-1987. Suspension - Encres d'imprimerie, photos, carreaux de verre de Boussois insérés dans la peinture (grids).
Collection privée (Mme Lise Punsin, Port-Louis, Maurice)


Fenêtre-mandale, [1986]. Monotype et acrylique.
Collection privée (Raymond et Monica Maurel, Floréal, Maurice)

« San Francisco s’éveille sur son pont d’or. J’ai engrangé dans mon île lointaine, à longueur d’enfance, la naissance du Golden Gâte Bridge, son histoire, quand mes frères et sœurs m’éclairaient sur cette structure métallique, autre merveille du genre, une des gloires de la Californie; moins élaborée, certes, que le pont de Sydney, mais non moins fascinante. Ce pont était, pour moi, mythique. Il faisait partie de mon arbre de vie. Nous sommes du même âge. Et partageons la même matrice, l’océan. Comme la connivence de ceux qui ont grandi ensemble. Ses structures et mes os ne font qu’un. J’ignorais que nous fêterions ensemble notre anniversaire, The Golden Gâte Bridge’s golden jubilee. Que je serais là, à mille lieux de mon île-point, trinquant avec ce prestigieux jumeau, participant aux côtés de son peuple, aux lancers de ballons, partageant la liesse du ravissement, du crépitement des feux d’artifice, nimbés de rêve matérialisé; instant magique, épicentre de l’insouciance, enfance retrouvée. Une nouvelle naissance, que dis-je, renaissance, dans la même saisie du cœur. Une de ces heures qui emmagasinent du bonheur pour nourrir l’adulte aux éventuels jours creux. (…)

Me revient en mémoire, sur fond de soleil couchant, majestueux, le pont de Brooklyn, côté nuit. Les câbles métalliques supportant le tablier, rayonnent aux quatre points cardinaux. Comme si le monde s’y tenait retenu, en nocturne. Un spectacle où seules sont admises, dans l’ombre, les tours jumelles recueillies d’humilité. C’est l’heure de gloire du Pont de Brooklyn. D’un de ses piliers plutôt, qui se dresse en cathédrale, aux arches flamboyantes, tels les yeux de quelque déesse mythique. C’est tout New York qui défile.

Le pont prolonge les liens pour tous, avec tous, par-delà l’océan, par-delà le temps. Il a suffi qu’il s’élance au-dessus du vide pour que les eaux s’ouvrent à moi; en moi. Telle la mer rouge aux Hébreux. Ainsi lancé sur le voyage intérieur, j’explore les visages rencontrés. Ils sont tous là, transhumances ensemencées peuplant les temps ancrés dans la sève ancestrale. Ils n’ont point de traits, ni de couleur. Ils sont toi, moi, lui, elle. Les voyages élargissent l’Être.»

Extrait de Le voyageur immobile, dans Pile/Face,
Éditions du Totem, 2005, p. 12



Ce fut l’horreur, la terreur…




The city that never sleeps, 1986-1987.

 Acrylique ; photocopies peintes ; lettres de l’alphabet de diverses dimensions en relief.

Peinture prémonitoire de l'événement du 11 septembre 2001*.
Expo : 1er. Festival International de la Mer,
Institut, Port-Louis 1987.
pARTage Gallery - Flic-en-Flac, Maurice 2008


The fall. September 11, 2001.  Peinture
(avec texte ci-joint, en référence à The city that never sleeps, 1986-1987).

Photo : Robert Furlong, 2005.
Reproduit dans Tracés, 2001.
Collection privée (Jacques (Jimmy) et Marie-Paule Arouff Frédéric, Albion Plage, Maurice)

*Faisait partie de ma collection 86-87 (exposée sous l’égide de l’Ambassade des États-Unis) en rapport avec mon tour des USA en 1986 en tant qu’International Visitor. Donation à la galerie pARTage. Extrait de la lettre du Président de la galerie, Krishna Luchoomun: “Ref: Artwork donation to pARTage – October 2008 - Being one of the leading female contemporary artists of Mauritius, your contribution has greatly enriched our art collection.”

« L’appel des tours, des ponts et des fleuves m'a repris. Des architectures audacieuses aussi. J’ai voulu revoir Brooklyn Bridge, Manhattan, New York City, son World Trade Center... Après mon pèlerinage au Rockefeller Center et son fascinant Prometheus, j’ai flâné au long de la 5e Avenue. Réveillé avec le soleil, j’avais devant moi une journée éblouissante. Et tout le temps du monde. Bientôt ce fut l’horreur. La terreur. Nul ne pourra jamais l’oublier. Les Tours Jumelles s’écroulaient dans un tonnerre d’enfer. À l’instar de ce tableau que je réalisais en 1986. Prémonitoire, hélas!
C’était le 11 septembre 2001. »

Extrait de Le voyageur immobile, dans Pile/Face,
Éditions du Totem, 2005, p. 12
(d’après Voyages, Collection Maurice, 2002)


Métisses mémoires


« Peut-être y a-t-il, caché entre les textes de Jeanne, un jeu, une sorte de ‘signe de pistes’ qui vous aidera à circuler avec elle du totem de Souillac aux ponts de Sydney et/ou de Brooklyn en évitant de justesse la chute des tours jumelles du World Trade Center et en flânant dans les ruelles du Vieux Carré de la Nouvelle Orléans et celles de Port-Louis… Le tout sur fond de jazz ‘Bluesy’ dit Jeanne. (…)

Entrez donc. N’ayez crainte. Je vous assure que cet univers est forgé de mots que Jeanne a empruntés à nos langues quotidiennes, qu’il est éclairé de mille teintes de notre île, qu’il est habité de personnages amis et témoins que nous côtoyons régulièrement, qu’il abrite pile/face rêves et cauchemars, réussites et échecs, joies et peine, vie et mort,… »

Extrait de la préface de Robert FURLONG au recueil Pile/Face,
Les Éditions du Totem, 2005, pp. 3-4



Les fruits de l’Arbre de Vie ou Métisses Mémoires, 1992.
Reproduit d’après Signes-souffle ou Logo d’l’âme suivi de Je t’offre mon arbre,
Espace Multipliants, 1995, p. 51.


Passagères du dernier vol
hâtons-nous d’arrimer
le périple épiphyte
Frappe de ta baguette
Eben la triple
Que ruissellent les eaux d‘outre-mémoire
Lumière à l’agonie a gommé
l’ombre de l'aiguille
L’heure programme sa mémoire :
URGENCE
- Renflouer le radeau
du ventre des flammes
Voici le temps
de rompre le corral
Sous l’œil du pentacle
rassemblons pèlerins la parole
broyons brique maléfique
Voici le temps - de confondre babel
Voici le temps - d’affranchir la vie
Les pères nous désignèrent
sur tablettes de l'ankh
pour transmettre le témoin
sur l’inverse voyage
Léguons délestées pierres-archives
à multiple mémoire


Extrait du poème Métisses mémoires, dans Signes-souffle ou Logo d’l’âme
suivi de Je t’offre mon arbre, Espace Multipliants, 1995, p. 20

1. Voir la rubrique Une vie, un poète, Malcolm de Chazal, Mage mutant, présenté par Jeanne Gerval ARouff (dans ce numéro septembre 2014)


suivre ce lien vers la dernière station 11

RETROUVER L'ÎLE





Biographie


Jeanne Gerval ARouff naît le 4 juillet 1936 à Mahébourg (Île Maurice), entre rivière et mer, là où la Rivière La Chaux se donne à l'océan.
Après une petite enfance mahébourgeoise, sa famille s'installe à Vacoas.

La benjamine (six frères et trois sœurs) se dépense autant dans des activités sportives – tennis, bicyclette, chorégraphie – que dans ses études, particulièrement la philosophie. La pratique des arts martiaux (karaté, judo) comme du yoga lui donne à jamais une discipline et une part de méditation et de contemplation dans sa quête spirituelle.

       
   Jeanne Gerval ARouff - Stations  parus
   Dire l'Île (1ième station) publié en novembre 2013

   L'arbre-Totem Partie I et Partie II (2ième et 3ième station) publié en décembre 2013 - 

   L’Essentielle androgynie (4ième station) publié en janvier 2014

   Initiation ou l’essentielle nudité Partie I et Partie II (5ième station) publié en février 2014

   La Porteuse (6ième station) publié en mars 2014

   Les Matières (7ième station) Les matières I De pierre et de bois, publié avril 2014

   Les Matières (8ième station) Les matières (II). L’éphémère et l’éternel, publié mai 2014

   Pourquoi chanter (9ième station) publié en juin 2014

   Un psychisme prodigieux (10ième station) publié en septembre 2014
  
   Retrouver l'île (11ième station et fin) publié en septembre 2014

  
Jeanne Gerval ARouff
 
station 10- Un psychisme prodigieux

Revue Francopolis septembre 2014
recherche  Dana Shishmanian

 
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Créé le 1 mars 2002


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