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 Illustration de couverture par Sever Miu

Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton, nous vous présenterons un chapitre du roman de l'auteur roumain Sever Miu, "Des pas sans traces".
Une invitation à découvrir ou rédécouvrir cette moitié d'Europe dont nous avons été longtemps privé et dont nous pouvons désormais réentendre la voix.


Table des chapitres déjà publiés :

Chapitre 1 : La sortie de l'oeuf

Chapitre 2 : Dans le refuge-l'aphabet de la vie

Chapitre 3 : Le Retour

Chapitre 4 : Les contes des ombres

Chapitre 5 : Lettre à l'espérance

Chapitre 6 : De la foire... en Sibérie

Chapitre 7 ; Prière pour le pain

Chapitre 8 : Une monnaie byzantine pour une haure d'enfance

Chapitre 9 : De grandes fêtes, de grandes joies

Chapitre 10 : Chez nos parents, chez nos voisins 

Chapitre 11a, 11b, 11c...: Chez grand-mère

Chapitre 12:  Le rêveur apprenti

Chapitre 13:  Les jeux des saisons

Chapitre 14 : Des villégiatures

Chapitre 15: Le premier harnais

Chapitre 16:  Le deuxième harnais (cette page)



 Des pas sans traces

Chapitre 16

Présentation par l'auteur

  "Des pas sans traces" est un roman-poème sur le monde de l'enfance après la deuxième guerre mondiale dans un faubourg de Bucarest. La Roumanie était sous l'occupation des Russes et dans une période de la dictature totalitaire.
Commencé en 1986, puis revu, complété, il est terminé en 2003.
La poésie de l'âme d'un enfant protégé par ses parents se tisse avec les événements réels, comme veut le dire l'édifiante prière de l'enfant du début :"Mon Dieu, aide-moi à porter pendant toute ma vie mon âme d'enfant".
Dans ce livre, vous découvrirez des traditions, toutes les coutumes des gens pauvres, ceux qui formaient une mosaïque ethnique -Grecs, Italiens, Tziganes, Juifs, Bulgares .
L'école élémentaire, le collège et la faculté sont trois sortes de harnais qui recouvrent et dirigent l'esprit de l'enfant. L'épilogue essaye de déchiffrer le sens de l'existence.

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Chapitre 16

Le deuxième harnais



Tout a son temps.
Des émotions, des craintes, des tensions.Un été brûlant. Un examen réussi - une nouvelle étape. Lycéen au  collège Mihai Viteazu.Une cour asphaltée, une grosse muraille percée d’une porte étroite.Un tas de rêves. Des bulles de savon. La joie et la tristesse du moment. La douce communion amère de l’amour. L’épée de Damoclès qui guettait toujours là… Le chemin de notre maison menait près  du Foişorul de Foc (Beffroi), répère d’un Bucarest des souvenirs. Ici, à côté  d’un petit square, se dressait notre lycée, une Bastille de l’adolescence. Chaque matin, un cerbère gardait cette porte, contrôlant la matricule et le port obligatoire de la casquette. Celle-ci écrasée parmi les livres et les cahiers de la serviette, finallement était arrivée à être semblable au bicorne français.Vite mise sur  la tête, elle était le billet d’entrer  à l’école. La plupart des manuels continuaient d’être traduits de la langue russe. La biologie s’est nommée ”les bases du Darwinisme”, mais trois quarts traitait sur les “expériences” de Miciurin, Timiriazev, Lissenko, Lepechinskaia et des laborieux vachers soviétiques qui avaient crée la race Kostroma. Les parents de la génétique-Mendel et Morgan- étaient anathèmes.

Une revue de biologie du temps, recommandée comme matière bibliographique, présentait in extenso les réalisations de l’Institut de Microbiologie de Moscou, où on avait découvert que l’air des parcs ”était saturé avec une énorme quantité des vitamines”. Les savants soviétiques offraient les méthodes du captage des vitamines aériennes.
Furtivement, on faisait toutes sortes de plaisanteries. L’un de mes collègues questionné à la classe de conduite avec le professeur principal a répondu solennellement:

-J’ai pris ma ration de vitamines du parc….

Notre pauvre maître d’étude, Velicu, était resté stupéfié. Il tremblait comme une feuille tant de fois à chaque mot que nous prononçions, en demandant d’être prudents parce que tout ”s’interprête”. Mais quelle chance avec la clochette qui a sauvé le professeur et l’élève à la fois, fondant les dernières  syllabes dans le vacarme de la récréation!

Une année entière nous avons été torturés par la géographie de l’Union Sovietique. Pendant la nuit je rêvais l’ascension dans le plateau Pamir, pendant le jour j’exerçais les contours des lacs Ladoga et Onega ou je traçais les cours des fleuves Oka, Kama, Lena. Je pouffais furieusement à la veille des épreuves écrites. J’avais encore à étudier les montagnes de R.S.F.S.R et  cinq républiques de l’Union Ara Barsanian, un Arménien jovial, mon collègue de banc, me donna une réplique qui me laissa  glacé d’effroi:

-Tu  verras  comme cela nous sera à profit quand on sera ensemble…

J’ai tressailli comme après un cauchemar. La pensée de Ara allait se préfigurer sous peu dans le Plane de Valev- une sorte d’Union Est-Européenne sous la basque du “ Frère Ainé”.
Alléguant ses pêchés d’obéissance, le pouvoir le refusa avec véhémence.Vite je regardais autour de moi. Heureusement c’était désert. Ce n’était pas la seule fois que la fortune m’ait protégé. Autrefois, j’avais terminé l’épreuve écrite en roumain et ayant  plus d’un quart d’heure jusqu’à ce que la cloche sonne,  je sortis de ma serviette “Gog” de Giovanni Papini, me détachant de tous ceux d’alentour. Je me  suis réveillé avec le professeur derrière moi. Il regardait par dessus mon épaule, puis il se pencha  en chuchotant à mon oreille:

-Que  tu ne l’apportes plus à l’école..

Il y a deux évènements qui se sont passés pendant ces années- là,  qui ont accentué les étonnements de la vie.
Le professeur de musique, Monsieur Vasilescu, un gras homme qui marchait en se dandinant le ventre en pointe entre ses jambes écartées, tout semblable au tonneau, le visage rouge et le nez aquilin, s’était décidé d’organiser un choeur au lycée. Le vieux défaut de chanter faux, étrangement conjugué avec l’amour pour la musique, m’ont apporté au choeur. Enfin, je fondrai parmi  tant  de talents  comme un grain de sel dans  un gâteau.. Mais mon plan n’allait  pas se confirmer. Pendant une répétition avec un vieux chant populaire:
 “M’a envoyé  de l’amour  ma bien-aimée”  M. Vasilescu remarqua:

 ”il y a anguille sous roche”.

Quand  on arrivait au refrain onomatopéiqueduru, duru, du, du” , accaparé  par un naturel  “enthousiasme artistique” je chantais faux. Le professeur en était contrarié. Il s’approcha de chaque groupe de choristes, seulement pour en trouver le coupable. Ayant assez de sagesse, quand il arrivait près de moi, j’éteignais la flamme de la passion, mimant la mélodie par les lèvres. Il avait transpiré, le pauvre homme, sans pouvoir trouver le coupable. Désespéré, il arrêta la répétition, testant chacun au piano. Il s’en est fallu de  peu d’être puni. Un pot avec des géraniums a failli se casser sur ma tête.  C’étaient les seules fleurs que j’ avais reçues dans ma vie,  récompense pour ma “maîtrise vocale”. La morale était simple mais enfin, la vérité  sort à la surface.
Le deuxième évènement, deux  années plus tard, allait annuler cette  bonne leçon, gérant des signes d’interrogation. En physique, j’avais un petit professeur, à moustache, surnommé  pour l’une de ses expressions préférées ”Tire  la  fraction”.

Un jour,”Tire la fraction” entra précipitemment dans la classe, nous sommant de sortir une feuille de papier pour une épreuve écrite sur la leçon du jour. Je m’y suis conformé avec calme. Pour ce jour- là  je m’étais préparé.
Mon collègue de banc s’est inspiré copieusement sur moi. Une semaine après quand les épreuves ont été apportées, il prit un dix et moi, un, avec la précision écrite, appuyée avec la couleur rouge en bas de la page:

 " Tu as copié ”!

C’est comme si je vois même maintenant ce signe d’exclamation accentué  par la furie. Il n’était plus un signe de ponctuation, mais une sorte de diablotin méchant qui m’ironisait. Cela allait de soi que mon bon collègue n’a pas avoué la vérité et mes protestations en vain se firent entendre. Chacun a reçu sa récompense. Ainsi, j’ai appris que dans la vie la vérité reste souvent  …honteuse.

L’huitième classe.
En Hongrie, la révolution avait commencé. Tard dans la nuit, la lumière éteinte, j’écoutais à côté de mon père la vérité étouffée dans le bruitage. Parmi les craquements et les râles éteints parvenaient comme d’une autre galaxie des rayons de lumière. Le visage concentré de mon père se détendait de temps en temps. Les rides de son front se lissaient. Sa bouche crispée se relaxait. Le signal de l’émission - les accords de la Symphonie du Destin-  battaient fortement dans  ma poitrine. Le deuxième choeur  essayait de la casser. Les Hongrois étaient sortis dans la rue. Le point critique de la patience avait été touché. Ils étaient passés du rêve à l’action. Ils rompaient les sceaux  rouges. Ils étaient libres ou ils y aspiraient; les nôtres, fondus dans  l’humiliation.
Des  tanks russes.. De l’acharnement et du sang. Du silence et  de la mort. Une défaite héroïque cache le grain de la victoire. L’Occident  continuait le sommeil de la prospérité. Le sommeil qui nourrissait le monstre. Les coups à la porte du destin avaient été en vain. L’Espérance s’est  éteinte - La radio éteinte.- Le poste changé. - Sois sage! Que tu n’en dises rien!


 Miu Sever

"texte sous copyright"

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(À suivre, à vivre, rendez-vous dans notre prochaine édition pour le Chapitre 17)

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