Bonjour, chers lecteurs de Francopolis,
C’est à notre tour de vous souhaiter
une belle, lumineuse et riche nouvelle année 2004, en actions et en
rires, en souffle et en intensité, en sérénité et en mouvement,
tout ce qui peut faire du monde tel qu’il est un monde un peu plus
droit, sans haine et sans mensonge.
L’édition de Francopolis de ce mois,
illustrée par Laurence
de Sainte Maréville, est particulièrement variée :
poèmes, prose, lettre, théâtre, prose poétiques, des hommes et
des femmes, des auteurs qui nous viennent de plusieurs régions de
la Francophonie et parmi eux, huit nouveaux auteurs sur nos pages
parmi les dix que nous vous présentons.
Nous espérons très sincèrement que
la lecture de ces textes vous aidera à franchir le large pont entre
l’ancien et le nouveau, entre la rive et l’autre rive
Passager je traverse inversé
sur le pont de lumière
emporté par le fleuve
dans le corps de sa nuit
mes rames
les rayons lumineux
jusqu'à l'autre rive
***
Au commencement c’était le Blanc et le Noir. Ainsi
je me trouvais face à face avec cette page qui de plus en plus
commençait à perdre sa blancheur en raison de cette écriture
noire. Je me disais toujours que même l’écriture s’imprègne
des couleurs. Pourtant les couleurs sont aussi des mots.
Hassan Abmohdi débute ainsi notre sélection de textes
poétiques par Blanc et Noir, retours intérieurs croisés entre l’amour
et le pouvoir des mots et des couleurs. Ce jeune auteur écrit pour
la première fois sur notre site, bienvenue…
Le jeu des couleurs... le mélange des couleurs...vivre en couleur, vivre avec les couleurs...la lumière, la
sentir... mais comment l'écrire, le dire, le dessiner...et surtout
quand ces couleurs prennent des accents de rencontre... !
(G.Millaire)
***
Pierre Autin-Grenier, auteur incisif de récits et de recueils de
nouvelles (Je ne suis pas un héros, Toute une vie bien ratée etc…),
est un vrai champion de l’absurde, de la description sans pitié
des engrenages du monde. Ce mois-ci, il nous confie deux de ses
brefs regards perçants et kafkaïens : Chef de File et
Collation.
[il]se jeta de but en blanc sur la femme du patron.
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, l’ayant mise en
charpie, il la dévora tout entière sous nos yeux, n’en laissant
guère plus, une fois repu, qu’un morceau de cuir chevelu et un
sac en croco.
Une jolie charge, dans ce monde d'orthodoxie forcenée, de
fidélité féroce, de sanctions démesurées ! nous dit
sur ces textes Yves.Heurté
***
Nouvelle auteure, comme le précédent, Valérie
Bezard nous
donne à lire sa prose poétique particulière, toujours frôlant
les limites de l’imaginaire et du quotidien décrit : Un
extra terrestre dans ma vie décrit l’entrée d’un curieux
personnage :
À chaque instant, j’ignore dans quel univers il a
décidé de séjourner. C'est quand il n’est pas vraiment là qu’il
parle le plus, pour masquer son absence. Telle une étoile éteinte
depuis des millions d’années qui continue de diffuser sa
lumière.
Etrange manière, à la fois onirique et réaliste. L'écriture
reste sans éclats, sans effets, et c'est justement pour cela qu'on
ressent ce malaise. C'est à la fois prenant et bien écrit
(Y.Heurté)
Dans une drôle de maison bleue, l’équilibre et la grâce sont
au service de ce quelque chose qui est comme un rêve :
Thème original, avancée bien menée, et bien sûr le côté
symbolique s'impose, mais il passe sans ostentation, sans
contorsions, sans forcing spirituel du lecteur. Pire. Il le prend.
Un beau texte (Y.Heurté)
j'aime beaucoup l'image de cette maison en équilibre(…) le
style, l'humour, (J. Schweisguth)
il y a une sorte de tendresse coquine qui caresse la catastrophe,
et une manière - à mon avis très bienvenue- de créer du sens à
partir d'objets et de positions plutôt qu'à partir d'abstractions
ou d'idées (S.Méliade)
Et puis, le vide ce puissant aspirateur :
Elle courut sur les contours de la planète, absorba
des visages, des sourires, des larmes, des gravats, des ruines, des
gestes symphoniques, des grâces suspendues le temps d’un effluve,
des parfums mélodieux, des accords mineurs, s’embrasa au coin de
ruelles à la nuit tressaillante, dessina des mots, des odeurs,
décrivit des échos, des couleurs, chanta les songes dispersés par
le vent, sculpta des fantômes crucifiés par le néant.
la fin est riche de sens. c'est une prose étrange, surréaliste(J.Schweisguth)
***
Bouillonnant, exigeant, cahotique, volcanique, le jeune poète
québecois Maxime Catellier nous revient ce mois-ci avec un poème
fleuve, d’une longueur sans précédent, d’une densité
étonnante : la phrase en clé
homme tu dresses le grand nu des visières
poing d’ortie que les rougeurs lèchent arides
à la manière des poissons le soir gronde en toi
des rives les mosquées froides du sexe les écailles
langue cahotée, éclipsée, éludée, et à la fois prolixe,
foisonnante... étonnante. Langue aussi, érotiquement mâle, profondément masculine.
(F.Noël)
Ici, les entrechoquemenst d'images ne me semblent pas jetés
n'importe comment "pour faire poésie", il y a une
recherche stylistique intéressante, qui donne un côté
"contre-courant" et même "contre-coulant",
c'est à dire qui prend la fluidité à rebrousse-huile et donne des
sens par collision, comme en entrechoquant des silex. (S. Méliade)
j'ai la sensation d'un travail dans cette écriture, d'un
cisèlement des mots, des images étonnantes, c'est long mais on lit ce poème comme un envoûtement, comme une
transe,(J. Schweisguth)
***
Ile Eniger n’est pas non plus une inconnue sur Francopolis, et
nous offre trois poèmes de doutes et de soleil. Brûlant mélange
de couleurs, de sons ,d’odeurs, au service de la vie intérieure,
celle qui met toujours en balance les mots, celle qui brille et s’interroge,
un livre d'image... de photos...de présence, dit G. Millaire.
Un texte-être vivant, où rêve et lucidité ne sont pas
antinomiques, où on peut toucher sa propre densité et son propre
envol et qui possède cette sorte d'humilité classieuse qui sait
faire partager l'humain.(S.Méliade)
Un poème vigoureux et vagabond, de nombreux bonheurs d'écriture
avec des images surprenantes (Y.Heurté)
Montreur d¹étoiles. Phare d¹exclamation à
l¹envers sur la mer, tu dérives le mot. Drôle de lampe
allumée.
Les mots... que n ' avons-nous prononcé de mots pour les cerner!
:-)
mais peut-être parce qu'ils recèlent bien plus que leur
apparence simple. Et ce texte aussi, sans doute, j'aime cette
énumération d'impressions, cette tentative d'accrocher des lieux,
une topographie, de ces mots. (F. Noël)
***
Grande personnalité d’écriture, grande sensibilité,
Marie
Falson Tacussel nous raconte des histoires étranges où il ne se
passe rien. Apparemment. Et puis l’esprit vagabonde, suppute,
devine, reconstruit, infère, et peu à peu se dessinent les
contours tendres ou tragiques de destinées humaines
Lisez sa lettre :
Il m'a fallu relire deux fois cette lettre pour reconstituer une
époque, une histoire, éclairer les zones d'ombres laissées après
la première lecture. Comprendre que les roses et les jaunes
étaient sans doute des chrysanthèmes…
une mention pour la qualité du récit. (F.Noël)
Pour moi, qui suis québécois, dit K. Létourneau, ce
langage apparaît bien typé, un parlé de campagne très joli.
Exquis, beau style familier, j'aimerais en lire tout un roman.
et l’extrait de sa pièce de théâtre Le Pain brûlé
ah, merveilleux cynisme de la haine ordinaire, ces petites gens,
ces petites histoires, ces cancans qui font vivre les petites âmes,
et qui alimentent les petits principes. On ne les déteste pas ces
vieilles, mais on voit dans cette courte scène l'humanité qui fait
défiler son ruisseau de convenances et d'esprit de clocher, juste
sous nos yeux, et ça tape juste; et l'on voit le jeu se dérouler
sous nos yeux. (F. Noël)
***
mais la musique
Dit-il mais la beauté des signes
Les ravivent. Les grappes
Redisent le jeu troublant du peintre
Et du désir
Emmanuel Hiriart est un poète du regard et des couleurs, de l’exactitude
et de la recherche, de l’immédiateté et de l’universel. Sur
des tableaux ou des photographies, il brosse en quelques mots très
courts une vision rythmée et chuchotante du monde, quelque chose
comme un trait fin de crayon : sur une nature morte de
Delaporte, chaque couleur, passages
Ici on joue avec les couleurs, mais avec une interprétation
personnelle qui fait sien le tableau. La couleur se fait son,
mélodie accordée avec un paysage possible. A la fois animé et
animiste. Donne une impression rare de justesse, dans un monde très
serré où sont unis les trois éléments : végétal, animal, et
minéral (Y.Heurté)
***
Daniel Leduc nous confie une fresque partagée en
six moments
très courts, la fin presque un haïku, paysages et sentiments de
grands espaces et de grande intimité à la fois
Au commencement il marcha vers le sud, s’orientant
grâce aux nuages et au bruissement des vents. Longtemps les marées
de sable accompagnèrent ses pas ; puis il franchit des montagnes avant de se perdre dans
son rêve.
Quant il se réveilla la nuit recouvrait la Terre entière, et
les oiseaux qui volaient encore étaient les seuls mots vivants.
une réflexion sur le retour des choses, ce perpétuel mouvement
,ces recommencements, cette continuité... (G. Millaire)
le paysage est présent, avec des couleurs tourterelle, bleutées
et qui cherchent le soleil
"Ce sont les larmes de la nuit qui a quitté le jour "
et j'aime beaucoup cette phrase d'une grande tendresse
"Il y a dans chaque aube tous les regards du jour" (H.
Soris)
Ce poème est à citer en entier, très inspiré. Texte d'une
grande valeur philosophique. Réflexion poétique riche et habile.
(K. Létourneau)
***
Dans la tempête de ces nuits
livides et sans sommeil
de ma vie qui n'est plus qu'heures
sans fureur ni bruits
sans même plus de chaleur
Je te sens mon Soleil
Au cœur même de la tempête, Papemich nous écrit trois chants
de vie et d’amour : Un dernier je t’aime, Il est de ces
mots, Le Semeur de mots
***
Voix québecoise, Nicole Turcotte l'est
aussi ! Seule, profonde et mûre, elle écrit un texte lumineux comme au fond de la nuit
:
une atmosphère, une ambiance bien traduite par la suite
égrenée des mots.(F.Noël)
j'arpente la peau de la nuit
essoufflée de certitudes
je tord mes pluies
pour ne plus me revoir
dans le malheur de la tête
que tu tenais entre tes mains
et là, on a la sensation de déboucher du tunnel d'ennui où on
se croyait enfermé et qu'un petit miracle tient une lampe-tempête
à l'autre bout. Et on est heureux d'avoir lu ces lignes.(S.Méliade)
***
Enfin, lecteurs, allez découvrir l’Inoubliable rideau rouge de
Stéphane Méliade qui ce mois-ci , dans notre salon de lecture,
vous offre à lire six poèmes en rouge
J'écris la carcasse douceur
l'enluminure à quai d'une chaloupe accroupie
le sentier coquelicot d'un souffle en bord de terre
Un réservoir à dieux liquides
-table d'hôte pour prières à deux pailles-
se penche sur la formule
à retrouver l'ombre de la couleur rouge
Très bonne lecture à toutes et tous, et
je vous abandonne pour le
chant quelques instructions de Julio Cortazar
Chantez une seule note, écoutez à l’intérieur. Si vous
entendez (mais cela ne se produira que plus tard) quelque chose
comme un paysage plongé dans la peur, avec des feux entre les
pierres, avec des silhouettes à demi nues et accroupies, je crois
que vous serez sur la bonne voie, de même si vous entendez un
fleuve où descendent des barques peintes de jaune et de noir, si
vous entendez une saveur de pain, un toucher de doigt, une ombre de
cheval.
Isabelle Servant, janvier 2004