Patricia Laranco

Dark secrets
Les choses se sont murées dans des gangues de
fer
pour s'en aller battre la paille des chemins
l'eau s'enferme aussi dedans des cruches ventrues
dont
elle voudrait dévorer l'argile bleue,
il n'y a plus qu'à traîner sa vie
là
et ici
sans lendemain dans la résine du présent
entre les échafaudages et les à-jours
hissés vers des brèches de nuit de lune-lait
il n'y a plus qu'à écouter le tintement
du doute entre les creuses cordes de cristal
du vent qui s'effile haut au-dessus de nos têtes
qu'a-t-on fait de toi
un de ces chiens voyageurs ?
un de ces cratères d'eau et d'ombre mêlées ?
une de ces échelles montant à l'assaut
de quelque carcasse d’immeuble en construction
abandonné à l'indulgence de la nuit ?
La mousse des nuages berce le ciel noir
et le fait dériver dans son miroitement
comme
s'il n'était que le fuselage oblong
mais gigantesque d'un avion
- et rien de plus...
alors, j'attends avec impatience le jour
pour entendre tonner
la lumière des champs,
pour la regarder gober
la roue du soleil
pour la voir s'huiler s'enduire le corps
d'une incandescence visqueuse qui vrombit
et se met à dévaler, d'un seul trait, l'espace...
en attendant j'essaie
d'engranger quelques mots
j'essaie
d'y injecter des galops d'étendue
des fléchettes de pluie obliques percutantes
mais sait-on jamais ce que les mots
nous réservent ?
Ombres
Aussi légères, aussi irisées
que des bulles de savon, les paroles
s'élèvent
dans l'air,
leur fragilité, leur transparence
m'émeut
et puis elles éclatent en un "plop !",
en un "hop !",
elles se dissolvent en un rien de temps dans l'air bleu,
on les oublie comme on les avait
admirées,
elles ne laissent aucune trace, aucun sillon,
aucune cicatrice sur la peau du ciel,
leur écho
se perd,
finit par être avalé
dans le chaos du bruit de fond environnant,
ces paroles dont on avait fait tant de cas,
auxquelles on aurait voulu faire prendre corps
oubliant que leur chatoyante apesanteur
était un faux semblant d'être matériel;
ces paroles beaux mirages miraculeux
qu'aucune adoration n'a su retenir,
sur lesquelles s'est refermé le lourd tissu
du monde
comme une vague sur un sillage !
Silence blanc
Il y a le
silence blanc
libéré de la pesanteur
un silence au bruit anguleux
aux mâchoires d’acier
pointues.
Il accapare
l’air léger
il est parallèle
au ciel clair
il longe le talc
des photons
presque immatérialisés.
Il se confond
avec le jour saupoudré par l’azur piquant ;
il y a un silence blanc
qui taille, coupe et
élargit,
qui glisse
telle une aile innée
sa présence
est bien perceptible,
son odeur est
de citron vert.
Il occupe le terrain nu,
vide qui s’applique à pousser,
à refouler
choses et gens.
Il dévale
ce que les yeux
ne savent pas identifier,
ce que les mots voudraient chercher,
ce que les mains
ne palpent pas.
Silent moon
Elle me
regarde fixement
comme si son désir était
de m’hypnotiser derechef.
Elle est là – reine de la nuit,
la déguisant presque en plein jour,
disque jaune et plein planté sur
une immensité de lait bleu,
de fausse nuit chaude sans air
où
elle sait que nul ne dort.
Et j’examine longuement
sa nette luminosité
tachetée qui semble vouloir
n’irradier
qu’un silence cru,
aussi compact et aussi nu
que la dérision de l’absence.
Soleil des villes
Le soleil œuf cassé
fiente
qui dégouline
crachat de mucus vert
le soleil pauvre enfant.
Le soleil pauvre enfant
qui se met à pourrir
dans le giron des jours,
l’épaisseur
des années.
Le soleil ce moisi
sur les trottoirs puants,
dans la poissarderie
des villes turbulentes.
Le soleil ce cœur qui
palpite au ralenti
jeté sur les pavés,
pris en enclume entre eux
et les nuages gourds
aux mufles de bisons.
Le soleil écrasé
comme araignée,
cafard,
pulpe de fruit pourri
ou d’insecte rampant.
Le soleil toussotant,
crachant ses poumons sur
la poussière exténuée,
grasse du pavé lourd.
Le soleil titubant,
amoindri des lieux
qui sentent le vomi,
la pluie,
le mâchefer,
le soleil à l’odeur
de décomposition.
Le soleil qui avance
en crabe, de guingois,
qui peine à nourrir sa
carcasse
d’asphyxié.
Le soleil, ce manchot,
cet estropié que la
gangrène rétrécit,
qui file
à quatre pattes…
Le soleil qui cherche à
se faire oublier dans
le souffle granuleux
et râpeux
de la pierre.
Les villes de
toujours…
Les villes ne sont que des forteresses hirsutes.
Des tas accumulés, figés siècle après
siècle. Des emboitements souvent désordonnés de
structures de pierres, d’espaces clos, de rues cylindriques dont les
pièges à ombre faisandée, plus ou moins larges, ne
cessent, en un patient et savant travail, de s’enrouler sur
eux-mêmes, de se rembobiner autour d’eux-mêmes.
Venelles, galeries, niches, alvéoles, impasses,
entrecroisements, empiètements sont la nature de la ville. Un
perpétuel jeu resserré, étranglé entre le
dur des murs et les insaisissables, innombrables, anémiques
veines de l’air et de la poussière ocre, qui erre, ainsi que le
ferait un papillon saoul.
Les villes ont la même configuration que celle de
l’intérieur d’une oreille : plis, replis, lassos
enroulés, circonvolutions sinueuses. Un peu comme si elles
regrettaient l’argile de leurs tout premiers temps. De leurs temps
femelles où elles se voulaient organiques, rondes comme des
globules, où elles tournaient autour des coteaux pensifs
à la manière de céramiques en voie de fabrication
en rotation sur leur tour, où, les enlaçant, les
vampirisant à force de chercher à ne plus faire qu’un
avec eux, elles finissaient par les étouffer telles des bolas
constrictrices.
Les vraies villes, c’est un fait, aiment à être aussi
noueuses que des cordes. A épouser étroitement,
éperdument le modelé du sol. A
l’étreindre…jusqu’à venir proprement s’encastrer en lui.
Les vraies villes, c'est-à-dire les villes d’autrefois, les
villes de toujours, fuyaient la plaine. Elles répugnaient
à tout ce qui touche à l’espace, à l’extension et
à l’ouverture.
Elles aimaient à rester maternelles, matricielles,
enveloppantes. A digérer tout aussi bien l’haleine poudreuse du
sol pentu que les grappes de maisons bouffies fusionnellement
collées les unes aux autres, sans doute dans l’espoir de
conserver la chaleur. Elles se recroquevillaient au maximum, en
escargots transis…mais aussi surveillaient farouchement ce qui
menaçait leur clôture.
Elles avaient gardé la nostalgie des gadoues et des limons, de
leur sorte d’opacité tissée d’organicité crue, de
son compact aux allures de sculptures de glaise bien tassées, de
ses méandres comme arrachés à la mer, aux sables
humides. Elles savaient que la glaise possède quelque chose de
charnel, d’éternel.
Peut-être nourrissaient-elles l’espoir de ressembler à ces
écarlates poteries qui savent si parfaitement concentrer la
quintessence de la fraîcheur en elles et pointent en avant, tout
autour, de façon combien orgueilleuse, la rondeur rebondie de
leur ventre-matrice obscènement gravide ...
Tu tends tes
tentacules verts
Tu tends tes tentacules verts,
arbre,
viens, caresse-nous...
referme ton ombre moussue
comme un rêve bleu
sur nos âmes
Endors-nous
dans la profondeur
maternelle de ton roulis
où le soleil cligne des yeux
en nervurant
la densité
de ton vitrail chlorophyllien
Prends-nous dans tes musculeux bras,
pends-nous loin
au-dessus du sol,
enroules-toi
autour de nous,
perfuse-nous
de sève et d'air
et deviens
notre maison !
******
©Patricia
Laranco (textes et photos).
Les
lecteurs de Francopolis connaissent bien cette auteure,
déjà présente au : Salon de lecture Octobre
2011
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