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Mars-avril 2023

 

 

 

Denis Emorine : Identités brisées

(roman).

5 Sens éditions, Suisse, 2023 (116 p., 12 euros)

 

Une lecture par Igor Zourine

 

 

 

L’identité brisée par le Doppelgänger entre l’amour et la mort

 

L’auteur prend la précaution de nous avertir que son deuxième roman est un prolongement de « La mort en berne ». Prolongement et non suite, la nuance est importante.

Dans sa préface, Yves Flank se réfère à Tolstoï, à cet amour avec un grand A qui est également le credo de Dominique Valarcher, le porte- parole de Denis Emorine. Le héros est toujours déchiré entre Laetitia, son épouse, musicienne dans l’âme et Nóra, l’étudiante hongroise, passionnée par l’œuvre de Valarcher. Ces deux femmes symbolisent l’identité destructrice du héros, fracturée entre l’Est et l’Ouest. Ce « côté russe » de Dominique qui effraie tant Laetitia. et fascine peut-être Nóra.

Denis Emorine évolue toujours entre l’amour et la mort, divisé entre l’Est et l’Ouest dans son œuvre et peut-être dans sa vie. Il y a chez Dominique Valarcher une fascination identique, mortifère presque morbide pour le côté le plus sombre de l’âme russe qui en fait parfois -parfois seulement- le charme. On dirait que le héros, peut-être par masochisme, se complaît dans des situations sentimentales troubles voire ambiguës. Il est toujours amoureux de Laetitia et ne peut accepter de l’être de Nóra sans se culpabiliser. Bien des hommes auraient tenté une aventure avec l’étudiante qui est charmante au sens étymologique alors pourquoi pas Valarcher ? Être l’homme d’un seul amour au nom de la Fidélité, très peu en sont capables ! Dans « La mort en berne », le héros affirmait appartenir à une seule femme, celle de sa vie.

Qui ne succomberait devant cette belle confidence à l’exquise ingénuité ! Valarcher est bien un enfant tragique.

Dans ce roman, Laetitia est beaucoup plus présente, plus vraie, moins abstraite, dirai-je. Son intelligence et sa beauté sont bien mises en valeur comme dans la scène où elle se fait « draguer » dans un café par ce collègue lourdaud qu’elle traite de con et humilie à la grande joie du lecteur. Dire à une femme supérieure qu’elle est « sexy », quelle insulte !

À plusieurs reprises, lorsque Laetitia est prise en « flagrant délit de frivolité », l’auteur prend systématiquement sa défense : « Elle se trouvait belle. Elle l’était. », écrit-il à plusieurs reprises. J’aime cette connivence avec l’héroïne, qui est tout sauf frivole !

On retrouve les obsessions de Denis Emorine pour qui « la mort vient de l’Est » à jamais : Auschwitz, le goulag… Cet Est qu’il porte comme une croix à l’instar de son père, avec cette « jeune femme brune aux yeux bleus », sa mère, à qui, au fond, il dénie toute identité puisqu’elle est exclusivement désignée par cette périphrase.

Pour Valarcher, les relations féminines restent essentielles. Ce sont les femmes élues qui le portent vers le ciel et parfois le précipitent vers l’abîme. Toujours, il cherche la sœur, la fille idéales puisqu’il ne les a pas trouvées et ne les trouvera jamais. Les plus beaux portraits de « Identités brisées » sont féminins : Laetitia, Diane, Nóra, Nadja. Est-ce un hasard ?

Certes, il a des côtés agaçants ce héros brisé à douze ans, cependant Denis Emorine n’a jamais voulu montrer un homme parfait, mais partagé, hypersensible, au romantisme exacerbé dont le doppelgänger n’est jamais bien loin. D’où les identités plurielles du titre.

Suivez-le à vos risques et périls quitte à ne pas revenir indemne de ce voyage.

 

©Igor Zourine

 

 

Poète, dramaturge, prosateur, Denis Emorine est bien connu de nos lecteurs : faisant partie de la sélection d’auteurs de juin 2015 (présentée par Dana Shishmanian), invité au Salon de septembre 2015, ses œuvres ont fait l’objet de notes de lecture à cette même rubrique (par Dana Shishmanian, en février 2012), et à la rubrique Lectures-chroniques (par Dominique Zinenberg, en mai-juin 2021, mars-avril 2020, mai-juin 2018, novembre 2017 et par Dana Shishmanian, en avril 2013).

Sa dernière présence à Francopolis : entretien sur son écriture, avec Dominique Zinenberg, à la rubrique Gueule des mots de janvier-février 2022.

 

 

Denis Emorine 

Francosemailles, mars-avril 2023

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