L’identité brisée par le Doppelgänger
entre l’amour et la mort
L’auteur prend
la précaution de nous avertir que son deuxième roman est un prolongement
de « La mort en berne ». Prolongement et non suite, la nuance
est importante.
Dans sa
préface, Yves Flank se réfère à Tolstoï, à cet
amour avec un grand A qui est également le credo de Dominique Valarcher, le porte- parole de Denis Emorine. Le
héros est toujours déchiré entre Laetitia, son épouse, musicienne dans
l’âme et Nóra, l’étudiante hongroise,
passionnée par l’œuvre de Valarcher. Ces deux
femmes symbolisent l’identité destructrice du héros, fracturée entre
l’Est et l’Ouest. Ce « côté russe » de Dominique qui effraie
tant Laetitia. et fascine peut-être Nóra.
Denis Emorine
évolue toujours entre l’amour et la mort, divisé entre l’Est et l’Ouest
dans son œuvre et peut-être dans sa vie. Il y a chez Dominique Valarcher une fascination identique, mortifère
presque morbide pour le côté le plus sombre de l’âme russe qui en fait
parfois -parfois seulement- le charme. On dirait que le héros, peut-être
par masochisme, se complaît dans des situations sentimentales troubles
voire ambiguës. Il est toujours amoureux de Laetitia et ne peut accepter
de l’être de Nóra sans se culpabiliser. Bien
des hommes auraient tenté une aventure avec l’étudiante qui est charmante
au sens étymologique alors pourquoi pas Valarcher ?
Être l’homme d’un seul amour au nom de la Fidélité, très peu en sont
capables ! Dans « La mort en berne », le héros affirmait
appartenir à une seule femme, celle de sa vie.
Qui ne
succomberait devant cette belle confidence à l’exquise ingénuité ! Valarcher est bien un enfant tragique.
Dans ce roman,
Laetitia est beaucoup plus présente, plus vraie, moins abstraite,
dirai-je. Son intelligence et sa beauté sont bien mises en valeur comme
dans la scène où elle se fait « draguer » dans un café par ce
collègue lourdaud qu’elle traite de con et humilie à la grande joie du
lecteur. Dire à une femme supérieure qu’elle est « sexy »,
quelle insulte !
À plusieurs
reprises, lorsque Laetitia est prise en « flagrant délit de frivolité »,
l’auteur prend systématiquement sa défense : « Elle se trouvait
belle. Elle l’était. », écrit-il à plusieurs reprises. J’aime cette
connivence avec l’héroïne, qui est tout sauf frivole !
On retrouve les obsessions de Denis Emorine pour
qui « la mort vient de l’Est » à jamais : Auschwitz, le
goulag… Cet Est qu’il porte comme une croix à l’instar de son père, avec
cette « jeune femme brune aux yeux bleus », sa mère, à qui, au
fond, il dénie toute identité puisqu’elle est exclusivement désignée par
cette périphrase.
Pour Valarcher, les relations féminines restent
essentielles. Ce sont les femmes élues qui le portent vers le ciel et
parfois le précipitent vers l’abîme. Toujours, il cherche la sœur, la
fille idéales puisqu’il ne les a pas trouvées et ne les trouvera jamais.
Les plus beaux portraits de « Identités brisées » sont
féminins : Laetitia, Diane, Nóra, Nadja.
Est-ce un hasard ?
Certes, il a des
côtés agaçants ce héros brisé à douze ans, cependant Denis Emorine n’a
jamais voulu montrer un homme parfait, mais partagé, hypersensible, au
romantisme exacerbé dont le doppelgänger n’est
jamais bien loin. D’où les identités plurielles du titre.
Suivez-le à
vos risques et périls quitte à ne pas revenir indemne de ce voyage.
©Igor Zourine
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