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GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage

Ce mois de juin 2005 :

LE MONOLOGUE DU TUEUR

PAR

UMAR TIMOL

(Ile Maurice)

Faites connaissance avec l'auteur et sa bibliographie, sur Pleut-Il et sur son site

Conversation avec Umar Timol , par Hélène Soris sur Francopolis.

Ses Affreurismes sur kiltir.com

Plus globalement : Africultures , site des cultures africaines où il est référencé

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Le monologue du tueur.

          Bon c'est clair que tu me crois pas. Tu pouffes de rire. Tu me dis que je
          suis pas sérieux. Que je pense que t'es un idiot ou un "lerni". Que je te fais
          avaler des couleuvres. Non, mais est-ce que je t'ai sonné moi ? Est-ce
          que je t'ai demandé de me poser des questions ? 

          Si je sais ce qu'on dit à propos de moi ? Bien sûr, que je suis un vieux con
          qui n'a jamais rien foutu de sa vie et qui ne fout toujours rien. Un minable
          qui, à quarante ans, croupit dans un deux pièces, qui a une tête qui
          donnerait la frousse à un vampire, qui traîne un ventre gros comme une
          montgolfière, qui ne s'est jamais marié, qui n'a pas d'enfants et qui se
          prélasse alors que tout le monde bosse. 

          Ce que t'en penses ? Qu'un "délère" par excellence peut pas être un tueur
          à gages. Que je divague, que j'ai une tronche de raté. De traîne-savate. A
          la limite un mec amoral ou sans principes, enfin tu sais pas toi, mais
          assassin, non. Tu te dis que je me fous magistralement de ta gueule. 

          T'es certain que t'as raison ? Ben non car je suis l'un des meilleurs car au
          fil des années j'ai peaufiné mon art. On peut même avancer que je suis un
          maître. Pas un grand maître mais quelqu'un qui s'y connaît et qui a de
          l'expérience.. Ce qui fait ma réussite, si j'ose dire, c'est que je ne suis ni
          cupide, ni sadique. Je ne le fais pas pour ramasser un maximum de fric,
          mon tarif est plus que raisonnable, et je n'éprouve aucun "nissa" à tuer. Je
          suis pas comme ces débiles qui s'amusent à torturer la victime avant de
          la bousiller. Chacun son truc et faut pas se mêler des affaires des autres
          mais disons que pour moi la jouissance est ailleurs. Je suis méthodique,
          précis, organisé et je fais un travail "propre". On peut même dire que je le
          fais par amour. J'opère la nuit, dans le silence, et j'accorde une mort
          tranquille et sereine à ma cible. Si c'est pas de l'amour ça c'est quoi ? Il
          ou elle meurt pendant son sommeil, n'a pas le temps de se poser de
          questions, d'avoir des regrets, de penser à son assurance, de penser à
          son amant ou à sa maîtresse, de penser à toutes ces petites conneries
          qui minent la vie. Je suis la main de Dieu et je les destine à la paix
          éternelle.

          Ce qui m'a poussé à épouser ce métier ? Mais dis donc tu commences à
          avoir la trouille toi. C'est quoi ces rougeurs la ? Tu n'attendais pas à ça,
          pas vrai ? Quand tu m'as vu tu t'es dit, ah c'est le vieux bonhomme, je
          vais lui parler, il veut surement se confier, je vais faire de l'écoute, un peu
          de travail social n'a jamais de mal à personne et puis je le mets à la porte.
          Qu'il aille moisir dans sa merde. Et qu'est-ce qu'on découvre ? Dis-moi ce
          qu'on découvre. J'entends pas. Plus fort. Que j'ai une tête de con mais un
          cúur de fer. C'est ca. C'est bien. Comme quoi les apparences sont
          trompeuses. Faut se méfier tu vois, gratte un peu la surface et tu risques
          de voir surgir le monstre avant la bête.

          A vingt ans, il y a un truc qui m'est tombé dessus, c'est comme une
          enclume qui m'a fracassé l'esprit. Bon c'est pas pour faire un cours de
          philo mais disons que la société te propose deux voies, la soumission ou
          la révolte. Par soumission je te parle d'un mec comme mon père. C'était
          quelqu'un d'honnête mais quelle vie de merde, des années a bosser
          comme un chien pour s'acheter une petite maison, à payer le loan, à
          élever la marmaille, à rêver d'une promotion qu'un autre, avec des
          connections politiques, lui piqua, enfin toute une multitude d'emmerdes
          pour enfin crever à quarante-cinq ans d'une crise cardiaque. Sur son lit de
          mort, il m'avait fait promettre ki mo pou reste touzour  dans le droit
          chemin. Non mais qu'est-ce que tu crois papa ? Que t'es un modèle ? Que
          c'est une vie ça ? Que je veux faire carrière dans le secteur du
          lèche-bottes ? T'as donc jamais compris que pendant que tu trimais,
          pendant que tu jouais à être monsieur
          bien-comme-il-faut-pauvre-mais-sympathique, monsieur
          docteur-es-courbettes, d'autres cassaient la baraque, qu'ils volaient,
          trichaient et s'en mettaient plein les poches ? Pauvre papa, mais bon on
          peut pas refaire une vie. 

          Si je voulais d'une société meilleure ? Non, mais t'es fou non ? On ne
          peut changer l'homme, il est ce qu'il est, un loup, un animal féroce, un
          chacal, une hyène, enfin tout ce que tu veux et rien ne pourra y faire.
          Alors c'est quoi la révolte ? C'est subvertir le système, s'en servir sans
          en être le serviteur.

          Si j'ai des remords ? Evidemment que non, si je les tue c'est qu'ils le
          méritent, des gens qui se retrouvent dans de telles embrouilles ont
          comme une pancarte accrochée à leur crâne avec inscrit dessus,
          "Tuez-moi" . Tiens parlons de cette vielle femme que j'ai éliminée
          récemment, est-ce qu'elle ne le méritait pas ? Elle puait le fric mais elle
          refusait d'en donner à ses enfants, dont certains vivaient dans la misère.
          Ils se sont donc arrangés pour s'en débarrasser. Et tu devines qui a fait le
          sale boulot. Ton dévoué et fidèle serviteur. The one and only. Je t'avoue
          que la vieille conne m'avait un peu gâché la soirée. J'étais à deux doigts
          de lui fourrer deux balles dans la tête quand elle s'est réveillée. Et elle a
          commencé à m'implorer. Non missié na pas touye moi. Mo pou donne
          cinq mille roupies. Et dire que je comptais lui offrir une mort somptueuse,
          fini à tout jamais les affres de l'avarice. Elle se mit à gueuler et c'était pas
          joli à voir. Mais bon je suis un professionnel et les sentiments je les
          rélègue à la poubelle, j'ai donc enfoncé un chiffon dans sa bouche avant
          de l'exécuter. Il faut savoir gérer l'innatendu car sinon tu risques de
          perdre le contrôle de la situation. Et tout ce qui sort de l'ordinaire peut
          mettre en péril ta réputation. 

          J'ai un autre souvenir, je sais pas si ça t'intéresse, ah oui, ben ca c'était
          génial, on m'avait demandé d'abattre un jeune couple, il étaient tout ce
          qu'il y a de plus respectable, monsieur enseignant et madame comptable,
          belle maison à Sodnac et joli bungalow en construction à Palmar mais ils
          avaient un très vilain défaut et c'est qu'ils aimaient jouer aux courses, à
          tel point qu'ils s'étaient endettés auprès de gens qui ne font pas dans la
          dentelle, si tu vois ce que je veux dire. Et je me suis retrouvé un beau soir
          dans leur chambre. Ils formaient un beau couple et la femme était
          splendide. Je me suis approché d'elle et j'ai longuement caressé sa
          chevelure. J'ai même pleuré et quelques larmes ont coulé sur son front.
          J'adore regarder les gens dormir car c'est la qu'on les découvre vraiment.
          Et cette femme avait un visage d'ange. J'ai d'abord poignardé brutalement
          le mari et lentement, très lentement, j'ai étranglé la femme, c'était beau
          et même sublime de voir sa beauté flétrir et s'en aller à tout jamais. 

          Il m'arrive encore souvent de penser à son visage. 

          Ce que je fous quand je ne bosse pas ? Ben j'aime bien me rendre en
          boite. Il y a une discothèque à Grand-Baie qui me plait tout
          particulièrement. On y rencontre essentiellement des putes, des
          touristes et quelques jeunes. Mais j'y vais surtout pour danser. Je laisse
          la musique tremper mon corps et je me sens léger, je tourbillonne, je vois
          des étincelles briller et danser dans ma tête. C'est à me faire gerber de
          plaisir et je peux rester comme ça pendant des heures. Parfois il m'arrive
          de draguer une fille, une de ces jeunes écervelés qui croient qu'il faut
          tout montrer et qu'il faut tout dire. Je la ramène à la maison et on baise
          comme des bêtes. L'ennui c'est quand elles veulent s'accrocher, on dirait
          de la colle Pattex, et je me mets en colère et je m'en débarrasse. 

          Na pas guette moi gros li zyeux coume ca. Mais non je ne les tue pas. Je
          suis pas con quand même. Je les renvoie chez elle avec quelques liasses
          de billets dans les poches. Ca suffit à calmer leurs ardeurs. Je trouve qu'il
          n' y a rien de plus stupide que le baratin de l'amour, je t'aime, tu m'aimes,
          c'est agréable pour un temps mais après ca dégage une odeur de rance et
          de vomi. Je préfère jouir un bon coup dans le corps de la fille et puis
          basta.

          Mon avenir ? Ben voila un mot que j'exècre. J'ai choisi de vivre le moment
          présent mais puisque tu insistes pourquoi pas. Je compte bien me retirer
          bientôt. J'aime toujours tout autant mon boulot mais faut savoir s'arrêter.
          Et comme il me reste encore une vingtaine d'années à vivre - je compte
          me suicider a soixante, non merci, messieurs, dames, pas pour moi les
          maladies, l'alzheimer, parkinson et je ne sais quels conneries encore ou à
          dépendre dans un home d'une bande de tarés ou à faire la queue pour
          toucher cette affreuse pension d'invalidité - autant en profiter au
          maximum. J'ai un joli pactole que je conserve dans un coffre et je compte
          l'utiliser. Et tu peux être certain que je vais me la couler douce, vivre à la
          mer, des virées en boite tous les vendredis et samedis soir et surtout me
          laisser bercer, de l'aube jusqu'à minuit, par la douce mélodie des vagues.
          C'est le rêve quoi. Le nirvana. 

          Bon je vais pas m'attarder plus longtemps. Il y a du boulot qui m'attend.
          Laisse moi te tâter le front pour voir ou tu en es. Ben dis donc t'es
          complètement froid. T'es un rapide toi. 

          Allez je me casse et comme je suis poli je vais téléphoner à la police pour
          leur dire qu'il y a un cadavre qui pue dans ta maison.


Umar Timol

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Table des chroniques :

Gueule de mots de juin 2005 : Monologue d'un tueur par Umar Timol (haut de cette page)

Gueule de mots de mai 2005 : Humide, par Claire Ceira

Gueule de mots d'avril 2005 : Sang par Arnaud Delcorte

Gueule de mots de mars 2005 : La connasse par Lazlo X

Gueule de mots de février 2005, l'Appel à l'évasion par Maud Pace

Gueule de mots de décembre 2004, Mots, par Bozena Bazin



Les pieds des mots de juin 2005 par Philippe Vallet

Les pieds des mots de mai 2005 par Jean-Pierre Clémençon

Les pieds des mots d'avril 2005, par Florence Noël

Les pieds des mots de mars 2005, par Pierre Lamarque

Les pieds des mots de février 2005, par Julie Portalis

Les pieds des mots de décembre 2004, De l'intime à l'infini par Jean Marc Lafrenière




Auteurs, vous pouvez vous aussi écrire une chronique pour Gueules de mots ou Les pieds des mots.

Le principe de Gueule de mots est de faire résonner un mot comme un instrument de musique, si besoin est avec une certaine force et/ou violence.

Le principe des Pieds des mots est de nous partager l'âme d'un lieu, réel ou imaginaire, où votre coeur est ancré.


Si vous voulez figurer dans ces pages, écrivez à Francopolis ou au responsable de ces deux rubriques


 

 

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