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Aglaé - Michel Duprez - Michel Ostertag...  et plus




Trilogue
Ceux de 14…

par Michel Ostertag

PAUL.  Dans mon adolescence, les anciens de la Grande Guerre, j’en ai côtoyé un certain nombre. Je me souviens, il y en avait de deux sortes. Ceux qui n’en parlaient jamais, mais alors jamais et les autres, moins nombreux, je dois le dire, qui attendaient le moindre moment, pour vous coincer, au cours d’une conversation, vous attirer à part et c’était parti pour les tranchés, les bombardements, les attaques à la baïonnette… Impossible de s’en décoller !

GEORGES. Surtout quand on est adolescent

PAUL. Et que franchement, on s’en foutait totalement ! 

MARCEL.  Les pauvres gens ! La difficulté de la transmission aux autres des malheurs qu’on a vécus.

PAUL. Pareil pour les prisonniers des camps nazis. Personne n’était disposé à les entendre nous raconter les horreurs qu’ils avaient connues.

GEORGES. Puis les années ont passé et surtout la 2e guerre est venue et a tout balayé après elle. La grande Guerre est tombée aux oubliettes de l’Histoire.

MARCEL. Souvent même, un grand nombre d’entre eux avait fait les deux guerres.

PAUL. Vous imaginez cela, les souvenirs qui se chevauchent…

MARCEL. Et les prisonniers dans les stalags, pendant toutes ces années à ne rien faire, à ruminer son passé, à se souvenir, pour finir, une fois libéré, vivre avec cette impossibilité de communiquer, tout garder pour soi.

GEORGES. Les épouses, pas davantage et les enfants encore plus. Alors à qui raconter, à qui transmettre le vécu ?

PAUL. Certains, doué pour l’écriture, dépasseront ce stade et rédigeront des récits.

GEORGES. Oui, mais plus tard, quand le goût du passé aura pris place dans les médias.

MARCEL. Et il faudra attendre le centenaire du début de la Grande Guerre pour que tout le monde porte une toute petite attention sur les événements vieux de cent ans.

PAUL. Avec ce handicap qui est de ne pas froisser nos relations franco-allemandes…

MARCEL. Sans être vraiment en catimini, cela va se faires sur la pointe des pieds, si j’ose dire.

PAUL. Les plus intelligents disserteront sur le côté européen du conflit et les leçons à en tirer…

MARCEL. Sans aller jusqu’à programmer des reconstitutions de batailles.

GEORGES. On verrait mal la bataille du Chemin des dames reconstituée comme la bataille d’Austerlitz.

PAUL. Il faudra attendre deux siècles pour voir cela…

MARCEL. Et encore ! Je ne vois pas cela, bien que les batailles de Napoléon étaient aussi particulièrement sanglantes.

PAUL. Qu’est-ce qui pousse les Français vers autant de dates d’anniversaire, pas seulement celles des victoires mais aussi des dates de naissance ou de décès de tel ou tel grand homme ou va jusqu’à célébrer les 450 ans de la naissance de William Shakespeare, même pas Français !…

GEORGES. Volonté d’enseignement, aussi. Apprendre aux jeunes ce qu’ils ne savent pas. Pour remplacer les manuels scolaires. Cela offre aux profs des sujets tout trouvés de disserter, faire parler, non !

PAUL. Assurément.

GEORGES. Faire passer le message, que l’idée de guerre est d’abord stupide avant d’être criminelle.

PAUL. Tout le tragique de la vie. Ceux de 14 nous empêchent d’être totalement heureux, nous ne pouvons plus être innocents, en rien. « Plus jamais cela » n’a-t-il pas été le slogan de toute une génération.

GEORGES. Terrible illusion payée avec le sang des générations suivantes.

PAUL. Une fois les commémorations passées, chacun retournera  vers ses occupations, oubliera tout ce qu’il aura vu et appris…

GEORGES. Resteront les cimetières, l’alignement des tombes blanches, à perte de vue.

PAUL. Et dans les albums de photos de famille, toutes ces photos jaunies avec des noms et des prénoms dont les jeunes d’aujourd’hui demanderont « –Qui c’est, ce soldat ? » devant une photo d’un lointain parent en tenue bleu horizon.

GEORGES. Ainsi va la vie !


Trilogues déjà publiés

*Marcel, Paul et Georges par Michel Ostertag (2014-01)
*Marcel et Georges par Michel Ostertag (2013-06)
*B comme bon sens de Michel Ostertag (2013-03)
*Une autre façon d’apprendre (2013-02)                
*La passion des trains électriques (2012-01)         
*La vie est parsemée de retards (2011-03)             
*Sisyphe ou le pull trop court (2010-10)                   
*Journal et lunettes (2010-05)                       
* Brèves de conversations III  (2010-06)               
*
Brèves de conversations II (2009-11)       
* Brèves de conversations I   (2009-10)                              
*Taille crayon et tire-bouchon (2008-05)                   
* Les vieilles photos (2007-11)                    
* Les instituteurs (2007-04)                       
* La marche (2006-04)                            
* Les rêves (2006-09)                              
* Le train à petite vitesse (2006-06)            
* Liberté, liberté (2006-05)                        
* Hérédité (2006-02)                                

Trilogue
par Michel Ostertag
pour Francopolis juin 2014



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Créé le 1 mars 2002

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